Critique : La Mécanique de l’ombre

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La Mécanique de l’ombre

France, Belgique, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Thomas Kruithof
Scénario : Thomas Kruithof et Yann Gozlan
Acteurs : François Cluzet, Denis Podalydès, Sami Bouajila, Simon Abkarian
Distribution : Océan Films Distribution
Durée : 1h31
Genre : Thriller
Date de sortie : 11 janvier 2017

Note : 3/5

François Cluzet a du flair. Il a beau ne pas toujours apparaître dans les plus gros succès publics – Intouchables mis à part –, la filmographie de cet acteur d’exception reflète parfaitement son talent et, mieux encore, son incroyable lucidité dans la quête d’un challenge raisonnable, qui ne vire jamais à l’erreur de casting. En gros, le fait de voir le nom de François Cluzet apparaître en haut de l’affiche est un gage de qualité, comme le démontre une nouvelle fois ce premier film intense. Le comédien y interprète avec la sobriété qu’on lui connaît un solitaire arrivé au bout du rouleau, un rouage fragile et passif dans un système qui l’exploite jusqu’à la moelle sans aucune gêne morale. Jusqu’au jour où ce petit gars sans histoires découvre in extremis son instinct de survie, qui n’aura guère de conséquences sur le cours global des choses, mais qui lui permettra de racheter tant soit peu son honneur. La Mécanique de l’ombre appartient ainsi à ces films de genre français solides et redoutables, qui ne prétendent pas au chef-d’œuvre, mais qui content leur histoire avec une efficacité prenante.

Synopsis : Deux ans après un burn-out, le comptable Duval est toujours en quête d’un nouveau travail. Il reçoit une offre d’emploi alléchante, quoique quelque peu suspecte, d’un certain Clément, qui le charge de retranscrire avec une machine à écrire des bandes d’écoutes téléphoniques. Duval exécute sans broncher cette tâche répétitive, seul dans un appartement vide. Son supérieur direct Gerfaut ne lui donne pas davantage d’indices sur la nature de son travail. Quand Duval se rend compte que le réseau de Clément est mêlé à une sinistre affaire de prise d’otages en Mauritanie, il est déjà trop tard pour faire marche arrière.

Seul contre tous

La Mécanique de l’ombre est certes un premier film, mais il n’en porte guère les signes distinctifs. Le réalisateur Thomas Kruithof orchestre au contraire son récit avec une souveraineté bluffante, selon les règles d’un suspense rondement mené. A l’image du protagoniste, à qui il faudra un meurtre pour se ressaisir et tenter de s’écarter de la fausse route sur laquelle il s’est dangereusement engagé, le ton du film fait preuve d’un agréable sang froid. Car cette histoire, qui devient de plus en plus abracadabrante, au fur et à mesure que Duval est pris dans le maelstrom des secrets d’état, est avant tout le portrait saisissant d’un homme au tempérament imperturbable, voire pathologiquement détaché. Grâce au jeu tout en nuances de François Cluzet et à son faux air d’innocent injustement malmené, son parcours est semé d’embûches plus existentielles que de savoir par quel camp d’une guerre larvée de l’information on est manipulé à tel moment. C’est la tragédie pourtant noble d’un homme insignifiant qui se déroule devant nos yeux, au rythme d’une intrigue d’espionnage haletante. Que même l’aspect le plus convenu de cette dernière – la relation avec le seul personnage féminin interprété par Alba Rohrwacher – sonne encore vrai, est le signe indubitable d’une mise en scène pleine d’assurance.

Un puzzle maintes fois recomposé

L’essentiel du récit se focalise en effet sur un groupe d’hommes, qui gravitent autour de Duval dans une guéguerre mesquine pour mieux le manipuler à leurs fins. A travers une opération d’identification menée de main de maître à la fois par l’acteur principal et le scénario sans faille, nous nous engageons en compagnie de cet individu trop docile dans une inextricable perte de repères. Les cartes sont ainsi redistribuées plusieurs fois, sans que l’on sache précisément à quoi s’en tenir. C’est alors la capacité d’adaptation de Duval, digne d’un caméléon, qui prend le dessus, tout en lui préservant le rôle valorisant de la victime, presque jamais à l’origine du carnage qui se déchaîne autour d’elle et malgré elle. Sauf que – et c’est peut-être de ce point de vue-là que La Mécanique de l’ombre se montre le plus prodigieux – l’ambiguïté reste intacte jusqu’à la fin de cette histoire, qui s’inspire autant des dispositifs éprouvés du thriller que d’un contexte social amèrement précaire. Ce qui ne veut pas dire que le protagoniste participerait activement et volontairement au montage du complot, puisque aucun élément de l’intrigue ne le laisse supposer, mais qu’absolument personne ne tient réellement les ficelles dans le monde globalisé des intérêts croisés, dans lequel chaque individu n’est désormais qu’un rouage hautement dispensable.

Conclusion

C’est du cinéma de genre comme nous l’aimons que nous propose ce premier film tout à fait réussi ! La Mécanique de l’ombre explore avec adresse les abîmes d’un microcosme fonctionnel jusqu’au nihilisme, aux décors urbains simultanément impressionnants et inquiétants et peuplé de personnages hauts en couleur, dont le magistralement machiavélique Denis Podalydès et l’impérialement froid Sami Bouajila. C’est néanmoins le jeu de François Cluzet qui nous a le plus subjugués ici, grâce à sa capacité jamais prise en défaut de conférer de l’humanité à un homme, qui vit pourtant émotionnellement retiré du monde.

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