Critique : La Route du tabac

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La Route du tabac

Etats-Unis, 1941
Titre original : Tobacco road
Réalisateur : John Ford
Scénario : Nunnally Johnson, d’après la pièce de Jack Kirkland
Acteurs : Charley Grapewine, Marjorie Rambeau
Distribution : 20th Century Fox
Durée : 1h24
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 23 mars 1949

Note : 3,5/5

Les Raisins de la colère figure parmi les œuvres phares de la filmographie de John Ford. D’une humanité brute et forte qui a tendance à nous fendre le cœur, ce chef-d’œuvre est souvent cité comme l’un des meilleurs et des plus connus films du maître, en dehors de son genre de prédilection, le western. Sensiblement plus obscure, cette adaptation d’une pièce de théâtre, qui battait alors des records de longévité sur les scènes américaines, faisait pratiquement au même moment incursion dans le même milieu social, quoique sur un ton méchamment irrévérencieux. Le résultat est si jubilatoire, qu’il risque même d’ébranler notre admiration sans bornes pour l’épopée solennelle des déracinés de John Steinbeck.

Synopsis : Il y a un siècle, la famille Lester régnait sans partage sur la Route du Tabac, une région connue surtout pour ses plantations de coton. De nos jours, il ne reste plus rien de la richesse d’autrefois, puisque le vieux Jeter habite avec sa famille sur une misérable ferme, où il n’a plus rien récolté depuis sept ans. Alors qu’il cherche à se débarrasser de ses deux derniers enfants qui habitent encore chez lui, l’arrivée annoncée du Captain Tim, le fils de l’ancien propriétaire des terres, lui fait espérer un petit crédit. Grâce à cet argent, Jeter pourrait envisager plus sereinement son avenir modeste. Hélas, au lieu de lui prêter ne serait-ce que quelques dizaines de dollars, Tim se voit obligé de donner un préavis d’expulsion aux Lester, à moins qu’ils ne trouvent de quoi payer un loyer.

John Ford, l’humaniste

Le cinéma de John Ford reste si poignant jusqu’à aujourd’hui, parce qu’il a su projeter sur grand écran un humanisme à la fois noble et sincère. Peu importe les intrigues qui servent de prétexte à ses leçons nullement édifiantes sur le bien et le mal qui cohabitent dans chaque homme et chaque femme, il en résulte dans la plupart des cas – les films de commande les plus banals mis à part – un regard attendrissant, mais jamais larmoyant, sur l’imperfection humaine. Avec Jean Renoir, Ford est pratiquement le seul cinéaste à savoir garder intacte cette forme d’empathie artistique de film en film, au fil d’une carrière aussi longue que prestigieuse. Ainsi, même dans le contexte d’une moquerie de haut vol, comme dans La Route du tabac, ses personnages préservent un minimum de capital de dignité, qui permettra de les distinguer à jamais d’une vision plus nihiliste des choses. Contrairement à Frank Capra, John Ford ne s’encombre jamais d’un optimisme sentimental. Il préfère invariablement révéler la beauté humaine dans ses films, même s’il ne se fait guère d’illusions, par exemple, sur le coup de pouce final du destin, qui ne modifiera aucunement la paresse invétérée dont la famille Lester est tombée victime depuis longtemps.

John Ford, le malicieux

Le côté plus confidentiel de son talent est une sensibilité accrue pour la comédie. Une capacité si cachée que nous n’avons aucun souvenir concret d’avoir déjà ri aux éclats d’un bout à l’autre dans un film de John Ford, en dépit des petites pauses pittoresques autour de personnages secondaires qui renforcent habituellement le coloris folklorique. On n’en est pas loin ici, puisque les trouvailles hilarantes se succèdent à un rythme soutenu. A commencer par la méchanceté manifeste des personnages, que ni le scénario, ni la mise en scène ne cherchent à relativiser. Au sein de la famille Lester, on se bagarre, on vole, on ment à tout rompre. Et si à tout hasard on prie, c’est principalement pour se mettre le bon dieu dans la poche en cas de péché à venir. La ferveur religieuse sert alors autant de cible à la dérision ambiante que la bêtise généralisée des personnages, fiers de conduire comme des fous et de traiter leurs femmes comme des bêtes, jusqu’à ce qu’elles se sauvent. Pour notre part, on voudrait tout sauf quitter cet univers survolté. Ce dernier passerait aisément pour une parodie savoureuse des Raisins de la colère, s’il ne savait pas alterner avec une adresse narrative exceptionnelle entre les attaques acerbes contre les défauts humains des personnages et la célébration presque joyeuse de leur absence de savoir-vivre.

Conclusion

John Ford, l’humaniste, n’avait plus rien à nous prouver pour que nous le vénérions comme l’un de nos réalisateurs de chevet. John Ford, le malicieux, nous a surpris, voire conquis à nouveau, grâce à ce film plus méchant que gentil, qui donne de surcroît l’occasion de voir de futures vedettes comme Gene Tierney et Dana Andrews dans des emplois pas vraiment représentatifs de leurs rôles mythiques à venir.

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