La French
France, 2014
Titre original : –
Réalisateur : Cédric Jimenez
Scénario : Audrey Diwan, Cédric Jimenez
Acteurs : Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Céline Sallette
Distribution : Gaumont Distribution
Durée : 2h15
Genre : Drame, Biopic
Date de sortie : 3 décembre 2014
Note : 3/5
Librement inspiré de faits réels qui ont marqué les années 70, ce film noir à l’ancienne rend efficacement hommage à une figure sortie d’un western qui a mis à mal le crime organisé sur le territoire phocéen avant de finir assassiné le 21 octobre 1981 à l’âge de 38 ans.
Synopsis : 1975. Juge pour mineurs de Metz, Pierre Michel est nommé à l’anti-banditisme à Marseille. Sa cible est la célèbre French Connection, plaque tournante du trafic de drogue entre la France et les Etats-Unis, dirigée par le parrain local Gaëtan Zampa.
Un incorruptible
Déterminé à démanteler définitivement l’une des plus grandes entreprises criminelles du Xxème siècle malgré les risques, le juge Michel s’est impliqué plus profondément dans son ambition de protéger ses concitoyens que bon nombre de ses collègues dans la justice et la police. Son travail acharné a permis des centaines d’arrestations, loin des compromissions antérieures à son arrivée, et cette première partie le montre clairement comme un héritier de Eliot Ness, le père des Incorruptibles même si l’on peut regretter l’insistance sur le côté ‘seul contre tous’. Jean Dujardin prête son charisme, son humour et son énergie tendue à ce personnage complexe déterminé à rendre justice malgré les menaces et les adversaires en tous genres et dont le surnom de « cow-boy » est autant un compliment qu’un reproche. Il porte avec efficacité la tragédie obsessionnelle de cet homme pressé, ancien joueur compulsif qui s’est trouvé une nouvelle addiction dans son engagement et son combat pour faire tomber Gaëtan Zampa interprété par Gilles Lellouche.
Ce vieux complice de Dujardin surprend dans une retenue inattendue chez lui, surtout dans un rôle qui aurait pu lui permettre de se laisser à une performance plus outrée comme certaines de ses interprétations récentes, ne citons que Krach ou Gibraltar. Leur duel s’effectue à distance et ils ne se croisent que rarement, notamment dans une scène improbable qui n’est pas sans rappeler la rencontre impromptue de Robert de Niro et Al Pacino dans Heat de Michael Mann. L’un des moments les plus savoureux de leur échange à distance est ce moment où le juge se moque ouvertement de son adversaire dans le don qu’il fait d’une tentative de corruption maladroite, son sourire narquois après son geste contrastant avec l’ire du gangster qui s’imprime sur son visage. On notera que son frère, celui qui apporte l’enveloppe douteuse, est interprété par Eric Collado, ex- Nous c’Nous, le groupe humoristique des débuts de Dujardin où officiait également Bruno Salomone.
L’ombre et la lumière de Marseille
Avec son deuxième long-métrage après Aux yeux de tous et son utilisation ambitieuse des caméras de surveillance, le réalisateur Cédric Jimenez signe une œuvre bien plus classique et grand public, sans ennui malgré un rythme plutôt lent. Les codes du genre sont respectés comme les trahisons, les morts violentes, la dénonciation de la corruption ou de la compromission des policiers et des élus, le maire de l’époque, Gaston Deferre, incarné par un Feodor Atkine méconnaissable, n’est pas épargné, autant dans son mandat local que lorsqu’il deviendra ministre… de l’intérieur ! Le réalisateur évite le manichéisme de la lutte entre le bien et le mal, appuyant sur les zones d’ombre et lumière des deux côtés de la loi. Face aux succès judiciaires du premier, la chute du deuxième est esquissé lentement mais sûrement. Cet intouchable qui imposait le silence aux autres est confronté à l’entêtement de son adversaire qui va sceller leur destin réciproque. Ce n’est pas évoqué dans le film, qui l’exonère clairement du meurtre programmé du juge (le scénario cible d’autres commanditaires) mais il ne survivra pas longtemps à Michel, se suicidant trois ans plus tard alors qu’il est en prison. La reconstitution d’époque est réaliste, jusqu’aux détails dans les décors, les costumes, les moustaches et coupes de cheveux mais sans être figée par ce travail d’orfèvre. Marseille est filmée de façon solaire, jusque dans les séquences les plus noires.
Parmi les seconds rôles, Benoît Magimel est un truand dérangé surnommé ‘Le fou’ et qu’il est préférable de ne pas rater lorsqu’on lui tire dessus, Guillaume Gouix, un (rare) policier loyal, Bernard Blancan le premier soutien du juge qui se plaint de ne plus reconnaître sa ville depuis l’explosion du trafic de drogue et Gérard Meylan quitte l’univers de Robert Guédiguian dans le rôle d’un flic pour le moins douteux. Côté féminin, le bilan n’est guère positif. Céline Sallette est l’épouse délaissée du juge, présente le temps de quelques scènes mais hélas sacrifiée par un scénario qui ne sait pas trop quoi faire de son personnage de ‘femme du héros’. Elle reste tout de même heureusement plus finement esquissée que celui de l’épouse de Zampa interprétée par Mélanie Doutey (déjà dans Aux yeux de tous) qui se limite à des apparitions fantômatiques de femme évanescente ne pensant qu’au confort de sa maison et à ses belles toilettes. Elle parle mais pour ne pas dire grand chose, ce qui peut être vu comme une critique d’un monde misogyne ou l’incapacité de caractériser un tel emploi de potiche.
Ceci n’est pas un film de William Friedkin
Ceux qui espèrent voir un hommage au cinéma noir américain des années 70 risquent d’être déçus, le style est loin d’être aussi virtuose que celui de la French Connection de William Friedkin et encore moins d’un Scorsese dont on sent parfois l’envie de lui ressembler avec une bande-son surchargée, très typée 70ies, qui convoque notamment le Bang-Bang de Sheila que l’on entend aussi dans la bande-annonce (Aux gendarmes et aux voleurs dans le texte pour mémoire) et un peu de Mike Brant itou. Le style de Cédric Jimenez se rapproche plus exactement de la suite signée John Frankenheimer tournée à Marseille, du polar italien de la même période (sans le même brio baroque) et s’inscrit finalement encore plus directement dans la continuité des films noirs français contemporains à l’action (ceux d’Henri Verneuil notamment) voire le récent diptyque Mesrine de Jean-François Richet. Ce classicisme sied à cette entreprise qui ne renouvelle pas le genre mais assure de passer un moment agréable dans une salle de cinéma.
Résumé
Sans renouveler le genre du film noir ni du biopic héroïque, Cédric Jimenez signe une oeuvre classique, parfois maladroite sur la forme et l’analyse d’une époque, mais pourtant prenante, notamment grâce à l’interprétation enlevée de Jean Dujardin.