La Belle et la Bête
France, Allemagne : 2013
Titre original : –
Réalisateur : Christophe Gans
Scénario : Christophe Gans d’après Gabrielle-Suzanne de Villeneuve
Acteurs : Vincent Cassel, Léa Seydoux, André Dussollier
Distribution : Pathé Distribution
Durée : 1h52
Genre : Fantastique
Date de sortie : 12 février 2014
Globale : [rating:1.5][five-star-rating]
La Belle et la Bête est une conte merveilleux popularisé au 18ème siècle pas Madame Leprince de Beaumont. Depuis, il y a eu huit adaptations cinématographiques, sans compter les comédies musicales, pièces de théâtre et autres libres interprétations faites par de nombreux réalisateurs ou auteurs (en série, par exemple, avec Once Upon A Time). On se demande donc ce que Christophe Gans, le réalisateur de Silent Hill, vient faire dans ce navire déjà coulé et écoulé. Avec 33 millions d’euros estimés au budget (il faut savoir qu’en moyenne, un film français coûte environ 4,7 millions d’euros), deux acteurs connus en tête d’affiche, Léa Seydoux et Vincent Cassel, une histoire d’amour intemporelle offerte sur un plateau d’or, la question résonne dans nos crânes telle une supplique : comment Monsieur Gans a-t-il pu se planter aussi impeccablement et admirablement bien ?
Synopsis : 1810. Après le naufrage de ses navires, un marchand ruiné doit s’exiler à la campagne avec ses six enfants. Parmi eux se trouve Belle, la plus jeune de ses filles, joyeuse et pleine de grâce. Lors d’un éprouvant voyage, le Marchand découvre le domaine magique de la Bête qui le condamne à mort pour lui avoir volé une rose. Se sentant responsable du terrible sort qui s’abat sur sa famille, Belle décide de se sacrifier à la place de son père.
C’est l’intention qui compte
Christophe Gans n’est pas sans talent, l’univers visuel qu’il tente tant bien que mal de créer nous donne envie d’y croire. Pourtant, plus on avance dans le film et plus on se retrouve étouffé par les images de synthèse aux reflets plastiques, accompagnées d’un lissage des surfaces et d’une image parfaite photoshopée avec minutie. Chaque plan se présente comme un joli tableau et il est important de dire qu’ils ne sont pas tous à jeter. Il y a dans ce film une envie de faire quelque chose de beau, de grand, de magnifique et d’agréable à l’œil. Et pour cause, Christophe Gans disait lui-même s’être inspiré d’Hayao Miyazaki pour l’univers visuel. Sur le papier, on a envie d’aimer, on a envie d’y croire, à l’écran on a la simple impression de se faire gentiment injecter de l’acide barbiturique directement dans les yeux.
Vraisemblablement, si dans ce budget gargantuesque les choix avaient été plus judicieux, par exemple en accordant moins d’argent à des effets de tempête ou des petits chiens-chats-lapins-crétins mignons parfaitement inutiles, et en accordant, au hasard, un peu plus au travail fait sur la Bête et sur la biche dorée (deux protagonistes clés du film, très mal faits et bien malheureusement souvent en gros plan), les séquelles desdits effets ne serait pas si douloureuses.
Les clins d’œil à La Belle et la Bête de Cocteau ne suffisent pas à rattraper le massacre, il ne servent qu’à creuser un peu plus l’immense gouffre sans fond séparant ces deux œuvres radicalement opposées, tant sur leurs intentions que sur leur qualité.
Syndrome de Stockholm pour les enfants
L’intention de Christophe Gans était de réinterpréter le texte original de Madame de Villeneuve (ce qui lui donnait ainsi le loisir de se détacher du chef-d’œuvre de Cocteau). Et il faut dire que sa volonté de moderniser et de populariser le conte se sent. Comme un fromage au milieu d’une chambre d’hôpital.
Le ton semblait a priori résolument enfantin : la présence des petites créatures CGI, l’histoire contée par Belle à ses deux filles en voix OFF, tous les procédés sont là pour proposer un véritable divertissement pour les enfants. Oui, mais. Il règne à certains moments du film une ambiance syndrome de Stockholm-romantico-sexuelle qui pourrait mettre relativement mal à l’aise. La volonté de Gans de ne pas avoir de parti pris sur le ton de son film, en tentant d’en faire un spectacle pour tous, crée un drôle de potage : Belle s’amourache de la Bête pour absolument aucune raison concrète. Toute cette overdose de sentiments s’explique par les visions données à Belle dans son sommeil. Ces flashbacks sont injectés dans le cerveau de la jeune femme par l’ex-épouse de la Bête, où elle lui montre le passé de son mari (mâle alpha, à tous les sens du terme).
Donc Belle, un personnage prétendument féministe, révolté par le conditionnement imposé par son rang social, son statut familial et son sexe, Madame-Mademoiselle-Belle-Liberté-Égalité-Beyoncé tombe tout de même amoureuse d’un gros rustre primaire qui ne pense qu’à faire un héritier pour son royaume, et qui finit par tuer sa propre femme parce qu’il est obsédé par la chasse. Pour une production résolument contemporaine, on se demande quand même si Gans n’aurait pas pu s’asseoir sur les stéréotypes qui peuplent son film lors de l’écriture du scénario. Forcément, tout cela crée une légère distance vis-à-vis du soi-disant amour unissant Belle avec la Bête (objet central du film, direz-vous ? Qu’importe ! Il vous reste votre ticket de cinéma pour pleurer).
I Like to be in America !
Quelle est cette volonté curieuse (et si française) de vouloir faire un film américanisé dès que l’on a de l’argent ? Posons sincèrement la question : pour une fois, un film français a un budget incroyable, dans chaque billet se cache la possibilité de rendre fier le chauviniste en vous, et qu’est-ce-que l’on décide de faire ? Un film français qui vomit son McDo de la première à la dernière minute. Tout ce qui fait des blockbusters américains de mauvais films fait de La Belle et la Bête un très mauvais film.
Monsieur Gans a poussé la fidélité de la copie jusqu’à la chanson vibes-et-vomi au générique de fin (chanson intitulée « Sauras-tu m’aimer ? », chantée par Yoann Fréget, gagnant de la Saison 2 de The Voice, ndlr). Pour enrober tout ça d’un peu plus d’amabilité : les dialogues sont d’une bêtise crasse, les personnages passent leur temps à sous-titrer à haute voix ce qu’ils sont en train de faire (ce qui n’est pas loin de donner la même sensation qu’une chaise à clous) et l’Actors Studio type Comédie-Française des acteurs a viré Molière de la maison pour le remplacer par Elie Semoun (sans préavis).
Résumé
« Je n’ai même pas d’arme pour t’achever », déclare le père de Belle à son cheval en proie à l’agonie. Il est fort possible que le phénomène d’identification le plus important du film soit celui que l’on crée avec Philibert le cheval. Vous êtes prévenus. En somme, La Belle et la Bête de Christophe Gans nous fait regretter la variété offerte par les techniques de torture moyenâgeuse et notre retard technologique quant à la machine à voyager dans le temps. Un spectacle à voir en famille (si tant est que vous n’y teniez pas tellement) !