La Roche-sur-Yon 2024 : No Other Land

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No Other Land

Palestine, Norvège, 2024
Titre original : No Other Land
Réalisateurs : Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor et Hamdan Ballal
Scénario : Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor et Hamdan Ballal
Distributeur : L’Atelier Distribution
Genre : Documentaire
Durée : 1h32
Date de sortie : 13 novembre 2024

3,5/5

Dans un monde idéal, il y aurait un avant et un après No Other Land. Permettez-nous d’exprimer le choc profond que nous a procuré ce documentaire coup de poing, présenté au Festival de La Roche-sur-Yon, par une hyperbole sans doute un peu excessive. A l’image des premiers documents filmés sortis au grand jour après la libération des camps d’extermination de l’époque nazie, ce que nos yeux éprouvés doivent observer ici pendant une heure et demie relève du même caractère d’urgence et de refus d’ignorance.

En somme, après avoir regardé ce brûlot filmique extrêmement percutant, vous ne pourriez plus prétendre que vous ne saviez pas pour l’injustice criante que l’occupant israélien faisait subir chaque jour à la population palestinienne en Cisjordanie ! Auparavant, il était certes facile de se voiler la face ou de se cacher derrière un soutien indéfectible à l’état israélien. Mais le mensonge de la fausse quiétude occidentale vole définitivement en éclats, grâce à des documentaires d’exception comme celui-ci.

Sauf que, aussi insoutenable le quotidien terrifiant des villageois de Masafer Yatta soit-il, leur calvaire n’est hélas rien comparé à la croisade de vengeance cruelle qu’Israël mène depuis un an dans la bande de Gaza et depuis quelques jours à peine au Liban. Dès lors, les trois, quatre ans de grande précarité filmés dans le cas présent s’inscrivent dans un arc de l’inhumanité infiniment plus large, dont on craint fortement l’issue malheureuse.

Car si l’activisme de Basel Adra et de Yuval Abraham nous touche autant, c’est aussi parce qu’ils ne perdent jamais tout à fait espoir qu’un jour, très, très, mais vraiment très lointain, leur combat de longue haleine portera ses fruits pacifiques. Par conséquent, la montagne russe émotionnelle à laquelle nous convie leur documentaire sait aménager de rares moments de répit et de convivialité sans arrière-pensée négative. Un luxe tout relatif, qui n’est plus de mise par les jours néfastes qui courent en ce moment précis au Proche-Orient.

© 2024 Antipode Films / Yabayay Media / L’Atelier Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Depuis la fin des années 2010, le jeune activiste palestinien Basel Adra suit de près la lutte des siens contre l’expulsion de leur terre en Cisjordanie par l’armée israélienne. Malgré tous les recours légaux imaginables, la cour suprême israélienne a tranché et ordonné la destruction des villages de Masafer Yatta, au profit d’un terrain d’entraînement pour l’armée de l’occupant. Basel filme sans relâche cette guerre à l’usure, accompagné par le journaliste israélien Yuval Abraham.

© 2024 Antipode Films / Yabayay Media / L’Atelier Distribution Tous droits réservés

Rarement cette valeur particulièrement noble de la résistance au demeurant pacifique n’a été filmée avec plus de conviction que dans No Other Land. La population locale de Masafer Yatta a beau subir une terreur quasi quotidienne et une humiliation permanente de la part de l’occupant israélien, elle fait de son mieux pour ne pas se laisser abattre, au sens propre comme au figuré. En effet, la violence la plus crue peut surgir à tout moment dans ces affrontements entre les soldats, l’avant-garde nihiliste des bulldozers sans états d’âme, et des habitants impuissants face à un déséquilibre de forces criant.

Qu’elle ne le fait finalement qu’à de rares moments savamment dosés ne fait que souligner le fil ténu sur lequel le collectif de réalisateurs tient en équilibre sa mise en scène, afin de ménager tant soit peu nos nerfs. Le mal-être est plutôt diffus tout au long d’un documentaire qui prendrait presque un air de chronique d’une mort annoncée, tant l’étau se serre inéluctablement autour de Basel et ses proches.

En Cisjordanie, il y a quatre ou cinq ans, la vie d’un Palestinien ne valait déjà pas chère. De jeunes hommes comme Basel, la génération de son père et probablement de même celle de son neveu, ont dû se rendre avec une certaine amertume à cette triste évidence. Pourtant, ils résistent avec les moyens modestes à leur disposition. A savoir un esprit de défiance qui abdiquera le dernier face à l’envahisseur historique et sinon un usage des canaux de communication contemporains qui peuvent toutefois rapidement montrer leurs limites.

A ce sujet, le documentaire fait preuve d’une lucidité sans faille, par exemple quand Yuval regrette que ses articles ne soient pas assez lus et qu’il n’écrive pas assez sur ce combat dans lequel il se sent investi corps et âme. Ou bien, surtout, à travers la satisfaction mesurée de la part de Basel, quand son dernier post sur les réseaux sociaux a été consulté par quelques deux mille personnes. Et même si son compte Instagram est suivi à ce jour par plus de 25 000 utilisateurs, le chemin est encore long avant que les consciences ne soient réellement éveillées …

© 2024 Antipode Films / Yabayay Media / L’Atelier Distribution Tous droits réservés

Cette tâche essentielle de donneur d’alerte, No Other Land la remplit à la perfection. Là aussi, l’alternance fait la force, entre de nombreux moments très éprouvants – en somme, chaque fois que l’indignation des familles palestiniennes se heurte au mutisme brutal des soldats et autres colons israéliens – le plus souvent filmés caméra ou téléphone à la main et de brèves séquences plus calmes et paisibles prises par la chef-opératrice et coréalisatrice Rachel Szor. Ces pauses irréelles sur un terrain de guerre pas moins insensé contribuent grandement à conférer une humanité profonde aux victimes des exactions israéliennes.

Accessoirement, elles procèdent à une mise en abîme astucieuse de l’appareil médiatique, peut-être jamais plus révélateur que lors du passage d’un groupe de journalistes étrangers au chevet d’un homme gravement blessé lors d’une altercation qui culmine par un témoignage de solidarité sans doute bien intentionné de la part d’un caméraman.

Et le point de vue israélien dans tout cela ? Ce serait mentir de prétendre que No Other Land ne soit pas une œuvre fortement partisane. Néanmoins, l’incapacité d’être plus qu’un simple observateur indigné est traduite sans fard par la présence de Yuval, un fidèle ami qui prend au mieux le relais du héros malmené Basel. Un peu comme le personnage bien-pensant de Kevin Kline dans Cry Freedom Le Cri de la liberté de Richard Attenborough, qui assiste impuissant au massacre de son idole Steve Biko.

Espérons que la trajectoire du jeune militant palestinien sera marquée moins par la tragédie que par un espoir indéfectible, tôt ou tard couronné de succès. Un espoir évidemment beaucoup trop optimiste par les temps qui courent, indiqués par l’épilogue du documentaire et à vérifier chaque jour de nouveau sur les chaînes d’info. Mais justement, afin d’éviter de tomber dans l’indifférence face à tant de souffrance, un film hautement saisissant comme celui-ci remplit tout à fait son rôle !

© 2024 Antipode Films / Yabayay Media / L’Atelier Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Vous pensiez déjà tout savoir de la situation en Cisjordanie et du conflit israélo-palestinien qui s’intensifie chaque année un peu plus ? Peut-être. De toute façon, comment ne pas s’en désintéresser tôt ou tard, à cause de la distance géographique et culturelle et de la fâcheuse vitesse d’enchaînement des cycles médiatiques ? Heureusement, No Other Land est là pour vous présenter une facette différente de ce combat à armes inégales ! Depuis l’œil du cyclone en quelque sorte, les quatre réalisateurs en tirent un constat filmique à la fois consternant et enrageant. Et surtout, ils nous font le cadeau précieux d’un film au propos assez engageant et convaincant pour nous permettre de revoir une fois de plus notre appréciation de la situation pour le moins complexe dans cette partie-là du monde.

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