La saison d’été à la Cinémathèque Française a toujours quelque chose du bilan incomplet. Cette saison tronquée, puisque elle ne dure essentiellement que deux mois, juin et juillet, jusqu’à la fermeture annuelle en août, permet certes de découvrir des cinéastes et des genres de films peut-être trop peu prestigieux pour convenir à l’ambition culturelle de l’illustre institution de la cinéphilie française et internationale. Mais elle nous fait également noter quels cycles annoncés au préalable, un an plus tôt, n’auront finalement pas résisté aux impératifs budgétaires et autres disponibilités de copies rares, comme cette fois-ci la rétrospective Mikio Naruse. Or, nous n’aurons nullement le temps de nous attrister outre mesure sur ces retards plus ou moins définitifs, puisque les grandes lignes de la saison 2019/2020 devraient être annoncées d’ici la fin du mois.
Même s’il ne dure que deux mois, dont nous avons déjà honteusement loupé les deux premières semaines, le programme estival de la Cinémathèque se distingue toujours autant par son éclectisme et sa qualité globale, par exemple à travers les deux cycles « hebdomadaires » qui sont d’ores et déjà terminés, la reprise de la 58ème Semaine de la critique et la Semaine du cinéma chilien, qui avait rendu hommage à l’une des cinématographies latino-américaines particulièrement en forme ces dernières années, comme le prouvent des films comme No et El club de Pablo Larrain, ainsi que Gloria et Une femme fantastique de Sebastian Lelio. La grande exposition saisonnière « Quand Fellini rêvait de Picasso » est toujours visible jusqu’au 28 juillet, le dernier jour avant la relâche, tout comme celle dans la galerie du musée du cinéma dédiée au réalisateur égyptien Youssef Chahine.
Il ne vous reste plus qu’une semaine pour vous laisser enchanter par l’univers au décalage onirique et burlesque irrésistible du réalisateur géorgien Otar Iosseliani (* 1934). Cette rétrospective se distingue par un travail de restauration d’envergure des films projetés, quasiment tous numérisés en 4K par Pastorale Productions au laboratoire Hiventy. Empressez-vous donc de découvrir dans des conditions idéales quelques perles du cinéma caucasien ! Le réalisateur était présent au début du mois pour deux rencontres, la première animée par le directeur général de la Cinémathèque Frédéric Bonnaud autour de Adieu plancher des vaches, Prix Louis Delluc en 1999, et la deuxième avec le traducteur et historien du cinéma Bernard Eisenschitz à l’occasion de la projection de Les Favoris de la lune, Grand prix au Festival de Venise en 1984. Iosseliani avait également été récompensé à Venise par le Grand prix en 1989 pour Et la lumière fut et en 1996 pour Brigands Chapitre VII, de même qu’à Berlin par un Ours d’argent en 2002 pour Lundi matin.
La grande rétrospective dédiée au réalisateur américain John Cassavetes (1929-1989) se terminera en même temps que celle de son confrère géorgien. Cependant, autant l’œuvre du pionnier du cinéma américain indépendant est essentiel, autant ses films sont loin d’être rares puisque une rétrospective partielle avait eu lieu pas plus tard qu’en février dernier au Champo à Paris. Il s’agit donc avant tout d’une formidable occasion de rattrapage de films aussi bruts et sublimes que Shadows, fraîchement restauré, Un enfant attend, qui vient de ressortir, Faces, Husbands, Une femme sous influence, Meurtre d’un bookmaker chinois, Opening Night, Gloria et Love Streams – Ours d’or au Festival de Berlin en 1984. Ou bien de voir des films atypiques pour l’esprit rebelle qu’était Cassavetes, comme son dernier, la commande Big trouble avec son acteur attitré Peter Falk. La plus-value du travail de la Cinémathèque réside aussi dans l’inclusion d’un échantillon de films dans lesquels le réalisateur était simplement acteur, tels que A bout portant de Don Siegel, Les Douze salopards de Robert Aldrich, Rosemary’s Baby de Roman Polanski et Furie de Brian De Palma.
Il y a de temps en temps des cycles dans la programmation soigneusement orchestrée de la Cinémathèque dont l’artiste ou le thème nous intéresse, mais qui nous laissent plus dubitatifs quant aux supports sur lesquels les films sont projetés. Celui qui s’intitule « Libérations sexuelles révolutions visuelles » et qui commencera demain est de ceux-là. Organisé à l’occasion de l’exposition à l’Hôtel de Ville de Paris « Champs d’amour 100 ans de cinéma arc-en-ciel », pendant trois semaines et en trente séances révoltées qui empruntent leurs titres à « Salomé » de Oscar Wilde, il dressera le portrait combatif, abrasif et forcément politique de la représentation de sexualités trop longtemps restées dans l’ombre. Aux côtés de trublions d’hier et d’aujourd’hui, tels que Jean Genet et Jean Cocteau, Kenneth Anger et Isaac Julien, Virginie Despentes et Nagisa Oshima, on y trouve de même des films plus largement diffusés, comme Le Cavalier noir de Roy Ward Baker, Le Droit du plus fort de Rainer Werner Fassbinder et le récent Théo et Hugo dans le même bateau de Olivier Ducastel et Jacques Martineau. En somme, un formidable tour d’horizon du cinéma gay marginal, provocateur ou subtilement caché, dont la nature largement clandestine peut expliquer les modes de production et de préservation quasiment artisanaux.
En parallèle de cette mise en question permanente du genre et de la sexualité socialement acceptée, la Cinémathèque Française a opté pour un réalisateur particulièrement sophistiqué, dont les films n’appellent guère à la révolution. Du jeudi 20 juin au mercredi 17 juillet, le réalisateur américain Joseph L. Mankiewicz (1909-1993) aura droit à une large exposition de son travail, puisque les vingt-deux films qui forment l’intégrale de sa filmographie seront montrés au moins deux, voire trois fois au cours du cycle. Même si là encore, la rareté est plus que discutable, puisque le Christine 21 avait montré certains de ces films le mois dernier à Paris, nous ne bouderons point notre plaisir de pouvoir y retrouver quelques films phares du réalisateur, tels que L’Aventure de Madame Muir avec Gene Tierney et Rex Harrison, Chaînes conjugales avec Jeanne Crain et Linda Darnell, Eve – Oscar du Meilleur Film en 1951 – avec Bette Davis et Anne Baxter, Blanches colombes et vilains messieurs avec Marlon Brando et Frank Sinatra, Cléopâtre avec Elizabeth Taylor et Richard Burton, ainsi que Le Limier avec Laurence Olivier et Michael Caine. Ni de revoir certains de ses films qui nous avaient plu à l’époque de notre plus tendre cinéphilie et qu’on aimerait donc réévaluer, comme La Porte s’ouvre avec Richard Widmark et Sidney Poitier, La Comtesse aux pieds nus avec Humphrey Bogart et Ava Gardner, Soudain l’été dernier avec Katharine Hepburn et Montgomery Clift et Guêpier pour trois abeilles avec Cliff Robertson et Maggie Smith. Bref, vous l’aurez compris, on adore presque inconditionnellement ce réalisateur, ce qui nous laisse comme seuls regrets que le taux de versions restaurées en DCP est assez faible, seulement cinq, et que l’abondant travail de scénariste par lequel Mankiewicz avait commencé dans les années 1930 y est passé sous silence.
Une part d’exotisme est tant soit peu assurée par le réalisateur argentin Edgardo Cozarinsky (* 1939), qui sera à la Cinémathèque Française fin juin / début juillet pour y présenter ses films. A travers une filmographie à cheval entre les pays et les continents, avec l’Argentine d’un côté et la France de l’autre, Cozarinsky s’était illustré à la fois à travers des documentaires sur les Cahiers du Cinéma et le fondateur de la Cinémathèque Henri Langlois et des films de fiction tels que Les Apprentis sorciers avec Marie-France Pisier, Guerriers et captives avec Leslie Caron, Dans le rouge du couchant avec Marisa Paredes et Ronde de nuit, son dernier film sorti en France en février 2006. Le réalisateur participera à un dialogue avec Gabriela Trujillo et Bernard Benoliel de l’Action culturelle à la Cinémathèque le samedi 29 juin à 15h00 à la suite de la projection de Le Violon de Rothschild.
Le mois de juillet, que l’on redoute caniculaire, sera placé à la Cinémathèque sous le signe d’un maître du film de genre des années 1960 et ’70, l’Italien Mario Bava (1914-1980). Cette rétrospective, riche d’une trentaine de films, coïncide avec la ressortie de trois d’entre eux grâce au distributeur Théâtre du Temple le 3 juillet sous le titre évocateur « Mario Bava Le Magicien des couleurs ». En plus des joliment restaurés Six femmes pour l’assassin, Les Trois visages de la peur et La Ruée des vikings, vous pourriez donc revoir des classiques de la série B de l’époque, tels que Le Masque du démon, Le Corps et le fouet, L’Espion qui venait du surgelé, Danger Diabolik, La Baie sanglante et Baron vampire. Le cycle sera enrichi par une conférence du directeur de la programmation de la Cinémathèque Jean-François Rauger le vendredi 5 juillet intitulée « Mario Bava L’image qui saigne », ainsi que par une discussion le lendemain avec Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele, auteurs de l’essai « Mario Bava Le Magicien des couleurs », paru la semaine dernière aux éditions Lobster Films.
Enfin, la dernière quinzaine avant la fermeture est une fois de plus dédiée au cinéma à grand spectacle sous toutes ses formes, avec la troisième saison de « Plein les yeux ! ». Avant que la saison ne se termine en apothéose avec un week-end aux projections en 70 mm entre le jeudi 25 juillet et le dimanche 28 juillet, rythmé par des puristes du format tels que Stanley Kubrick (2001 L’Odyssée de l’espace), Franklin J. Schaffner (Patton), James Cameron (Abyss), ainsi que plus récemment Christopher Nolan (Interstellar) et Quentin Tarantino (Les Huit salopards), la science-fiction (La Femme sur la lune de Fritz Lang, Dune de David Lynch, 2010 L’Année du premier contact de Peter Hyams et Jumper de Doug Liman), les péplums (Ben Hur de Fred Niblo et La Terre des pharaons de Howard Hawks), les grandes épopées du crime (Il était une fois en Amérique de Sergio Leone), les films de guerre (Stalingrad de Jean-Jacques Annaud et Windtalkers Les Messagers du vent de John Woo), les films catastrophes (La Tour infernale de John Guillermin et Speed de Jan De Bont) et le cinéma asiatique (Ghost in the Shell de Mamoru Oshii et The Blade de Tsui Hark) vous attendront de pied ferme en salle Henri Langlois et son grand écran de treize mètres de base et de six mètres de hauteur !