Ça y est, les médias américains ont trouvé une nouvelle proie – très probablement coupable de sévices sexuels aggravés depuis de nombreuses années, qui sont en contradiction flagrante avec la pudeur anglo-saxonne et surtout avec un minimum de décence humaine – sur laquelle ils s’acharnent depuis une bonne semaine déjà ! Un quart de siècle après le scandale Woody Allen, trois ans après celui de Bill Cosby et alors que O.J. Simpson, un autre idole d’antan tombé irrémédiablement en disgrâce pour des faits encore plus scabreux, est sorti de prison au début du mois, c’est une autre éminence grise du monde du spectacle qui se trouve sous le feu des projecteurs. Le producteur américain Harvey Weinstein, âgé de 65 ans, est au cœur d’une tempête d’indignation publique depuis la publication d’un article à charge dans le New York Times, il y a moins d’une semaine, le 5 octobre 2017. Y sont évoquées les nombreuses agressions sexuelles qu’il aurait commises envers des employées et des actrices débutantes depuis qu’il occupe un poste de pouvoir stratégique au sein de la communauté hollywoodienne, d’abord en tant que directeur de la société de production et de distribution Miramax, puis chez The Weinstein Company.
Dans l’article sont en effet évoqués plusieurs événements, lors desquels Weinstein aurait demandé des faveurs sexuelles plus ou moins larvées à des femmes en situation de faiblesse hiérarchique dans ses suites d’hôtel à Los Angeles ou à New York. Parmi les victimes les plus célèbres de ces agressions sexuelles longtemps restées dans l’ombre figurent les actrices Ashley Judd, invitée il y a une vingtaine d’années à donner des massages au producteur ou à le regarder prendre une douche, et Rose McGowan, invitée involontaire du prédateur sexuel pendant le festival de Sundance. Ces pratiques ont été confirmées par au moins huit autres femmes, dont certaines avaient trouvé un arrangement financier à l’amiable avec Harvey Weinstein. La publication de l’article a évidemment fait l’effet d’une bombe dans l’Amérique puritaine, à peine remise de l’anniversaire des révélations pas moins dégoûtantes sur celui qui allait devenir l’actuel président du pays, enregistré à son insu pendant un voyage en bus. La réaction initiale du principal intéressé n’a alors strictement rien fait pour calmer les esprits, puisque sa ligne de défense était essentiellement que son comportement serait dû à une éducation libertine pendant les années ’60 et ’70, qui lui aurait donné une conception erronée de la gente féminine et qu’il ferait son possible pour remédier à ses fautes.
Tandis que le coup de semonce professionnel ne s’est pas fait attendre, Harvey Weinstein prenant de lui-même une sorte de congé sabbatique de son entreprise, qui a répondu à son tour par le licenciement pur et net de son fondateur suite à une réunion d’urgence du conseil d’administration dimanche dernier, c’est surtout l’écho dans la communauté artistique et politique qui a apporté une portée considérable à cette affaire sordide. A commencer par de nombreuses manœuvres de distanciation à l’égard de celui qui était considéré depuis la fin des années ’80 comme le roi du cinéma américain indépendant, rendant possibles des phénomènes culturels comme Pulp Fiction de Quentin Tarantino et une panoplie de films maintes fois oscarisés, de Will Hunting de Gus Van Sant à Happiness Therapy de David O. Russell, en passant par cinq Oscars du Meilleur Film : Le Patient anglais de Anthony Minghella, Shakespeare in Love de John Madden, Chicago de Rob Marshall, Le Discours d’un roi de Tom Hooper et The Artist de Michel Hazanavicius.
Parmi ses collaborateurs anciens ou habituels à exprimer sans tarder leur désarroi et leur solidarité avec les victimes, citons le réalisateur Kevin Smith, qui avoue sa honte d’avoir profité de la générosité de Harvey Weinstein pendant les quatorze premières années de sa carrière, tout en sachant maintenant les supplices de ses victimes, ainsi que les actrices Meryl Streep et Judi Dench. De même, de nombreuses célébrités ont fait part de leur colère, à l’image de Cate Blanchett, Jessica Chastain, Viola Davis, Nicole Kidman, Jennifer Lawrence, Charlize Theron, Kate Winslet, Ben Affleck, Jeff Bridges, George Clooney, Ryan Coogler, Leonardo DiCaprio et Colin Firth. Seules deux réactions ont dénoté dans cette condamnation sinon unanime, celle de l’actrice Lindsay Lohan, qui exprimait son empathie pour l’homme traqué par les médias, et le réalisateur Paul Schrader, qui préférait rappeler les pratiques artistiquement douteuses de Weinstein de remonter ses films. Du côté institutionnel et politique, la Screen Actors Guild a exprimé son indignation, l’Université de la Californie a fait l’impasse sur une promesse de don de cinq millions de dollars de la part de Weinstein et les politiciens démocrates comme Hilary Clinton et l’ancien président Barack Obama, soutenus dans le passé par le producteur lors de leurs campagnes électorales respectives, ont pris leurs distances.
Or, l’affaire Harvey Weinstein semble loin d’être terminée puisque de plus en plus de femmes révèlent des rencontres malsaines avec le producteur. En dehors d’un nouveau brûlot dans le magazine New Yorker hier qui fait état d’au moins trois viols, l’envergure du problème se précise par le biais des témoignages des actrices Asia Argento, Rosanna Arquette, Emma De Caunes, Romola Garai, Judith Godrèche, Heather Graham, Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow et Mira Sorvino, toutes molestées aux débuts de leur carrière par Harvey Weinstein. Sans surprise, la femme de ce dernier Georgina Chapman vient de demander le divorce au bout de dix ans de mariage.