Alors que la Cinémathèque Française est ces derniers jours dans l’actualité pour toutes les mauvaises raisons, l’illustre institution cinématographique a communiqué la semaine passée sa programmation pour le trimestre de l’hiver 2017/18. Dans le sillage international de l’affaire Harvey Weinstein, qui ébranle depuis un mois la communauté hollywoodienne, la polémique avait démarré côté parisien autour de la rétrospective consacrée en ce moment au réalisateur franco-polonais Roman Polanski, dont la soirée d’ouverture au début du mois de novembre était alors accompagnée de manifestations d’associations féministes. Dans un souci d’apaisement, le président de la Cinémathèque Costa-Gavras avait annoncé une semaine plus tard le report d’un hommage consacré à Jean-Claude Brisseau, prévu pour le mois de janvier, en raison d’une condamnation du réalisateur français en 2005 pour harcèlement sexuel de deux jeunes actrices. La secrétaire d’état chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa avait auparavant fait part de son indignation face à cette contribution indirecte à la culture du viol. Enfin, pas assez de cette attention peu glorieuse et nullement désirée, le conseil d’administration de la Société des réalisateurs auquel appartiennent entre autres les réalisatrices Catherine Corsini, Pascale Ferran, Katell Quillévéré, Céline Sciamma et Rebecca Zlotowski et qui est responsable de la Quinzaine des réalisateurs cannoise, a fait part dans un communiqué du 10 novembre dernier de sa déception face à la gestion de la crise par la direction de la Cinémathèque Française, qu’il juge incapable de « produire de la pensée » à partir de ces événements et qu’il accuse de « joue(r) la fuite ».
Dans un contexte si potentiellement houleux, le temple du cinéma du côté de Bercy nous a néanmoins préparé une fois de plus une sélection des plus riches et éclectiques pour les trois mois à venir. A commencer par une rétrospective consacrée au réalisateur allemand Max Ophüls (1902-1957) pendant le mois de décembre. L’occasion rêvée de découvrir les trois périodes de l’œuvre de ce cinéaste hautement sophistiqué : ses films tournés pendant les années ’30 dans différents pays européens, comme l’Allemagne, l’Italie et la France, tels que Liebelei, Le Roman de Werther, Sans lendemain et De Mayerling à Sarajevo, puis la parenthèse américaine avec ses quatre films dont le chef-d’œuvre Lettre d’une inconnue, puis son retour en France à partir des années ’50 et les pas moins magistraux La Ronde, Le Plaisir, Madame de et Lola Montès. Au début du cycle, il y aura la traditionnelle conférence « Qui êtes-vous … ? », le jeudi 30 novembre par le Vincent Amiel, ainsi qu’à sa fin quatre semaines plus tard, un documentaire-portrait de Max Ophüls, tourné en 2009 par son fils Marcel Ophüls.
En parallèle, pendant la première quinzaine du mois de décembre, les spectateurs assidus de l’American Center pourront découvrir une sélection de films colombiens d’hier, d’aujourd’hui et de demain, dans le cadre de l’année France-Colombie 2017. La programmation comprend quatorze longs-métrages, regroupés en sept mini-cycles qui s’articulent chaque fois à travers un film d’un jeune cinéaste colombien contemporain qui a choisi un film important de l’Histoire du cinéma de son pays. Seront ainsi représentés César Augusto Acevedo (La Terre et l’ombre), Ciro Guerra (L’Étreinte du serpent), Felipe Guerrero (Oscuro animal), Franco Lolli (Gente de bien), Ruben Mendoza (Tierra en la lengua), Nicolas Rincon Gille (Los abrazos del rio) et Oscar Ruiz Navia (Los hongos). Trois programmes de courts-métrages compléteront le cycle, qui sera ouvert le jeudi 30 novembre par la projection en avant-première de Los Nadie de Juan Sebastian Mesa.
En guise d’hommage nostalgique à cette année 2017, qui a vu disparaître tant de maîtres de l’horreur, la Cinémathèque Française montre les films de George A. Romero (1940-2017) pendant les deux dernières semaines du mois de décembre. En effet, on ne pourrait pas s’imaginer meilleure échappatoire à l’esprit de Noël que de côtoyer les zombies et autres créatures horrifiques qui peuplent des films de genre aussi incontournables que La Nuit des morts-vivants, La Nuit des fous vivants, Zombie, Le Jour des morts-vivants et La Part des ténèbres. La rétrospective donne également leur chance aux films plus atypiques du réalisateur, tels que Martin, Knightriders et Bruiser. Tandis que ses derniers films se contentaient principalement à répéter ou au mieux à moderniser modestement la recette de ses plus grands succès, L’Armée des morts de Zack Snyder fait office de remake plutôt réussi, qui sera donc logiquement projeté vers la fin de cette programmation sanglante. Deux conférences enrichiront la réflexion sur l’univers des zombies à la Romero : la première par le journaliste Vincent Malausa sur l’horreur comme jeu de stratégie et sport de combat le jeudi 14 décembre et deux jours plus tard un dialogue avec le réalisateur Bertrand Bonello, animé par Jean-François Rauger.
Une disparition plus discrète de ces derniers mois était celle du réalisateur français Hervé Le Roux (1956-2017). Pendant un week-end prolongé à la mi-décembre, la Cinémathèque Française projettera ses quatre films au croisement entre la fiction et le documentaire, dont Grand bonheur et On appelle ça … le printemps, ainsi qu’en avant-première son dernier film Portrait de Madame Manet sur un canapé bleu. De nombreux amis et collaborateurs de Hervé Le Roux viendront présenter ses films, dont les acteurs Marilyne Canto, Antoine Chappey et Nathalie Richard, les producteurs Richard Copans et Serge Lalou, ainsi que les habitués des lieux Alain Bergala et Dominique Païni.
La puissance du paradoxe dans la filmographie du réalisateur américain Samuel Fuller (1912-1997) est explorée de façon exhaustive pendant les six premières semaines de l’année 2018 à la Cinémathèque. Le maître du film de genre pourra être dignement célébré à travers vingt-trois de ses films à la force brute, dont les plus mémorables sont J’ai tué Jesse James avec Preston Foster, Violence sur Park Row avec Gene Evans, Le Port de la drogue avec Richard Widmark, Maison de bambou avec Robert Ryan, Quarante tueurs avec Barbara Stanwyck, Les Maraudeurs attaquent avec Jeff Chandler, Shock corridor et Police spéciale avec Constance Towers, Au-delà de la gloire avec Lee Marvin et Dressé pour tuer avec Kristy McNichol. Puisque Samuel Fuller a également été scénariste et acteur, le cycle montrera respectivement Jenny femme marquée de Douglas Sirk, L’Inexorable enquête de Phil Karlson et L’Homme du clan de Terence Young côté écriture, ainsi que Pierrot le fou de Jean-Luc Godard côté interprétation. En plus de l’habituelle conférence « Qui êtes-vous … ? » par Frank Lafond, auteur du livre « Samuel Fuller Jusqu’à l’épuisment » qui paraîtra chez Rouge profond au mois de décembre, un ouvrage collectif sous la direction de Jacques Déniel et Jean-François Rauger paraîtra chez les Éditions Yellow Now le 16 janvier 2018 sous le titre « Samuel Fuller Le Choc et la caresse ».
Le remplaçant involontaire de la rétrospective Jean-Claude Brisseau serait le réalisateur portugais Paulo Rocha (1935-2012), dont la filmographie clairsemée et méconnue rythmera également le mois de janvier à la Cinémathèque. Bien qu’il ait réalisé des films pendant près d’un demi-siècle, Rocha n’est l’auteur que d’une poignée de longs-métrages. Après des débuts prometteurs au milieu des années ’60 avec Les Vertes années et Changer de vie, il fait en effet une pause de près de quinze ans, afin de mieux revenir avec L’Île des amours – présenté en compétition au Festival de Cannes en 1982 – et Les Montagnes de la lune – présenté en compétition au Festival de Venise en 1987. Puis une autre parenthèse d’absence des écrans de cinéma pendant une dizaine d’années, avant une nouvelle activité créatrice au tournant du siècle, à travers Le Fleuve d’or et La Racine du cœur.
Si l’incursion dans le cinéma colombien était déjà assez exotique, la Cinémathèque Française fait office de découvreuse de cinématographies quasiment inexplorées, grâce à son cycle sur le cinéma lituanien pendant la deuxième quinzaine du mois de janvier 2018. Le réalisateur lituanien le plus connu, Jonas Mekas (*1922), aura droit à un week-end hommage, du 26 au 28 janvier, au cours duquel il présentera quatre de ses films, dont l’épique – par sa durée de près de cinq heures – As I was moving ahead occasionally I saw brief glimpses of beauty, il participera à un dialogue avec Patrice Rollet et Caroline Maleville et signera plusieurs de ses ouvrages à la libraire de la Cinémathèque. Et la plus prestigieuse des productions récentes lituaniennes, Frost de Sharunas Bartas, fera l’objet d’une présentation en séance privée, en présence du réalisateur et de l’actrice Vanessa Paradis le lundi 15 janvier. Mais l’avantage principal de ce cycle est de projeter une douzaine de films originaires de ce petit pays baltique que l’on n’aura point l’occasion de voir autrement. Il y aura également des programmes de courts-métrages contemporains, d’animation et documentaires des années ’90. Enfin, le prétexte historique de cette rétrospective est le rétablissement de l’État lituanien il y a une siècle.
Pour la première fois, la Cinémathèque Française s’associe étroitement au Festival de Gérardmer, dont la compétition sera reprise début février sous le titre « Gérardmer à Paris ». Le 25ème Festival International du Film Fantastique aura lieu dans les Vosges du 31 janvier au 4 février. En théorie, le cycle parisien est prévu de se dérouler en parallèle, ce qui nous paraît tout de même un peu incongru, vu que cette simultanéité nuira à l’attractivité du festival en province … En attendant l’annonce des noms des titres retenus pour ce festival de film de genre immanquable.
Près de quatre ans sont passées depuis que feu le festival « Théâtres au cinéma » de Bobigny rendait hommage à la réalisatrice belge Chantal Akerman (1950-2015). Il est donc temps de réévaluer sa filmographie foisonnante, d’autant plus que cette cinéaste farouchement féministe et expérimentale nous a quittés depuis. Les quatre semaines du mois de février sont placées à la Cinémathèque sous le signe de sa joie impermanente, qui se manifeste autant dans ses films de fiction, comme Jeanne Dielman 23 Quai du Commerce 1080 Bruxelles avec Delphine Seyrig, Les Rendez-vous d’Anna avec Aurore Clément, La Captive et La Folie Almayer avec Stanislas Merhar, que dans ses documentaires comme Hôtel Monterey, D’Est, Là-bas et No Home Movie. Treize de ses films seront présentés par ses collaborateurs, entre autres la monteuse Claire Atherton, les acteurs Stanislas Merhar, Nathalie Richard et Sylvie Testud et les chefs opérateurs Caroline Champetier et Rémon Fromont. Et il y aura forcément un riche accompagnement conférencier par le biais de l’intervention sur l’espace pendant un certain temps chez Chantal Akerman du journaliste Jérôme Momcilovic, qui publiera en février 2018 un essai sur la cinéaste, et de deux dialogues, avec la monteuse Claire Atherton et l’actrice Aurore Clément.
Une forme en apparence plus classique de l’horreur que celle de Romero ou celle présentée chaque année à Gérardmer est à l’affiche à la Cinémathèque Française à partir de la mi-février, grâce à la rétrospective du réalisateur américain Tod Browning (1880-1962). Célèbre de son vivant surtout pour avoir lancé l’âge d’or des monstres chez Universal au début des années ’30 à travers Dracula avec Bela Lugosi, Browning a été tardivement redécouvert grâce à son film culte Freaks La Monstrueuse parade. Une part importante de la rétrospective est consacrée à ses films muets, dont sept bénéficieront d’un accompagnement musical par les élèves de la classe d’improvisation au piano de Jean-François Zygel du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Enfin, les conférences ne manqueront pas à l’appel, puisque l’écrivain Pacôme Thiellement donnera une introduction à l’œuvre de Tod Browning le jeudi 15 février et que la programmatrice des séances d’avant-garde à la Cinémathèque Nicole Brenez s’intéressera à sa relation artistique avec l’acteur Lon Chaney, avec lequel il avait tourné dix films pendant les années 1920.
Pour finir tout en beauté cette programmation éclectique du trimestre hivernal, en attendant la sixième édition du festival « Toute la mémoire du monde » qui aura lieu début mars 2018, la Cinémathèque Française s’attardera pendant une semaine – seulement – sur le travail du chef opérateur italien Vittorio Storaro (*1940). Treize films mis en images par ce maître de la caméra seront montrés, dont ses trois films oscarisés Apocalypse now de Francis Ford Coppola – projeté à partir de la copie personnelle de Storaro –, Reds de Warren Beatty et Le Dernier empereur de Bernardo Bertolucci. De même au programme, ses collaborations avec Woody Allen (Café Society), Dario Argento (L’Oiseau au plumage de cristal), Beatty (Dick Tracy), Bertolucci (Le Conformiste et Le Dernier tango à Paris), Coppola (Coup de cœur et Tucker) et Carlos Saura (Tango). Le chef opérateur donnera une leçon de cinéma le samedi 3 mars, animée par le directeur général de la Cinémathèque Française Frédéric Bonnaud et le réalisateur Pierre Filmon.