Critique : Le Procès du siècle

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Le Procès du siècle

Royaume-Uni, 2016
Titre original : Denial
Réalisateur : Mick Jackson
Scénario : David Hare, d’après un livre de Deborah Lipstadt
Acteurs : Rachel Weisz, Tom Wilkinson, Timothy Spall, Andrew Scott
Distribution : SND
Durée : 1h50
Genre : Drame historique
Date de sortie : 26 avril 2017

Note : 3/5

Que reste-t-il à dire sur la Shoah ? Les moindres détails de ce crime atroce contre l’humanité ont été vulgarisés dans des commémorations et des mises en gardes régulières, le tout relayé par le biais du cinéma sous la houlette de réalisateurs d’envergure tels que Alain Resnais, Marcel Ophüls, Claude Lanzmann et Steven Spielberg. La question plus pertinente à poser dans le contexte des films, ce serait de toute façon de savoir comment représenter à l’image l’horreur absolue de l’indicible cynisme à l’œuvre dans les camps d’extermination, où le geste abominable de l’assassinat de masse fut répété des millions de fois. Au fond, aucun plan ne sera assez explicite pour condenser ce fait historique, dont la préservation vivante du souvenir reste de nos jours l’urgence la plus pressante. Car au fur et à mesure que les témoins directs de cette époque disparaissent, des voix contraires s’élèvent, le plus souvent du côté de l’idéologie néfaste des héritiers directs des nazis, en Allemagne et ailleurs dans le monde. Le Procès du siècle s’intéresse de près à un fait annexe de ce champ historique global, qui devrait occuper encore pour longtemps la conscience collective. Le film de Mick Jackson y parvient d’une manière subtilement détournée, en s’appuyant davantage sur les vicissitudes du système judiciaire britannique que sur le chantage aux émotions. Son approche reflète ainsi pas sans adresse le besoin vital de prouver sans l’ombre d’un doute la véracité des faits – quitte à répéter encore et encore le geste d’utilité publique du ménage contre l’intox –, avant de pouvoir s’en indigner.

Synopsis : Dans les années 1990, la professeur à l’université d’Atlanta Deborah Lipstadt enseigne avec conviction sur la Shoah et les tentatives de négationnisme de ce fait historique majeur. Son adversaire principal est l’historien anglais David Irving, qui ne manque pas une occasion pour la provoquer. En 1998, il la traîne même en justice, l’accusant de diffamation à son égard dans l’un de ses derniers livres, où elle le traite de menteur antisémite. Plutôt que de chercher un accord à l’amiable avec cet activiste de l’extrême droite, Lipstadt décide de comparaître devant la cour de Londres, où son procès s’ouvre au début de l’an 2000. Il appartiendra alors à ses deux avocats Anthony Julius et Richard Rampton de prouver que son raisonnement historique est juste.

Brouillard et brouillard

L’écueil principal à éviter dans un film comme celui-ci, c’était de ne pas tomber dans l’illustration purement attendrissante d’événements que l’on a déjà vus reconstitués sous toutes ses facettes. La mise en scène s’acquitte convenablement de cette tâche, n’y ayant recours qu’à deux très brèves reprises. L’enjeu principal du récit était en effet de rendre passionnante une longue procédure devant la justice britannique, truffée d’arguments techniques visant précisément à éloigner le débat de l’investissement personnel pour mieux en réaffirmer la vérité objective. Il s’agit par conséquent moins d’un film sur la Shoah à proprement parler, que d’un film sur l’après ou comment défendre dignement ce lourd héritage historique. De la dignité, il y en a effectivement une dose considérable au cours de cette histoire, qui balance avec une certaine adresse entre l’impétuosité américaine, de moins en moins vive dans ses accès de révolte, et le flegme anglais, plutôt intéressé à mener jusqu’au bout sa stratégie de défense malicieuse. Ce ton respectueux et volontairement peu tendancieux s’interdit certes toute solennité excessive. En même temps, il préserve peut-être un peu trop la notion de flou général dans laquelle doit mener toute altercation, médiatique ou juridique, obligée de faire abstraction de bon sens pour prouver une évidence, largement admise comme irréfutable.

Sois humble et tais-toi

En termes dramatiques, Le Procès du siècle se distingue par ce même dilemme, qui a recours aux conventions de la mise en doute, tout en sachant pertinemment que la conclusion ne pourra advenir que d’une seule et unique façon. Le propos du scénario de David Hare, d’emblée partial puisque basé sur le livre de la principale intéressée, vise alors à créer une tension quelque peu factice, entre la naïveté de Lipstadt et la démarche plus réfléchie de ses avocats. Dans cette optique, les rôles interprétés respectivement par Rachel Weisz et Andrew Scott peuvent être considérés comme de faux adversaires issus du même bord, tandis que celui de Timothy Spall équivaut à guère plus qu’un ennemi caricatural à abattre, dépourvu de la moindre nuance dans son aveuglement idéologique. Le centre réel de gravité du film réside du coup du côté de l’avocat initialement peu avenant joué par Tom Wilkinson, une fois de plus le garant d’une profonde humanité, riche en zones d’ombre et nullement imperfectible. C’est grâce à lui que la séquence cruciale du film, le retour sur la terre d’Auschwitz afin de préparer le procès, brille par son pragmatisme, selon le projet plus large de l’intrigue d’éloigner le plus possible du terrain glissant de la colère aveugle un sujet, qui nécessite plus que jamais une mise au point détachée.

Conclusion

Le Procès du siècle est tout sauf le film du siècle. Il s’agit toutefois du récit hautement respectable d’un fait historique, exemplaire du danger de récupération par des esprits malintentionnés de ce que l’Histoire européenne a de plus douloureux. La réalisation de Mick Jackson n’y opère point de miracle, mais demeure dans le cadre sagement aménagé des drames engagés, sobre et bien intentionnée.

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