La Roche-sur-Yon 2024 : La Source (Meryam Joobeur)

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La Source

Tunisie, France, Canada, 2024
Titre original : Mé el Aïn
Réalisatrice : Meryam Joobeur
Scénario : Meryam Joobeur
Acteurs : Salha Nasraoui, Mohamed Hassine Grayaâ, Malek Mechergui et Adam Bessa
Distributeur : Kmbo Films
Genre : Drame
Durée : 1h58
Date de sortie : 1er janvier 2025

2/5

Non, ce n’est pas encore la fatigue de mi-festival qui parle. Mais il fallait bien que vienne l’instant où nous tombons parmi la sélection autrement exquise du Festival de La Roche-sur-Yon sur un film qui nous laisse entièrement indifférent. Pire encore, le premier long-métrage de la réalisatrice Meryam Joobeur pèche par une complaisance esthétique de plus en plus agaçante !

Alors que l’austérité formelle pouvait encore évoquer au début de La Source une certaine fascination contemplative, la répétition d’une monotonie accablante des mêmes deux ou trois échelles de plan finit par nous faire décrocher définitivement d’une histoire pas si intéressante pour commencer. Le thème déjà un peu passé de mode de la progéniture endoctrinée par l’état islamique et portée disparue en Syrie y sert de prétexte à une embrouille familiale de plus en plus abracadabrante.

Collée au plus près des personnages, si elle ne s’aventure pas sur le terrain problématique des flous prétendument artistiques, la caméra n’y applique à aucun moment la distance adéquate pour cerner les fantômes et autres chimères qui hantent les personnages. Faute de recul suffisant pour donner à cette famille tunisienne tronquée l’espace nécessaire pour respirer, voire pour exister, la narration ne loupe pas une occasion pour se fourvoyer dans des délires de possession et de transfert de culpabilité de moins en moins crédibles.

Alors que nous ne sommes pas généralement réfractaires à l’incursion ponctuelle d’éléments fantastiques dans le genre dramatique, ces écarts du réel prennent ici beaucoup trop souvent l’apparence de cauchemars sans queue, ni tête. Avec un drôle de cheval qui passe de temps en temps par là, sans que l’on ne sache réellement où la réalisatrice voulait en venir avec ces évocations oniriques dépourvues de suite.

© 2024 Tanit Films / Leona Films Inc / Instinct Bleu / 1888 Films / Godolphin Films / Eye Eye Pictures / Kmbo Films
Tous droits réservés

Synopsis : Aicha, la femme d’un berger près de la côte tunisienne, est hantée par le départ de ses deux fils Mehdi et Amine. Elle tente de taire la vérité sur leur engagement terroriste auprès de son plus jeune fils Adam, pendant que son mari Brahim se renseigne sans trop d’espoir auprès des autorités sur d’éventuelles nouvelles de leurs fils aînés. Le policier Bilal, un ami de longue date de Mehdi et Amine et quasiment le seul homme de sa génération à être resté dans sa région natale, remplace tant bien que mal ses grands frères auprès d’Adam. Quand Mehdi revient sans prévenir à la ferme familiale avec son épouse Reem, voilée et muette, ce retour du fils prodigue prend une tournure des plus inquiétantes.

© 2024 Tanit Films / Leona Films Inc / Instinct Bleu / 1888 Films / Godolphin Films / Eye Eye Pictures / Kmbo Films
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Sans vouloir mettre en doute l’ambition artistique de La Source, nous devons toutefois admettre que son projet stylistique basé sur un vocabulaire cinématographique abusivement réduit n’a certainement pas eu l’effet escompté sur nous. Une sensation d’étouffement et d’écrasement des perspectives a ainsi beau s’abattre sur nous dès les premières minutes du film, présenté en compétition au dernier Festival de Berlin avant sa première française en Vendée, il n’en résulte en échange aucun enrichissement ou approfondissement d’une intrigue minimaliste. Tous les personnages y sont logés à la même enseigne du plan en amorce et invariablement rapproché, ce qui rend toute interaction entre eux d’emblée impossible.

A moins que ce morcellement catégorique de l’espace filmique et affectif ne soit prémédité ? Or, pour cela, rien dans l’introduction du récit, ni dans son évolution mollement accidentée ne nous donne un point d’accessibilité pertinent envers les personnages, quels qu’ils soient. La présence de l’étoile montante du cinéma tunisien Adam Bessa, vue récemment dans Le Prix du passage de Thierry Binisti et Les Fantômes de Jonathan Millet, n’y change hélas pas grand-chose. Pas plus que le jeu au début assez inspiré de Salha Nasraoui en mère incapable de faire le deuil de ses fils partis au front du fanatisme islamique, de plus en plus abandonnée à son sort au fur et à mesure que l’intrigue explore des pistes disons plus abstraites.

© 2024 Tanit Films / Leona Films Inc / Instinct Bleu / 1888 Films / Godolphin Films / Eye Eye Pictures / Kmbo Films
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C’est quand ce départ d’une lecture soi-disant réaliste des faits bascule du côté de leur interprétation plus prétentieuse que La Source doit irrémédiablement se passer de notre adhésion. Difficile en effet de s’y retrouver au sein d’un noyau familial désormais éclaté, où tout un chacun a tendance à partir dans sa direction personnelle, à la fois peu soucieux du bien-être commun et de la pertinence stylistique de l’ensemble filmique. Attention, la réalisatrice demeure fermement enracinée dans une cohérence interne, puisqu’elle ne fait que ressasser encore et encore les mêmes dispositifs visuels. Sauf que ce purisme affecté de la forme ne produit plus aucun effet sur le déroulement fortement compromis du récit.

Bien entendu, nous n’allons pas vous révéler le dénouement hautement bancal de ce premier film qui ne l’est pas moins ! Mais la volonté manifeste de la part de Meryam Joobeur d’élargir ces tensions familiales déjà assez tendues vers une intrigue policière ni faite, ni à faire restera pour toujours un mystère à nos yeux … Plutôt que de recadrer l’équilibre des forces sociales et émotionnelles au sein de ce foyer modeste, cette décision narrative contribue à brouiller la perception d’un film depuis longtemps en quête d’un quelconque centre de gravité. Que La Source passe fâcheusement à côté de ce dernier, il le doit avant tout aux partis pris esthétiques presque risiblement prévisibles, tant la réitération forcenée de son vocabulaire très pauvre s’apparente à la caricature involontaire d’un cinéma prétentieux au plus haut degré.

© 2024 Tanit Films / Leona Films Inc / Instinct Bleu / 1888 Films / Godolphin Films / Eye Eye Pictures / Kmbo Films
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Conclusion

Espérons que nous avons dépassé le creux de la vague précoce dans notre couverture du Festival de La Roche-sur-Yon avec ce premier film qui creuse stoïquement sa propre tombe en termes d’innovation et de richesse formelles. La Source est le contre-exemple tristement parfait de tout ce qu’il ne faut pas faire pour ennuyer royalement le public. Certes, la prémisse du film de Meryam Joobeur disposait encore d’un certain potentiel de dépaysement et de relecture intimiste d’un fait divers mondial dont le cinéma a d’ores et déjà tenu compte depuis plusieurs années. Mais son entêtement assez inexplicable de conter de cette façon-là cette histoire progressivement en roue libre, en faisant essentiellement du surplace esthétique, ne nous a point permis de persévérer dans notre quête d’une porte d’accès hypothétique à cet univers entièrement fermé sur lui-même.

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