Tout juste remise de la dixième édition du festival « Toute la mémoire du monde » qui a eu lieu début mars à Bercy et hors des murs dans les salles de patrimoine partenaires, la Cinémathèque Française a d’ores et déjà enchaîné sur son programme du printemps 2023. D’ici fin mai, cinq rétrospectives et quatre cycles thématiques feront vibrer les cœurs des cinéphiles franciliens dans les trois salles de projection de l’illustre institution parisienne. La grande exposition « Top secret » sur le cinéma d’espionnage prendra congé, quant à elle, quelques jours plus tôt, puisqu’elle fermera ses portes dès le dimanche 21 mai. Elle sera accompagnée par le troisième et dernier volet en vingt titres des classiques du film d’espionnage, y compris Espion(s) de Nicolas Saada et L’Homme qui en savait trop de Alfred Hitchcock qui seront présentés ce week-end dans le cadre de deux discussions avec Nicolas Saada.
Les deux autres cycles thématiques seront un coup de projecteur sur 25 films indispensables de la science-fiction et une étude en 21 séances de courts-métrages expérimentaux de l’image des plaisirs. Le premier a commencé en fanfare dès hier soir avec la séance d’ouverture complète d’Abyss de James Cameron, projeté en 70 mm. Il se poursuivra encore pendant trois semaines, jusqu’au vendredi 7 avril, avec des chefs-d’œuvre du genre tels que 2001 L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, Alien de Ridley Scott et Starman de John Carpenter, tous présentés dans de prestigieuses copies 70 mm. Le deuxième, infiniment plus sulfureux, s’intéressera au mois de mai et en 215 courts-métrages radicaux à la représentation de l’acte sexuel dans le cinéma expérimental.
Enfin, du côté plus administratif, la plateforme américaine de vidéo en ligne Netflix est devenue début février grand mécène de la Cinémathèque Française. Déjà associée à la reconstruction du monument du cinéma muet Napoléon de Abel Gance il y a quatre ans, elle s’engage pour les trois ans à venir dans le soutien de la programmation, du festival « Toute la mémoire du monde » dont elle est le partenaire officiel, des expositions temporaires, ainsi que des activités pour le jeune public.
La Warner, désormais Warner Bros. Discovery, n’est pas en reste, puisqu’elle a, elle aussi, renouvelé son engagement en faveur de la Cinémathèque au début du mois de mars. Cette amitié institutionnelle s’articulera surtout cette année autour de la célébration du centenaire du célèbre studio hollywoodien. Après un premier cycle autour de sa fonction de fabrique des stars, la fête continuera cet été avec un coup de projecteur sur les œuvres majeures du Nouvel Hollywood produites par la Warner dans les années 1970, puis à la rentrée à travers une rétrospective intégrale des plus de cent longs-métrages de Raoul Walsh, sous réserve de leur préservation.
Rétrospective Richard Lester, jusqu’au 12 avril
Que reste-t-il de la filmographie du réalisateur américain et pourtant étroitement associé au cinéma britannique Richard Lester (* 1932), plus de quarante ans après la sortie de son dernier film en 1989, Le Retour des mousquetaires ? En premier lieu, son association avec les Beatles sur des films aussi marquants que Quatre garçons dans le vent et Help ! et son rôle important dans le reflet sur grand écran du Swinging London des années ’60, dont le témoin le plus fidèle reste Le Knack … et comment l’avoir avec Rita Tushingham, Palme d’or au Festival de Cannes en 1965. Puis sa fidélité à des univers populaires comme celui des trois mousquetaires, en trois films entre 1973 et ’89, et Superman sous les traits de Christopher Reeve lors des deux premières suites.
Mais en bien fouillant parmi la vingtaine de longs-métrages projetés actuellement à la Cinémathèque, vous y trouverez de même quelques perles rares comme La Rose et la flèche, le chant de cygne de Robin des Bois avec Sean Connery et Audrey Hepburn, le thriller maritime haletant Terreur sur le Britannic avec Richard Harris et Omar Sharif et la farce romaine Le Forum en folie, l’improbable gagnant de l’Oscar de la Meilleure musique adaptée en 1967 et le dernier film du génial Buster Keaton. La rétrospective sera enrichie par la traditionnelle conférence « Qui êtes-vous … ? » tenue cette fois par le journaliste Léo Soesanto jeudi prochain à 19h00, et par un dialogue deux jours plus tard, le samedi 25 mars donc, à 14h30 avec Michka Assayas, journaliste spécialisé dans la musique rock et les Beatles.
Rétrospective Hugo Fregonese, du 29 mars au 14 avril
La Cinémathèque Française prendra la relève de celle de Bologne, qui avait consacré une rétrospective au réalisateur argentin Hugo Fregonese (1908-1987) l’été dernier dans le cadre de son festival « Il cinema ritrovato ». C’est un prétexte comme un autre pour présenter le travail d’un cinéaste trop longtemps considéré comme un simple faiseur de films de série B. Alors que, effectivement, son parcours hollywoodien se résume essentiellement à cela, c’est-à-dire à des westerns ou des films d’aventure, produits à la pelle dans les années ’50, le regard plus précis vaut la peine pour mieux apprécier la filmographie ardente et singulière d’un grand amateur de la fatalité et de la violence crue sur fond de mythes ancestraux.
Deux semaines début avril devront suffire pour faire le tour de ce corpus filmique aux accents cosmopolites. En effet, Hugo Fregonese avait tourné quatre films dans son pays natal dans les années 1940, dont le percutant thriller L’Affaire de Buenos Aires qui lui avait ouvert les portes d’Hollywood. Dès 1950 et L’Impasse maudite avec James Mason, il y avait fait modestement fortune chez Universal, puis chez Columbia, RKO, la Warner, la 20th Century Fox et United Artists. Des studios pour lesquels il avait réalisé une dizaine de films, dont Quand les tambours s’arrêteront avec Stephen McNally, Pages galantes de Boccace avec Joan Fontaine et Louis Jourdan, Le Souffle sauvage avec Gary Cooper et Barbara Stanwyck, Le Tueur de Londres avec Jack Palance, Le Raid avec Van Heflin et Anne Bancroft et Mardi ça saignera ! avec Edward G. Robinson.
A partir du milieu des années ’50, Hugo Fregonese s’était davantage dirigé vers le marché européen, où il avait réalisé Les Sept tonnerres avec Stephen Boyd et Harry Black et le tigre avec Stewart Granger au Royaume-Uni, Marco Polo avec Rory Calhoun en Italie, ainsi qu’en Allemagne Mission spéciale au deuxième bureau avec Peter Van Eyck et Les Cavaliers rouges avec Lex Barker et Pierre Brice. Il avait terminé son parcours cinématographique en Espagne avec La Pampa sauvage avec Robert Taylor et, finalement de retour dans son pays d’origine, avec La mala vida en 1973.
Le samedi 1er avril à 14h30, le directeur de la programmation de la Cinémathèque Française Jean-François Rauger animera un dialogue à l’issue de la projection du Raid.
Warner Bros. Fabrique de stars, du 5 avril au 18 mai
A partir d’un patrimoine de quelques milliers de films produits par la Warner au fil du premier siècle de son existence, la Cinémathèque Française en a choisi une petite quarantaine pour rendre hommage au studio légendaire. Cette sélection ne s’est pas faite au hasard, puisqu’elle se conjugue selon les vedettes de ces films de studio représentatifs surtout des années 1930. Sept comédiens, quatre hommes et trois femmes, qui doivent leur bonne fortune aux frères Warner sont ainsi remis sur le devant de la scène, même si des légendes du cinéma comme Humphrey Bogart, James Cagney, Bette Davis et Errol Flynn n’en avaient peut-être pas besoin de toute urgence …
Priorité aux dames : même si l’on ne présente plus Bette Davis (1908-1989), les six films au programme résument très bien ses rapports conflictuels avec le studio qui ne l’a fait grandir que grâce à son entêtement et son ambition sans faille. De L’Intruse de Alfred E. Green pour lequel elle avait reçu son premier Oscar en 1936 jusqu’à Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich pour lequel elle avait obtenu sa dixième nomination près de trente ans plus tard, ces mélodrames sublimes et autres films d’horreur grotesques condensent parfaitement la carrière d’une actrice hors pair.
L’heure de gloire de Joan Blondell (1906-1979) était sensiblement plus brève, puisque ses personnages de femmes sensuelles et délurées faisaient surtout recette au début des années ’30 dans des films comme L’Ange blanc de William A. Wellman et Blonde Crazy de Roy Del Ruth. Enfin, Kay Francis (1905-1968) était certes sous contrat chez la Warner. Mais ce n’est pas là qu’elle a tenu ses rôles les plus mémorables dont Haute pègre de Ernst Lubitsch. Qu’à cela ne tienne, la Cinémathèque a inclus trois de ses films, y compris Voyage sans retour de Tay Garnett et Agent britannique de Michael Curtiz.
L’incomparable Humphrey Bogart (1899-1957) bénéficie de l’exposition la plus large au sein de ce cycle collégial. Et comment pourrait-il en être autrement, puisque son nom mythique est étroitement lié à celui du studio pas moins prestigieux ? Parmi les neuf films projetés, les chefs-d’œuvre sont nombreux : Le Faucon maltais et Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston, Casablanca de Michael Curtiz et Le Grand sommeil de Howard Hawks pour ne citer qu’eux.
Deux contemporains directs de Bogart, parfois rivaux, parfois partenaires à l’écran, devront se contenter du même nombre de films cumulé. Pourtant, et James Cagney (1899-1986), et Edward G. Robinson (1893-1973) ont largement mérité leur place dans l’Histoire du cinéma. Le premier s’illustrera dans cinq films dont ses rôles phares dans L’Ennemi public de William A. Wellman, Les Anges aux figures sales et La Glorieuse parade de Michael Curtiz pour lequel il avait gagné l’Oscar du Meilleur acteur en 1943. Quant au deuxième, il excellera dans l’emploi de crapules plus ou moins sophistiquées dans Le Petit géant de Roy Del Ruth et Guerre au crime de William Keighley.
Enfin, la Cinémathèque Française réservera de même une place de choix au plus grand charmeur des studios Warner. Nous avons nommé Errol Flynn (1909-1959). La plupart du temps en tandem avec sa partenaire attitrée Olivia De Havilland et mis en scène par Michael Curtiz, il fera chavirer les cœurs entre autres dans Capitaine Blood, La Charge de la brigade légère, Les Aventures de Robin des Bois et La Piste de Santa Fé.
Rétrospective Peter Bogdanovich, du 12 au 30 avril
Depuis la disparition il y a un an, en janvier de l’année dernière, du réalisateur américain Peter Bogdanovich (1939-2022), les initiatives pour lui rendre hommage se multiplient en France. Rien que chez Carlotta Films, il y a eu d’abord la sortie d’un coffret de blu-rays en juin 2022 avec notamment le documentaire sur Buster Keaton. Et il y aura début avril la réédition du livre d’entretiens de Bogdanovich avec le journaliste et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret. Ce dernier se prêtera par ailleurs deux samedis de suite, le 15 et le 22 avril, à l’exercice du dialogue avec Bernard Benoliel, le directeur de l’action culturelle et éducative de la Cinémathèque Française. Le premier se tiendra à la suite de la projection de La Dernière séance, le film phare de la carrière du réalisateur, et le deuxième aura pour sujet Saint Jack.
Après des débuts fracassants, grâce à La Cible, La Dernière séance, On s’fait la valise docteur ? et La Barbe à papa, la carrière de Peter Bogdanovich n’avait jamais vraiment retrouvé son lustre initial. Y aura-t-il des découvertes insoupçonnées parmi la vingtaine de films, fictions et documentaires mélangés, qui seront projetés au 51 rue de Bercy ? Rien n’est moins sûr. Voir ou revoir des films aussi méconnus ou mésestimés que Texasville, Bruits de coulisses, Nashville Blues, Un parfum de meurtre et Broadway Therapy permettra en tout cas de se faire une idée plus précise de cette filmographie en dents de scie ou plutôt en chute libre dès le début des années ’80. Quoiqu’il en soit, le cycle sera l’occasion rêvée d’empêcher le travail de l’un des plus grands réalisateurs cinéphiles au monde, au même titre que Martin Scorsese et Quentin Tarantino, de tomber dans l’oubli !
Rétrospective Mario Monicelli, du 26 avril au 29 mai
Le morceau de résistance de cette programmation du printemps surviendra vers sa fin, grâce à un mois entier consacré à l’immense réalisateur italien Mario Monicelli (1915-2010). Au vu de son exceptionnelle longévité – de son premier film Au diable la célébrité en 1949 jusqu’à son dernier Les Roses du désert en 2006 –, il y a largement de quoi faire. Ce sont donc près de cinquante longs-métrages réalisés ou co-réalisés par Monicelli qui feront le bonheur des passionnés de cinéma privés de séjour cannois. Sur la Croisette, le maître de la comédie italienne avait fait chou blanc malgré quatre sélections en compétition, alors qu’il avait gagné le Lion d’or au Festival de Venise en 1959 pour La Grande guerre, ainsi que trois Ours d’argent du Meilleur réalisateur à Berlin pour Pères et fils, Caro Michele et Le Marquis s’amuse.
Un parcours fort honorable en somme, qui n’a hélas pas bénéficié jusque là d’un travail de restauration numérique d’envergure. Ainsi, ce sera uniquement une petite minorité de quatorze films qui sera projetée en DCP dans les salles de la Cinémathèque.
Ils ont tous joué pour lui, sans compter. Tous les acteurs de légende du cinéma italien sont passés devant la caméra de Mario Monicelli. De ses acteurs fétiches comme Toto, Vittorio Gassman, Alberto Sordi, Marcello Mastroianni et Ugo Tognazzi et ses muses indémodables que sont Monica Vitti, Anna Magnani, Silvana Mangano et Ornella Muti, jusqu’à des collaborateurs internationaux plus ponctuels mais tout aussi prestigieux, tels que Catherine Deneuve, Goldie Hawn, Liv Ullmann, Shelley Winters, Gérard Depardieu, Mel Ferrer et Ben Gazzara. Bref que du beau monde, qu’on se fera un plaisir de retrouver dans des films aussi emblématiques du style irrévérencieux du réalisateur que Le Pigeon, Larmes de joie, Les Camarades, L’Armée Brancaleone, La Fille au pistolet et Mes chers amis.
Rétrospective Yann Dedet, du 10 au 19 mai
Pour quelqu’un qui exerce une activité aussi discrète que le montage, Yann Dedet (* 1946) est décidément partout ces derniers temps. Depuis le début de la décennie, il a écrit deux livres (Le Spectateur zéro et Le Principe du clap, parus aux éditions P.O.L.) et malgré son âge honorable, il continue de travailler très régulièrement, comme récemment pour Cédric Kahn (Fête de famille) et Emmanuelle Bercot (De son vivant). A la Cinémathèque Française au mois de mai, il sera carrément omniprésent pendant une bonne semaine puisqu’il introduira chacun des dix-sept films présentés et qu’il proposera au public après chaque projection de continuer la discussion à l’extérieur de la salle !
Cette formule de l’accompagnement rapproché avait déjà fait ses preuves il y a une dizaine d’années, en 2012, quand le réalisateur Alain Cavalier avait quasiment élu domicile du côté de Bercy. Yann Dedet n’ira pas aussi loin, même s’il participera à une leçon de cinéma le samedi 13 mai à 14h30, animée par Frédéric Bonnaud, le directeur général de la Cinémathèque, et suivie par une signature de ses ouvrages à la librairie de la Cinémathèque.
Seulement une dizaine de films, alors que ce monteur français d’exception a assuré le rythme et le découpage de près d’une centaine de longs-métrages en plus de cinquante ans de carrière ?! Le choix sera forcément réducteur et exclura ses collaborations avec Nicole Garcia (Le Fils préféré), Laetitia Masson (En avoir [ou pas]), Laurence Ferreira Barbosa (La Vie moderne), Amos Gitai (Terre promise et Free Zone), Pascale Ferran (Lady Chatterley), Maïwenn (Polisse), Pascal Thomas (Valentin Valentin) et Eric Besnard (Le Goût des merveilles). Par contre, les films inclus permettent d’effectuer un tour d’horizon fort instructif du travail de titan fourni par Dedet.
A commencer par sa collaboration soutenue avec François Truffaut, représentée ici par Les Deux Anglaises et le continent. Des années ’70, le maître-monteur a de même retenu Les Cloches de Silésie de Peter Fleischmann, Sweet Movie de Dušan Makavejev et Passe montagne de Jean-François Stévenin. Il faut croire qu’il est resté assez indifférent envers la décennie suivante, puisque ce sont surtout des films des années ’90 qui ponctuent cette rétrospective partielle.
De J’entends plus la guitare de Philippe Garrel, Mona et moi de Patrick Grandperret et Outremer de Brigitte Roüan, tous sortis en 1990, jusqu’à Presque rien de Sébastien Lifshitz sorti dix ans plus tard, en passant par Van Gogh de Maurice Pialat, Trop de bonheur de Cédric Kahn, Nénette et Boni de Claire Denis et Western de Manuel Poirier, Yann Dedet a visiblement beaucoup de choses à dire sur cette partie-là de son illustre carrière. Les années 2010 devront se contenter de quatre films : Le Sens de l’humour de Marilyne Canto, Les Femmes de Visegrad de Jasmila Zbanic, L’Économie du couple de Joachim Lafosse et I am not a Witch de Rungano Nyoni.