Critique : La Ligne rouge

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La Ligne rouge

Etats-Unis, 1998
Titre original : The Thin Red Line
Réalisateur : Terrence Malick
Scénario : Terrence Malick, d’après le roman de James Jones
Acteurs : Jim Caviezel, Ben Chaplin, Elias Koteas
Distribution : Ciné Sorbonne
Durée : 2h51
Genre : Guerre
Date de sortie : 17 août 2016 (Reprise)

Note : 4/5

Le cas Terrence Malick a été perçu d’une manière sensiblement différente au moment de la sortie de La Ligne rouge il y a près de dix-huit ans par rapport à maintenant, quelques heures à peine après la présentation de son nouveau film au Festival de Venise. A l’époque, tout un mythe s’agençait autour du réalisateur, qui revenait alors au cinéma après un long hiatus, pour ce qui n’était que son troisième film en un quart de siècle. Depuis, il a adopté un rythme de travail plus régulier et prévisible, à tel point que la sortie de Voyage of time d’ici l’année prochaine ne fera plus sensation. Elle confirmera plutôt les avis désormais clairement établis dans l’esprit des spectateurs, soit fans, soit détracteurs du style de Terrence Malick. Comment ce lauréat de l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1999 a-t-il résisté au passage du temps et, peut-être plus important encore, à une plus grande familiarisation avec le regard plus ou moins ésotérique du réalisateur ? C’est toujours et plus que jamais un film puissant sur la guerre, dans le sens qu’il essaye d’en extraire l’essence brutale, tout en sachant pertinemment que la folie de tout conflit armé ne rime à rien, que tout ce qui en résulte est un rouleau-compresseur de destruction du corps et de l’âme des hommes.

Synopsis : En 1942, l’armée américaine s’engage dans la bataille de Guadalcanal. Tandis que le soldat déserteur Witt est affecté chez les brancardiers, la compagnie C sous le commandement du lieutenant Gordon Tall prend d’assaut les collines d’une petite île sur laquelle l’ennemi japonais a installé un aéroport de ravitaillement pour toute la région du Pacifique sud.

Atmosphère, atmosphère

Le cliché le plus tenace sur le travail de Terrence Malick consiste à le considérer comme une sorte d’illuminé, qui ne fait que des films à l’esthétique contemplative, truffés d’images à la beauté sublime sur une nature encore préservée. Il y en a sans doute un peu de cela dans La Ligne rouge, avec cette séquence initiale au flair paradisiaque, comme une parenthèse de paix et d’harmonie avant que le spectacle cynique de la guerre ne démarre. Or, globalement, ces échappées oniriques prennent des formes diverses au fil du récit et n’y occupent au demeurant qu’une place mineure. Ce qu’elles accomplissent par contre, c’est d’instaurer un rythme fortement envoûtant, basé sur un flux d’images qui s’encombre au pire accessoirement des règles d’une progression dramatique classique. Pour un film de près de trois heures, cette épopée au fil narratif volontairement décousu paraît en effet étonnamment courte, à condition bien sûr de se laisser emporter par l’invitation au voyage dans l’espace et le temps que le réalisateur émet avec une grâce cinématographique incomparable. Il s’agit d’une méditation, soit, mais nos souvenirs vagues de soldats traversant à tâtons différents théâtres de guerre en s’interrogeant en voix off sur le sens de la vie ont été relativisés par la redécouverte d’une œuvre qui fait au contraire la part belle au chaos horrible et insensé de la guerre en général et de cette bataille en particulier.

La peur sans la gloire

En dehors de la qualité exceptionnelle d’éléments techniques aussi essentiels que la photo de John Toll, la musique de Hans Zimmer et la bande son, un autre aspect particulièrement saisissant du film est sa capacité de personnifier l’angoisse permanente d’une mort qui frappe à l’aveuglette à travers des personnages plus ou moins longuement présents à l’écran. Bien que le cœur de l’intrigue batte à travers les rôles interprétés avec gravité et noblesse par les cinq acteurs principaux – Jim Caviezel, Ben Chaplin, Elias Koteas, Nick Nolte et Sean Penn – il émane du film une structure chorale qui transforme la guerre en une pénible expérience collective. La première victime de ce constat quasiment clinique du traumatisme causé à la fois dans la chair et l’esprit par la guerre est évidemment l’héroïsme, tout juste présent dans les tentatives poussives de la part de la hiérarchie militaire de citer tel ou tel vétéran à une récompense bidon. Pour le reste, tout n’est que manœuvre et fourberie dans la tentative désespérée de rester en vie, alors que les camarades tombent par dizaines sur le front. Dans ce refus de colporter le mythe de la guerre, par exemple encore tout à fait d’actualité dans le contemporain Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, réside la véritable grandeur de ce film, plus concret et sanglant que sa réputation partiellement erronée ne voudrait le faire croire.

Conclusion

La guerre est un massacre absolu, sans aucune possibilité de rédemption. Le troisième film de Terrence Malick aspire à refléter cette réalité lugubre avec des moyens assez éloignés du cinéma de guerre classique. La Ligne rouge n’est pas pour autant un film qui séduirait exclusivement par sa beauté plastique. Il s’emploie davantage à créer un long clip cauchemardesque, toutefois dépourvu d’effets de choc gratuits, qui en dit plus long sur la nature insensée de la guerre que tous les films plus conventionnels et consensuels du même genre réunis.

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