Le bout du tunnel approche à grande vitesse. A partir de demain, il sera enfin à nouveau possible de se faire une toile en France, après plus de six mois de fermeture complète des salles de cinéma. Enfin, l’expérience fâcheuse de l’hiver dernier, quand tout avait l’air d’être prêt pour une réouverture à la mi-décembre, nous a quand même laissé un mauvais arrière-goût. Et pas qu’à nous, puisque la Cinémathèque Française avait alors dû remettre à plus tard sa programmation initialement prévue à ce moment-là. Cette fois-ci, les indicateurs sanitaires semblent toutefois être suffisamment au jaune pour ne pas mettre sérieusement en péril l’agenda progressif de retour à la normale prévu par le gouvernement. Jusqu’à la prochaine vague de la pandémie. Mais nous ne sommes pas encore là. Heureusement !
C’est donc dans quelques heures, le mercredi 19 mai dès midi, que l’illustre institution dédiée à la cinéphilie sous toutes ses formes rouvrira ses portes du côté de Bercy. Avec tout d’abord cette fameuse exposition consacrée au génie de la comédie à la française Louis De Funès, qui vivra enfin son dernier chapitre jusqu’au dimanche 1er août. Elle sera accompagnée par les derniers soubresauts de la rétrospective dédiée au comédien, à travers des séances d’après-midi tous les week-ends. Les 12 et 13 juin, les deux films avec De Funès réalisés par Serge Korber, L’Homme orchestre et Sur un arbre perché, seront projetés en présence du metteur en scène.
Puis, ce sera surtout l’ouverture tant attendue du Musée Méliès, censé mettre en avant le travail du premier virtuose des effets spéciaux et autres films fantastiques Georges Méliès. Sur 800 m², une collection unique au monde vous fera découvrir les machines, costumes, dessins et maquettes de l’univers fantasmagorique de Méliès. Cette exposition permanente est censée se dérouler jusqu’en décembre 2025 ! Rien ne presse donc, sauf l’accès gratuit aux deux expositions actuelles de la Cinémathèque, tous les jeudis du 20 mai au 24 juin pour les spectateurs âgés de 18 à 25 ans sous réserves d’une réservation au préalable.
Le Cinéma américain de Bertrand Tavernier, du 19 au 26 mai
Bertrand Tavernier (1941-2021) était le genre de cinéaste pour qui et grâce à qui des temples du cinéma comme la Cinémathèque Française existent. Certes, il menait avant tout bataille en faveur du cinéma du monde entier du côté de Lyon, à l’Institut Lumière. C’est par ce fait provincial que l’absence d’une rétrospective en son honneur, au moins depuis le déménagement dans l’American Center en septembre 2005, peut éventuellement s’expliquer. Il n’empêche que le réalisateur de Coup de torchon se sentait indéniablement proche de l’institution créée par Henri Langlois.
Ainsi, pour l’édition 2021 du festival du film restauré « Toute la mémoire du monde » initialement prévue au mois de mars, il avait programmé une sélection de films américains qui lui tenaient particulièrement à cœur. Une carte blanche hautement éclectique en est sortie, avec des films américains des années 1930 jusqu’aux années 2000, tous prêts à être (re)découverts. La séance de chacun des douze films retenus débutera par la lecture du texte de Bertrand Tavernier, écrit pour accompagner le film. Parmi ses choix, on trouvera des films de Clarence Brown (Déchéance), Edward L. Cahn (Afraid to talk), Ted Post (Le Merdier), Paul Schrader (Blue Collar), ainsi que les chants de cygne de John Frankenheimer (le téléfilm « Sur le chemin de la guerre ») et de Robert Altman (The Last Show).
Chaque film sera projeté à deux reprises, en règle générale d’abord en salle Henri Langlois, puis en salle Georges Franju. A noter que la Cinémathèque Française sera tenue de respecter les jauges imposées pendant les premières semaines du déconfinement. Par conséquent, la toute première séance de la reprise, Quick Millions de Rowland Brown avec Spencer Tracy demain soir, est d’ores et déjà complète au niveau des préventes. Des billets seront toutefois encore disponibles sur place une heure avant.
Rétrospective Hiroshi Shimizu, du 26 mai au 20 juin
Annoncé d’abord pour l’automne dernier, ensuite repoussé au printemps, le coup de projecteur sur la filmographie de l’un des réalisateurs japonais les plus méconnus du public occidental aura finalement lieu à partir de la semaine prochaine. Un contemporain de Yasujiro Ozu et Kenji Mizoguchi, Hiroshi Shimizu (1903-1966) aura tourné près de 150 films entre 1924 et 1959. La plupart d’entre eux sont hélas perdus à jamais. La Cinémathèque en montrera la cinquantaine de longs-métrages passés à la postérité dans le cadre de cette plus grande rétrospective jamais consacrée en dehors du Japon à Shimizu. Elle sera reprise intégralement à la Maison de la culture du Japon à Paris, près de la Tour Eiffel, du mardi 22 juin au samedi 31 juillet.
Le considérable cachet de rareté de ces films sera encore accru par l’accompagnement musical de trois d’entre eux, Perle éternelle, Jeunes filles japonaises sur le port et Les Sept mers, par les élèves de la classe d’improvisation de Jean-François Zygel le dernier week-end du mois de mai. Et si, comme nous, vous êtes curieux d’en savoir plus sur ce cinéaste obscur, la conférence du cycle « Qui êtes-vous … ? », le jeudi 17 juin par Fabrice Arduini, programmateur à la MCJP, est faite pour vous !
Rétrospective Wang Bing, du 9 au 21 juin
Contrairement à ses habitudes, la Cinémathèque Française reste en mode asiatique avec son cycle suivant. On passe à présent du côté de la Chine avec un réalisateur de documentaires à qui son prestige festivalier aura permis d’être étonnamment bien exposé sur les écrans de cinéma français. En effet, c’est près d’une dizaine de films de Wang Bing (* 1967) qui ont eu l’honneur d’une sortie commerciale dans notre pays. Cet exploit est d’autant plus notable que le style dépouillé et contemplatif du réalisateur ne se prête guère au succès public. Sans oublier que ses œuvres ont tendance à être longues, très longues, comme sa carte de visite en quelque sorte aux spectateurs français, A l’ouest des rails et ses neuf heures réparties en trois chapitres, sorti en juin 2004 !
Depuis, Wang est passé par les festivals de Venise (Le Fossé, Les Trois sœurs du Yunnan et Argent amer), Locarno (Madame Fang, Léopard d’or en 2017) et Cannes, où son dernier film Les Âmes mortes et ses plus de huit heures au compteur furent présentés hors compétition. L’un de ses premiers films, Fengming Chronique d’une femme chinoise a été également présenté à Cannes en 2007, toujours hors compétition malgré sa durée presque raisonnable de trois heures et quart. Bien entendu, c’est le travail exigeant sur la distension du temps de projection et de réception qui fait, aussi, la qualité de l’univers cinématographique de Wang Bing !
Dès le mercredi 26 mai et jusqu’au dimanche 14 novembre, la rétrospective à la Cinémathèque sera accompagnée par une installation immersive conçue par Wang Bing à la galerie d’exposition le BAL, près de la Place de Clichy à Paris. Par ailleurs, le premier livre de référence sur le travail du réalisateur « Wang Bing L’œil qui marche » est d’ores et déjà disponible depuis un mois. Il étudie la singularité du langage cinématographique de Wang en 170 séquences et plus de 800 pages.
Rétrospective Julie Delpy, du 21 juin au 4 juillet
Pour les cycles proposés à la Cinémathèque Française au delà du mois prochain, les informations restent parcimonieuses. En somme, vous pourriez y retrouver deux hommages en rapport avec l’actualité des sorties au cinéma, la reprise traditionnelle d’une section parallèle du Festival de Cannes, ainsi que – tout de même en cette saison souvent placée sous le signe du cinéma bis – un aperçu de films populaires venus de loin. Contrairement à l’année dernière, lorsque la Cinémathèque était restée ouverte tout au long de l’été avec une programmation de classiques du Septième art, elle devrait revenir en 2021 à son rythme habituel, avec une relâche d’un mois en août pour ensuite mieux attaquer la rentrée.
Derrière son apparence insaisissable d’actrice mi-mondaine, mi-bohémienne – la plus belle incarnation de l’effet de mode bo-bo en quelque sorte –, on pourrait oublier que la Française Julie Delpy (* 1969) est également une réalisatrice plutôt avisée. C’est pourtant déjà son septième long-métrage qui sortira fin juin au cinéma en France avec My Zoe. Un prétexte comme un autre pour la Cinémathèque, afin de revenir pendant deux semaines sur la carrière assez atypique de Delpy, présente devant la caméra depuis trente-cinq ans et confortablement installée derrière elle depuis le début du siècle.
En tant que réalisatrice, on lui doit entre autres 2 Days in Paris, présenté au Panorama du Festival de Berlin en 2007 et nommé au César du Meilleur scénario original l’année suivante, La Comtesse, lui aussi sélectionné au Panorama du Festival de Berlin, Le Skylab et 2 Days in New York. En tant qu’actrice, Julie Delpy avait tenu son premier rôle chez Jean-Luc Godard dans Détective en 1985. Par la suite, son chemin avait croisé celui de réalisateurs aussi prestigieux que Leos Carax (Mauvais sang), Bertrand Tavernier (La Passion Béatrice), Agnieszka Holland (Europa Europa), Krzysztof Kieslowski (Trois couleurs Blanc), Richard Linklater (Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight), Enki Bilal (Tykho Moon), Jim Jarmusch (Broken Flowers), Lasse Hallström (Faussaire) et Todd Solondz (Le Teckel).
Rétrospective Paulo Branco, du 23 juin au 11 juillet
La réputation de Paulo Branco (* 1950) est ce qu’elle est. Il n’empêche que ce producteur portugais a joué un rôle important dans l’activité, voire le maintien en vie de la cinématographie de son pays natal. En quarante ans de carrière, il a ainsi produit plus de deux-cents films, souvent portugais ou en co-production avec d’autres pays européens, quoique toujours selon des ambitions artistiques indéniables. En France, il porte également depuis 2009 la casquette de distributeur à travers sa société Alfama Films Distribution, précédée dès les années 1990 par feu Gemini Films.
Trois semaines de séances à la Cinémathèque Française, même quasiment sans jauge à ce moment-là, ne suffiront guère pour rendre justice au corpus imposant de films produits par Paulo Branco. Rien que pour tenir compte de son soutien sans faille à l’un des plus célèbres réalisateurs portugais Manoel De Oliveira, il faudrait presque un cycle à part entière. Le producteur et l’ancien doyen du monde du cinéma ont travaillé ensemble sur une quinzaine de films entre 1981 et 2005 : Francisca, Mon cas, La Divine comédie, Le Jour du désespoir, Val Abraham, La Cassette, Le Couvent, Party, Voyage au début du monde, Inquiétude, La Lettre, Parole et utopie, Je rentre à la maison, Porto de mon enfance, Le Principe de l’incertitude, Un film parlé et Le 5ème empire.
Paulo Branco a de même été très fidèle à des cinéastes tels que Laurence Ferreira Barbosa pour Les Gens normaux n’ont rien d’exceptionnel, J’ai horreur de l’amour, La Vie moderne, Ordo, Soit je meurs soit je vais mieux et Tous les rêves du monde, Raoul Ruiz avec Fado majeur et mineur, Trois vies et une seule mort, Généalogies d’un crime, Combat d’amour en songe, Ce jour-là et Mystères de Lisbonne, ainsi que Sharunas Bartas depuis Few of us jusqu’à Seven Invisible Men en passant par The House et Freedom. Parmi ses autres collaborateurs à répétition on peut citer Alain Tanner (Dans la ville blanche et Fleurs de sang), Pedro Costa (Casa de lava et Ossos), Wim Wenders (Lisbonne Story et Les Beaux jours d’Aranjuez), Jean-Claude Biette (Trois ponts sur la rivière et Saltimbank), João César Monteiro (Les Noces de dieu et Va et vient), Andrzej Zulawski (La Fidélité et Cosmos), Chantal Akerman (La Captive, Demain on déménage et La Folie Almayer), Mathieu Amalric (Le Stade de Wimbledon et La Chambre bleue), Luc Moullet (Les Naufragés de la D17 et Le Prestige de la mort), Werner Schroeter (Deux et Nuit de chien) et Christophe Honoré (Ma mère et Les Chansons d’amour).
Enfin, il a beau ne les avoir soutenus qu’une fois, a priori, ces réalisateurs ont cependant créé certains de leurs films les plus remarquables grâce à Paulo Branco : Jacques Rozier (Maine Océan), Peter Handke (L’Absence), Philippe Garrel (Le Cœur fantôme), Lucas Belvaux (Pour rire), Cédric Kahn (L’Ennui), Catherine Corsini (La Nouvelle Eve), Valeria Bruni Tedeschi (Il est plus facile pour un chameau), André Téchiné (Les Temps qui changent), Jerzy Skolimowski (Quatre nuits avec Anna), Jacques Doillon (Le Mariage à trois), Gaël Morel (Notre paradis), David Cronenberg (Cosmopolis), François Dupeyron (Mon âme par toi guérie) et Benoît Jacquot (A jamais).
Cycle Ozploitation, du 5 au 18 juillet
En temps normal, les trois salles de la Cinémathèque Française sont progressivement désertées au fil de la saison chaude par son public habituel, pour mieux être envahies par les amateurs de films de genre bon marché. En cette année 2021 pour le moins un peu particulière, les fans de plaisirs filmiques sans complexes devront se contenter de ce cycle en dix-sept films. Selon le communiqué de la Cinémathèque, il sera riche en petits chefs-d’œuvre cachés. Ce coup de projecteur sur le cinéma australien bis s’inscrit dans le cadre de la manifestation « Australia Now ! ».
Beaucoup de violence et de vulgarité subversive sur fond de décor australien dépouillé feront donc le bonheur des chercheurs de raretés au mois de juillet du côté de Bercy. Tandis que la plupart des films prévus n’ont jamais été exploités au cinéma en France, le cycle culminera quand même avec le symbole mondialement connu de l’Ozploitation, l’univers Mad Max de George Miller et ses désormais quatre films, réunis en une nuit de projection riche en action apocalyptique !
Rétrospective Paul Verhoeven, du 14 juillet au 1er août
Lui aussi aura un film à promouvoir en France cet été. Et pas des moindres, puisque l’on sait depuis deux semaines environ que le nouveau film du réalisateur néerlandais Paul Verhoeven (* 1938) Benedetta sera présenté en compétition au prochain Festival de Cannes. Verhoeven profitera certainement de sa tournée médiatique pour faire une apparition à la Cinémathèque Française. Comme il l’avait par ailleurs déjà fait en février 2016, à l’occasion du festival « Toute la mémoire du monde » dont il était l’un des invités d’honneur.
Ce n’est donc guère la rareté des films qui prime dans ce cycle, mais le plaisir jouissif de revoir quelques uns des brûlots cinématographiques que Paul Verhoeven a su si magistralement adresser à la bienséance morale. D’abord chez lui, avec des films comme Turkish délices et Spetters, puis depuis l’intérieur même de la machine hollywoodienne grâce à Total Recall, Showgirls et Starship Troopers. En amont de la rétrospective, Carlotta Films ressortira le 16 juin en version restaurée l’un des films les plus sulfureux du maître : le thriller érotique Basic Instinct et son duo vénéneux formé par Michael Douglas et Sharon Stone.
Reprise de la Semaine de la Critique, du 26 juillet au 1er août
Partenaire historique de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, la Cinémathèque Française présentera une fois de plus sa sélection des meilleurs premiers et deuxièmes films dans ses salles. Comme il se doit en présence des équipes des films. Pour l’instant, aucun titre n’a été annoncé. Nous disposons par contre depuis une semaine du visuel de l’affiche de cette 60ème édition, qui se déroulera du mercredi 7 au jeudi 15 juillet dans un Espace Miramar entièrement rénové depuis l’année dernière. Le motif est issu du film It follows de David Robert Mitchell, sélectionné à la Semaine en 2014.
Alors que cette reprise ouvre habituellement le programme estival de la Cinémathèque, on ose espérer que sa tenue au cœur de l’été – pour cause de décalage du Festival de Cannes – rendra ses séances prestigieuses plus accessibles …