Mesures de distanciation sociale obligent, le cheminement au sein de l’ancien American Center à Bercy a quelque peu changé. Et là où l’on pouvait se faire autrefois, il y a quinze ans, une toile dès midi grâce aux cycles dédiés aux films de genre, les séances n’auront lieu en semaine qu’à partir de 19h00. Mais quand même, franchement, on est content que l’activité reprenne réellement à la Cinémathèque Française dès aujourd’hui, avec un programme automnal riche de dix cycles et de nouveau disponible sous format papier !
Espérons donc que le public des Parisiens cinéphiles soit au rendez-vous de cette nouvelle saison, qui reprend en partie les rétrospectives initialement prévues au cours du deuxième trimestre, annulées pour cause de confinement ! Cette fermeture prolongée aura au moins donné naissance à Henri, la salle virtuelle de l’illustre institution fondée par Henri Langlois, de retour à partir du 30 septembre avec un film supplémentaire à découvrir par semaine, en plus des programmes consacrés entre autres à Jean Epstein, Raoul Ruiz et Otar Iosseliani déjà mis en ligne auparavant.
Afin de rajeunir son public, la Cinémathèque Française propose 350 billets à un euro dans le cadre de rendez-vous découverte des moins de 26 ans. Dix films ont été retenus pour ce dispositif innovant, qui requiert le pré-achat en ligne sur le site de la Cinémathèque environ une semaine avant chaque séance éligible.
Gérard Oury, du 2 septembre au 25 octobre
Exceptionnellement, la Cinémathèque Française n’avait pas fait relâche au mois d’août, puisque elle n’avait pas cessé de projeter des films sur les écrans de deux de ses trois salles principales depuis la réouverture le 15 juillet dernier. L’ouverture du cycle Gérard Oury (1919-2006) ce soir en présence de la réalisatrice Danièle Thompson, la fille du réalisateur, a néanmoins quelque chose d’une reprise de rentrée. Cette rétrospective en près de vingt films, dont des monuments du cinéma français populaire comme Le Corniaud, La Grande vadrouille et Les Aventures du rabbi Jacob, s’inscrit surtout dans le cadre de l’exposition événement Louis De Funès, qui dévoilera encore les multiples facettes du talent comique de l’acteur fétiche de Oury jusqu’à fin mai 2021.
Une quinzaine d’autres films avec De Funès, pour leur part réalisés par des maîtres de la comédie tels que Jean Girault, Serge Korber, Edouard Molinaro et Claude Zidi, illustreront le travail du comique de génie. Tout comme deux conférences – « De Funès L’Ordre à la condition du chaos » par Jean-Baptiste Thoret le jeudi 12 novembre et « De Funès en musique(s) L’Homme et l’orchestre » par Stéphane Lerouge une semaine plus tard – et une séance de lecture par l’acteur André Marcon de « Pour Louis De Funès » de Valère Novarina le lundi 16 novembre.
Le cycle Oury se déroule, quant à lui, au rythme d’un dialogue avec Danièle Thompson le samedi 12 septembre animé par le commissaire de l’exposition Alain Kruger et le directeur général de la Cinémathèque Française Frédéric Bonnaud, puis de trois conférences en partenariat avec l’Université permanente de la ville de Paris sous le titre « La Comédie française des années 1960 et 1970 », les lundis 5, 12 et 19 octobre, menées par le doctorant en études cinématographiques à l’université de Montpellier Adrien Valgalier.
Reprise Léonide Moguy, du 2 au 24 septembre
Quand on vous dit que ce programme est avant tout une immense tentative de rattrapage du temps perdu, on a tout de même un peu tort. Car le cycle Léonide Moguy (1899-1976) a bel et bien eu lieu en février dernier, juste avant la fermeture précipitée. Il faut croire qu’il a marché si bien que les programmateurs de la Cinémathèque Française ont tenu à donner l’occasion à encore davantage de spectateurs de découvrir la filmographie du « cinéaste de la bonté ».
En effet, le réalisateur d’origine ukrainienne s’était fait un nom à partir des années 1930, grâce à ses films français comme Le Mioche, Prison sans barreaux et Le Déserteur, à travers lesquels il tentait d’éveiller les consciences et de véhiculer des idées humanistes. Le travail du missionnaire du cinéma avait également porté ses fruits à Hollywood, puisqu’il y avait dirigé George Sanders dans Paris after dark et Intrigue à Damas et Ava Gardner dans Tragique rendez-vous. Son influence va même jusqu’à l’un des plus cinéphiles des réalisateurs américains actuels, puisque Quentin Tarantino avait nommé l’un des personnages de Django Unchained d’après lui.
En décembre 2018, une monographie sur le réalisateur est parue aux éditions L’Harmattan sous le titre « Léonide Moguy Un citoyen du monde au pays du cinéma » par Eric Antoine Lebon.
Don Siegel, du 3 septembre au 12 octobre
Il n’y a pas que du Clint Eastwood dans la filmographie de Don Siegel (1912-1991) ! L’acteur et le réalisateur ont certes collaboré sur quelques uns des films les plus marquants de leurs filmographies respectives, comme Les Proies, L’Inspecteur Harry et L’Evadé d’Alcatraz. Mais la sécheresse brutale de la mise en scène de Siegel a de même excellé avec d’autres acteurs devant la caméra, comme Lee Marvin dans A bout portant, Richard Widmark dans Police sur la ville, Walter Matthau dans Tuez Charley Varrick et Charles Bronson dans Un espion de trop, pour ne citer qu’eux.
Le jeudi 10 septembre, le directeur de la programmation de la Cinémathèque Française Jean-François Rauger vous expliquera tout ce qu’il y a à savoir sur le mystère de l’incarnation chez l’inspecteur Harry. Une semaine plus tard, le journaliste Yal Sadat, spécialiste du « vigilante movie » des années 1970, animera une discussion, suite à la projection de L’Evadé d’Alcatraz.
Andreï Kontchalovski, du 14 septembre au 17 octobre
Contrairement à la réputation de son frère cadet Nikita Mikhalkov, celle du réalisateur russe Andreï Kontchalovski (* 1937) n’a jamais vraiment subi les foudres de la critique française. Son nom est certes écorché à intervalles réguliers par les distributeurs français qui ne savent pas se décider entre Konchalovsky et Kontchalovski. Mais dans l’ensemble, sa filmographie mi-russe, mi-américaine a plutôt bonne presse. Elle continue encore à s’enrichir, puisque le nouveau film du réalisateur Michel-Ange sortira en France le 21 octobre prochain. Et les spectateurs assidus de la Cinémathèque Française auront même le privilège de découvrir son tout dernier film Chers camarades le 14 septembre pour l’ouverture du cycle, c’est-à-dire à peine une semaine après sa présentation au Festival de Venise.
Pour une fois que l’un des protagonistes des rétrospectives organisées toujours avec le même soin par la Cinémathèque Française est encore en vie, Andreï Kontchalovski donnera le mercredi 16 septembre une leçon de cinéma animée par l’éminent Michel Ciment et le directeur de l’action culturelle et éducative de la Cinémathèque Bernard Benoliel, à l’issue de la projection de Paradis, Lion d’argent du Meilleur réalisateur au Festival de Venise en 2016. Parmi les autres films emblématiques du réalisateur à voir ou à revoir en salle Langlois ou en salle Franju, citons Sibériade, Runaway Train A bout de course et Riaba ma poule.
Luis Buñuel, du 30 septembre au 1er novembre
Est-ce que le géant du cinéma hispanique Luis Buñuel (1900-1983) avait vraiment besoin d’une deuxième rétrospective de ses films à la Cinémathèque Française, onze ans après la première et alors que ses films ressortent régulièrement en copie restaurée ? La réponse est un « oui » passionné et passionnel ! Car on ne se lassera jamais de l’esprit machiavélique du réalisateur espagnol, le roi des iconoclastes de l’Histoire du cinéma dès ses débuts avec Un chien andalou en 1929 jusqu’à Cet obscur objet du désir près d’un demi-siècle plus tard. Que ce soit en Espagne, au Mexique ou en France, Buñuel savait souvent magistralement bousculer l’hypocrisie de la civilisation occidentale, comme par exemple dans Viridiana, Palme d’or au Festival de Cannes en 1961, et dans Belle de jour, Lion d’or au Festival de Venise six ans plus tard.
La spécialiste des avant-gardes latino-américaines Gabriela Trujillo reviendra sur les tours et détours des films que Luis Buñuel a tournés au Mexique entre 1947 et ’65 lors d’une conférence le jeudi 1er octobre, suivie de la projection de El. L’un des collaborateurs privilégiés du réalisateur, le scénariste Jean-Claude Carrière, se prêtera à l’exercice du dialogue avec Frédéric Bonnaud le samedi 24 octobre à la suite de la projection de Le Fantôme de la liberté.
Jean-Claude Carrière, du 4 octobre au 7 novembre
Carrière (* 1931) que l’on retrouvera même pendant tout le mois d’octobre à la Cinémathèque Française ! Un hommage amplement mérité pour ce scénariste d’exception qui a collaboré et qui continue de travailler avec les plus grands du Septième art, tout en sortant régulièrement des livres passionnants. L’Académie du cinéma américain ne s’était pas trompée en lui attribuant un Oscar d’honneur en novembre 2014, lui qui a écrit une centaine de scénarios. Sa plume a ainsi embelli les répliques des films de Luis Buñuel, évidemment, de Pierre Etaix, de Louis Malle, de Milos Forman, de Volker Schlöndorff, de Jean-Paul Rappeneau et encore très récemment de Philippe Garrel, dans Le Sel des larmes.
Une semaine après avoir parlé de son travail en harmonie souterraine avec Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière reviendra à la Cinémathèque Française le samedi 31 octobre afin de discuter avec Gabriela Trujillo, encore elle, d’une autre collaboration privilégiée avec le réalisateur Jacques Deray. Juste avant, la projection du poisseux La Piscine avec Alain Delon et Romy Schneider permettra de se rendre compte – s’il y avait encore besoin de le faire – du talent du scénariste.
Pionnières du cinéma soviétique, du 14 au 29 octobre
Après le tour d’horizon du cinéma soviétique entrepris ces dernières années, la Cinémathèque Française reviendra pendant une quinzaine de jours et en une dizaine de films sur un aspect méconnu du cinéma russe des années 1930 et ’40. Jusqu’aux années ’60, l’URSS s’était en effet distinguée par le nombre important de réalisatrices employées dans son industrie cinématographique, plus élevé que dans aucun autre pays. Après, ces femmes derrière la caméra étaient le plus souvent cantonnées aux genres considérés plus féminins, comme les documentaires et les films pour enfants. Il n’empêche que ce bref cycle nous réservera probablement le plus de découvertes, contrairement à ceux qui exploitent des champs filmiques plus ou moins bien connus.
Chacune des séances dans la petite salle Jean Epstein – quelle surprise ! – sera présentée par Irène Bonnaud ou Bernard Eisenschitz.
Semaine de la Critique 2020, du 16 au 18 octobre
On pouvait être dubitatif à l’égard du mode opératoire par défaut de la 59ème édition de la Semaine de la Critique, privée du Festival de Cannes pour cause de pandémie du coronavirus. En tout cas d’un point de vue médiatique, l’allongement du cycle d’exposition des premiers et deuxièmes films retenus par les comités de sélection de la Semaine a finalement aussi du positif. Car à chaque nouveau festival où Charles Tesson et compagnie font escale, comme la semaine dernière à celui d’Angoulême, c’est un nouveau cycle de découverte et de couverture qui s’enclenche, comme autant de mini-Cannes à longueur d’année.
Fidèle à son engagement envers la vénérable institution cannoise, la Cinémathèque Française reprendra l’intégrale de la sélection, cinq longs-métrages et dix courts-métrages, pour une fois pas au mois de juin, mais pendant un week-end au mois d’octobre. Deux des longs sortiront même dans la foulée en salles, puisque les sorties de La Nuée de Just Philippot et de De l’or pour les chiens de Anna Cazenave Cambet sont annoncées respectivement pour le 4 et le 25 novembre.
Hiroshi Shimizu, du 28 octobre au 29 novembre
On pourrait croire que le cinéma japonais digne d’intérêt n’avait réellement commencé à exister que dans les années 1940 et ’50, grâce à des noms comme Akira Kurosawa, Yasujiro Ozu, Kenji Mizoguchi et Mikio Naruse, qui ne détiennent plus de secrets pour les amateurs du cinéma nippon. Ce serait faire une grave erreur comme nous le prouve la plus grande rétrospective jamais consacrée en dehors du Japon à Hiroshi Shimizu (1903-1966). Cette formidable entreprise d’exposition d’une filmographie méconnue était même si immense qu’elle a nécessité un partenariat étroit entre la Cinémathèque Française et la Maison de la Culture du Japon à Paris. Ainsi, chacun des plus de quarante films réunis sera projeté une fois du côté de Bercy et une fois du côté de la Tour Eiffel.
Puisque Hiroshi Shimizu avait commencé son illustre carrière au temps du cinéma muet, quatre de ses films – Perle éternelle, La Voie lactée, Les Sept Mers Partie 2 et Jeunes filles japonaises sur le port – seront accompagnés au piano par les élèves de la classe d’improvisation du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Les très instructives conférences « Qui êtes-vous … ? » feront de même leur retour, le jeudi 5 novembre animée par le directeur adjoint de la programmation à la Maison de la Culture du Japon à Paris Fabrice Arduini. Le vendredi précédent, le programmateur du National Film Archive du Japon Jo Osawa participera à une discussion avec la spécialiste du cinéma asiatique Wafa Ghermani.
Elizabeth Taylor, du 4 au 30 novembre
D’habitude, c’est juste avant la fermeture estivale que l’on retrouve les cycles dédiés aux acteurs et actrices de légende à la Cinémathèque Française. C’est ce qui était prévu pour l’hommage rendu à la mythique Elizabeth Taylor (1932-2011) avant que l’épidémie du coronavirus n’en décide autrement. Tant mieux, puisque nous anticipons avec joie cette occasion de revoir l’actrice dans une trentaine de ses rôles les plus emblématiques. Heureusement, les programmateurs se sont abstenus d’y inclure son dernier film, l’assez ignoble La Famille Pierrafeu de Brian Levant.
Comme l’écrit la critique Murielle Joudet dans son texte introductif sur Queen Elizabeth, l’actrice a grandi, aimé, vieilli devant les caméras et elle a adoré ça. Vous pourrez donc la voir jeune, dans Fidèle Lassie de Fred Wilcox et Le Grand national de Clarence Brown, un peu plus adulte dans Les Quatre filles du docteur March de Mervyn LeRoy et Le Père de la mariée de Vincente Minnelli, puis en femme plus ou moins fatale dans Une place au soleil et Géant de George Stevens, La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks et Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, avant de la voir terminer sa carrière avec plus ou moins de grâce chez Mike Nichols (Qui a peur de Virginia Woolf ?), John Huston (Reflets dans un œil d’or) et Joseph Losey (Cérémonie secrète).
Murielle Joudet animera une discussion le samedi 7 novembre après la projection de Le Chevalier des sables de Vincente Minnelli avec Richard Burton, pour le meilleur et pour le pire l’homme de la vie de Elizabeth Taylor.
American Fringe, du 13 au 15 novembre
Même si la définition du cinéma américain indépendant devient de plus en plus floue, la Cinémathèque Française accorde pour la cinquième fois un coup de projecteur aux films produits en marge du système commercial. En huit séances, les co-organisateurs Richard Peña et Livia Bloom Ingram ont réuni quelques uns des films, longs et courts, les plus symptomatiques de cette forme de cinéma en pleine évolution.
Enfin, la Cinémathèque Française continue avec ses rendez-vous réguliers à succès, comme « Aujourd’hui le cinéma » les lundis, le « Cinéma bis » quatre fois en double programme le vendredi, le « Cinéma d’avant-garde » également le vendredi, les séances jeune public les mercredis et le week-end, ainsi que l’échange « Parlons cinéma » certains jeudis, pendant cette saison-ci avec le réalisateur Nicolas Pariser (Alice et le maire).