Arguments
France, 2019
Titre original : –
Réalisateur : Olivier Zabat
Scénario : Olivier Zabat & Emmanuelle Manck
Distributeur : –
Genre : Documentaire
Durée : 1h49
Date de sortie : –
3/5
« Ils sont plusieurs dans sa tête », c’est ce que l’on peut dire, sur un ton moqueur, au sujet des personnes qui ont un discours confus, qui semblent mener un dialogue intérieur en parallèle des conversations qu’ils ont avec le monde extérieur. Le documentaire Arguments, présenté au Festival de La Roche-sur-Yon dans la section « Nouvelles vagues », n’invite pourtant point à la boutade. Le réalisateur Olivier Zabat y traite au contraire avec un très grand sérieux une forme encore plus déroutante de trouble psychique. Sauf que, justement, au lieu d’aborder sa thématique comme un problème ou, pire encore, comme une pathologie, il en fait en quelque sorte la norme au sein d’un microcosme préservé, où le fait d’entendre des voix n’a plus rien d’exceptionnel. Dès lors, la voie est libre pour un formidable mode d’observation privilégié, dépouillé de tout relent de préjugé, afin de mieux entreprendre la tâche herculéenne de montrer par l’image et le son quelque chose qui n’existe pas, selon les critères discutables d’une objectivité réaliste. En adoptant cette posture de l’observateur bienveillant, qui est là pour comprendre et non pas pour juger, la mise en scène rend une part précieuse de banalité à ces hommes et ces femmes, considérés trop hâtivement comme fous par la société des gens soi-disant normaux. Ces derniers feraient pourtant bien d’écouter avec un esprit ouvert leur argumentation intérieure, qui a tout d’une lutte pour la survie mentale au quotidien.
Synopsis : Ron Coleman et sa femme Karen Taylor accompagnent depuis des années des entendeurs de voix, des individus dont les voix intérieures envahissent et commentent leurs pensées et leurs gestes. Sur leur ferme en Écosse, ils proposent des ateliers permettant aux participants de mieux comprendre leur situation psychologique, d’y faire face plus sereinement, par le biais de dialogues et de sculptures humaines.
Stigmatisation et discrimination
Parler du handicap n’est jamais chose aisée. On court toujours le risque de froisser les sensibilités des personnes concernées, de faire preuve de maladresse en naviguant le champ de mines qu’est désormais le vocabulaire politiquement correct qui est censé encadrer notre regard sur les personnes souffrant d’un handicap (rien que pour formuler cette phrase, on a dû appliquer un certain niveau d’acrobatie verbale, c’est pour dire !). Arguments ne s’encombre pas du boulet de l’approche ostentatoirement compatissante. Ce documentaire impressionnant y va franchement et subtilement, en faisant confiance à la force expressive de son sujet. Au début, on ne sait pas trop où le voyage filmique va nous mener, avec ces personnes qui vaquent à leurs occupations, sortir le chien, faire des tours de magie avec les cartes, réciter la profession de foi des Alcooliques anonymes ou bien enregistrer un texte dont toute la portée, terrible, ne deviendra évidente qu’à la fin. L’explication scientifique au cours de la formation pour les futurs assistants sociaux ne nous prépare de même que partiellement à ce qui va suivre. Car le basculement vers l’ailleurs, depuis une réalité tout à fait banale, où la description à voix haute de la ville à l’heure du coucher de soleil paraît comme un improbable barrage contre le vacarme intérieur, a tout d’un choc puissant, venu de nulle part alors que tout ce qui avait précédé aurait dû nous y préparer. Avec une économie de moyens fortement appréciable, la mise en scène reste alors au plus près de cet homme, qui est désormais engagé dans une dispute intérieure avec des individus que l’on hésite énormément à qualifier d’imaginaires et que le premier concerné décrira plus tard comme une bande de skinheads malfaisante.
C’est à moi que tu parles ?
Ces plongeons dans la folie manifeste se répéteront ultérieurement, bien qu’ils fassent alors partie d’une forme de thérapie constructive, administrée par Ron. L’aspect le plus fascinant dans cette prise en charge est qu’elle n’avance pas, comme la psychologie traditionnelle, à grands coups de médicaments faussement apaisants ou de quête de l’origine de ce trouble de la conscience, afin de mieux l’éradiquer définitivement. Chez Ron, il n’y a ni interdit, ni jugement quant à la nature même de ce fléau psychique, trop souvent rapproché d’une névrose à traiter avec condescendance. Tous les moyens sont ainsi bons pour engager le dialogue, à la fois avec ces figures imaginaires, anges démoniaques et professeurs sévères, et avec les personnes qui les hébergent malgré eux dans leur cerveau. Ce n’est pas tant la guérison qui importe ici – car après tout, comment guérir d’un tel dédoublement de la personnalité ? – mais l’accompagnement par des gens, qui savent pertinemment ce que c’est de ne pas être le maître de sa propre pensée. Le point de vue du documentaire se place habilement au même niveau de complicité lucide, sans s’apitoyer sur le sort de ces personnes ostracisées par une société au raisonnement conformiste, mais en leur offrant au contraire une plateforme d’expression privilégiée, à la portée de leur cheminement mental alambiqué et néanmoins entièrement limpide en termes des formes filmiques appliquées.
Conclusion
Vous ne verrez plus le handicap mental de la même façon, une fois que vous aurez regardé Arguments ! La mise en scène de Olivier Zabat s’y distingue par une bienveillance sans faille, mais également par un sens aigu de la concision qui ne laisse guère de place au délire gratuit. Dans ce documentaire remarquable, tout converge ainsi vers une meilleure compréhension de ce que cela veut dire d’entendre des voix et comment ce fardeau psychique peut être allégé, grâce au travail de thérapeutes comme Ron Coleman.