La Roche-sur-Yon 2024 : Les Feux sauvages

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Les Feux sauvages

Chine, 2024
Titre original : Feng liu yi dai
Réalisateur : Jia Zhang Ke
Scénario : Jia Zhang Ke et Wan Jiahuan
Acteurs : Zhao Tao, Li Zhubin, Pan Jianlin et Lan Zhou
Distributeur : Ad Vitam Distribution
Genre : Drame
Durée : 1h51
Date de sortie : 8 janvier 2025

3/5

Dans son nouveau film, présenté d’abord en compétition au Festival de Cannes, puis dans la section Continuités au Festival de La Roche-sur-Yon, Jia Zhang Ke fait essentiellement ce qu’il fait de mieux. C’est-à-dire de conter sur la base esthétique d’une beauté plastique à couper le souffle l’histoire aussi abstraite que collective du peuple chinois. Situé au croisement sans repères clairement identifiés entre le documentaire et la fiction, Les Feux sauvages est le genre de film auquel il n’y a peut-être pas grand-chose à comprendre au sens platement dramatique. Cependant, à condition de vous laisser porter par son rythme envoûtant et l’attention portée aux détails matériels les plus anodins, vous y trouverez sans peine la confirmation du talent artistique hors pair de son réalisateur.

Plus un kaléidoscope musical, architectural et social qu’un récit à la narration linéaire et accessible, le film dresse le bilan singulier de la Chine au cours du XXIème siècle. Ainsi, le temps qui passe, lentement mais inextricablement, a laissé des traces du côté de la topographie urbaine et campagnarde, des gadgets technologiques de toutes sortes et surtout sur les visages des acteurs familiers de l’univers de Jia Zhang Ke.

Alors que les traits de Zhao Tao n’ont pas tant changé en plus de vingt ans – Les Feux sauvages comprenant des prises disparates du début du siècle, jamais utilisées auparavant – le pauvre Li Zhubin, un habitué des films du cinéaste depuis Plaisirs inconnus en 2002, s’en est sensiblement moins bien sorti. Or, c’est aussi le regard dépourvu de nostalgie sur l’évolution incessante des choses et des mœurs qui rend toute sa noblesse à ce film fascinant.

© 2024 X Stream Pictures / Huanxi Media Group / Momo Pictures / Wishart Media / MK2 Films / Ad Vitam Distribution
Tous droits réservés

Synopsis : Dans la Chine du début des années 2000, l’histoire d’amour entre la chanteuse Qiaoqiao et le promoteur immobilier Bin est sur le point de se terminer. Pourtant, au fil du temps, en passant par l’euphorie causée par l’attribution des Jeux olympiques à Pékin et la construction d’un immense barrage hydraulique, jusqu’à la période de la crise sanitaire, Qiaoqiao ne cesse jamais de vouloir rétablir le contact avec son amant.

© 2024 X Stream Pictures / Huanxi Media Group / Momo Pictures / Wishart Media / MK2 Films / Ad Vitam Distribution
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Est-ce que Les Feux sauvages serait une sorte d’œuvre somme de tout ce que Jia Zhang Ke aurait tourné jusqu’à présent, un bilan artistique venu à point nommé au début de la cinquantaine à partir duquel de nouveaux horizons s’ouvriraient à lui ? Nous sommes mal placés pour le savoir, puisque nous avions un peu perdu de vue ces dernières années les films passionnants du réalisateur chinois. Il n’empêche que cette grande fresque intimiste d’un peuple aux innombrables facettes n’a fait que confirmer notre impression tout à fait positive du talent du créateur de The World. Refléter un monde propre à lui, qui modifie en même temps notre vision des choses, c’est à cela que Jia Zhang Ke s’emploie souverainement ici pendant deux heures, sans jamais mettre en pause le mouvement perpétuel de son cinéma.

Sa caméra en est plus le témoin que l’acteur à proprement parler, son esthétique reposant principalement sur une observation extrêmement lucide et plastiquement pertinente de la décomposition des choses. Pourtant, rien de morbide dans cette démarche de l’éternel renouveau, puisque les nouveaux moyens de communication, les nouveaux édifices, les nouvelles manières du vivre ensemble se superposent fort organiquement dans une ronde au rythme entraînant. Petite touche par petite touche, un plan sublime à la fois, c’est une Chine simultanément foisonnante et contemplative qui apparaît à l’écran, dont les défauts et les qualités s’entrechoquent sans avis préétabli dans une chasse abstraite aux indices qui ne le sont pas moins.

© 2024 X Stream Pictures / Huanxi Media Group / Momo Pictures / Wishart Media / MK2 Films / Ad Vitam Distribution
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Car Jia Zhang Ke n’a jamais été un cinéaste aux opinions ouvertement politiques. C’est aussi cette absence de prise de position facilement identifiable qui lui a permis de jouir d’une certaine liberté de discours dans son pays natal depuis près de trente ans. Dans Les Feux sauvages, le commentaire social peut se lire ainsi entre les lignes, dans l’étonnement souvent amusé face aux dernières énormités dont la Chine d’hier et d’aujourd’hui nous gratifie. Inutile en effet de créer de toutes pièces des situations compromettantes ou autres scandales de gestion calamiteuse du marasme des métropoles tentaculaires, le quotidien des Chinois se charge d’ores et déjà très bien de sa propre mise en question.

Depuis le palais de la culture défraîchi, transformé en lieu d’accueil pour des retraités qui ne savent plus quoi faire de leur temps, jusqu’au thé dansant grotesque par temps de gestes barrières et au petit vieux édenté qui devient malgré lui une vedette locale des réseaux sociaux, la boucle des errements sociaux un peu bizarres est admirablement bouclée. Avec toujours cette distance idéale parfaitement respectée envers les personnages fictifs ou réels et cette faculté de distinguer la splendeur cachée dans des motifs à première vue aussi insignifiants qu’un bout de trottoir sous la pluie. Tout l’art de Jia Zhang Ke est là. A prendre ou à laisser, mais certainement pas à brûler sur le bûcher de la prétention artistique dont le réalisateur chinois s’est rendu très rarement coupable, ni dans le cas présent, ni ailleurs.

Conclusion

Si vous n’avez jamais vu un film du maître Jia Zhang Ke, il n’est pas sûr que Les Feux sauvages soit la meilleure porte d’entrée à son univers. Néanmoins, c’est un film qui excelle dans l’observation suggestive, tout en laissant une immense liberté d’interprétation au spectateur. Cette dernière peut certes s’avérer légèrement frustrante, quand il s’agit de suivre le fil narratif approximatif de la liaison moribonde entre les deux personnages principaux du film. Mais en échange, vous aurez droit à une panoplie de plans magnifiques et nullement vides de sens de la Chine au fil du temps, enrichie par une mosaïque musicale des plus éclectiques.

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