Berlinale 2018 : La Prière

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La Prière

France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Cédric Kahn
Scénario : Fanny Burdino, Samuel Doux & Cédric Kahn
Acteurs : Anthony Bajon, Damien Chapelle, Alex Brendemühl, Louise Grinberg
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h47
Genre : Drame
Date de sortie : 21 mars 2018

Note : 3/5

Les journalistes en mission au Festival de Berlin ont eu droit à une programmation bien en phase avec les pratiques du dimanche matin, grâce à la projection en compétition de ce film français, qui pourrait faire office de substitut pour la visite de la messe dominicale. Au détail près que La Prière ne prétend pas forcément être un film religieux. Il y est certes amplement question de la foi. Malgré sa sévérité formelle dont on a pris l’habitude, Cédric Kahn est cependant un réalisateur sachant aménager un champ d’interprétation suffisamment large pour ne pas faire de ce film une simple publicité pour la cure de désintoxication draconienne, proposée par l’église catholique dans les montagnes. Le cheminement du protagoniste y est en effet empreint d’une ambiguïté dans les paroles et dans les actes, qui permet de voir dans la succession de ses tentatives de donner un sens à sa vie rien d’autre que le lent processus de création d’une identité au cours de la période délicate de l’adolescence. Thomas, le jeune drogué qui vit une transformation miraculeuse depuis sa colère de tête brûlée, incorrigible et taiseuse, jusqu’à sa paix intérieure en tant que futur prêtre, est tout sauf un saint. Les indices pour instaurer le doute quant à la sincérité profonde de sa vocation du sacerdoce s’accumulent effectivement. A tel point que l’enchaînement de ses obsessions, d’abord l’héroïne, puis la prière et enfin l’amour, ressemble à s’y méprendre à une quête jamais satisfaite de la saveur du mois, appelée à se répéter à l’infini, tant que ce jeune homme aux grands yeux expressifs n’aura pas trouvé un repère immuable sur lequel baser sa vie.

Synopsis : Après avoir fait une overdose, Thomas accepte de son propre gré de rejoindre un centre de désintoxication à la montagne. Au début, il éprouve une difficulté extrême à se conformer aux règles très strictes de l’institution catholique, qui lui interdisent par exemple de rester seul ne serait-ce qu’une minute ou de faire autre chose que de travailler et de prier. Sa frustration l’incite même à vouloir tout plaquer et de rentrer dans sa Bretagne natale. C’est la rencontre avec la jeune archéologue Sibylle qui lui fait changer d’avis. Au fil du temps, il va jusqu’à envisager d’intégrer le séminaire afin de devenir prêtre.

Le royaume des cieux pour une clope

En prison, mode d’emploi, avec l’option lavage de cerveau, s’il vous plaît ! L’arrivée du protagoniste de La Prière dans le beau paysage montagnard a en effet tout du processus d’incarcération, y compris la sauvegarde des effets personnels, la fouille des vêtements, la coiffure courte des cheveux et le discours sévère de mise en garde par rapport au quotidien dur qui attend le détenu débutant. Car ce n’est point à un séjour de méditation et d’accomplissement spirituel de soi qu’a souscrit Thomas, mais à une forme de pénitence austère, rythmée de tâches pas toujours très utiles. Dans ce contexte d’une correction sans compromis, aucun écart n’est toléré, alors que la nature même de l’accro à la drogue ou à l’alcool est de lutter contre le danger de la rechute qui l’attend au tournant avec une assurance machiavélique. Dès ces premiers moments de révolte et de confrontation violente à une institution qui lui veut pourtant du bien – dans la mesure où ces structures figées peuvent s’adapter à l’individu –, le doute s’installe. Un certain angélisme est alors de mise, moins dans les hauts et les bas d’un parcours personnel en dents de scie que du côté du discours formaté des autres pensionnaires, les vecteurs d’un endoctrinement toujours mieux perçu que l’alternative de crever misérablement d’une overdose. C’est le phénomène social courant de la communauté fermée sur elle-même qui est observé ici, bien que la mise en scène ne le passe pas vraiment au crible. Elle dispose néanmoins du recul indispensable pour ne pas écarter la possibilité que tout cela ne soit que de la poudre aux yeux, concluante dans les périmètres très réduits de la surveillance accrue et de l’encouragement incessant en guise de thérapie, quoique vouée à l’échec dès que ces êtres écorchés devront à nouveau se heurter au monde extérieur.

Vivre dans le mensonge

Les intentions des gérants de ce centre bucolique de l’altruisme à l’état pur sont sans doute les meilleures du monde. Elles subissent toutefois une mise en question subtile de la part du scénario, par l’intermédiaire du personnage plein de duplicité innée, interprété avec beaucoup de candeur par Anthony Bajon. Quel degré de sincérité ou bien, si l’on voudrait prêter au propos du film un raisonnement encore plus sombre qu’il n’est probablement, quel talent de comédien pour le faire-semblant faudra-t-il avant de convaincre les gardiens d’une vie saine et sainte qu’on a pleinement acquis la leçon ? La séquence-clef à ce sujet est la rencontre avec la mère supérieure, la fondatrice des maisons de redressement qui accueillent depuis des décennies des jeunes en chute libre. Sous les traits en apparence très conciliants de Hanna Schygulla, elle ne se laisse pas berner par la profession de foi de Thomas qu’elle cherche à ramener à la raison à sa manière relativement archaïque. C’était visiblement de la peine perdue, puisque la ferveur religieuse ne durera qu’un temps chez lui, à cause de son tempérament inconstant qui ne tardera pas à l’amener vers de nouveaux horizons. Il se dégagé en résumé un certain fatalisme de cette vision du monde, où même les rescapés les plus exemplaires de l’enfer de la drogue ne réussissent pas entièrement à décrocher du besoin vital – pour qui que ce soit d’ailleurs – de s’accrocher soit à une autre personne, soit à une source de passion matérielle ou pas, afin de garder le cap dans les tourments de l’existence.

Conclusion

Cédric Kahn n’est pas vraiment le genre d’apôtre euphorisant qui nous ouvrirait de nouvelles perspectives philosophique par le biais du cinéma. Son approche et son style sont de loin trop pragmatiques et froidement réfléchis pour se laisser embrigader dans des brûlots fanatiques. D’où la qualité nuancée de La Prière, un film qui décrit certes avec une sympathie indéniable cet environnement préservé au sommet d’un volcan sur le point d’entrer en éruption, mais qui nous empêche en même temps avec insistance de croire naïvement en la possibilité d’une guérison miraculeuse de ce fléau majeur de notre civilisation qu’est la toxicomanie ou, au demeurant, toute obsession appelée à combler artificiellement le vide intérieur propre à chaque être humain.

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