Keep Smiling
Géorgie, France, Luxembourg : 2012
Titre original : Gaigimet
Réalisateur : Rusudan Chkonia
Scénario : Rusudan Chkonia
Acteurs : Ia Sukhitashvili, Gia Roinishvili, Olga Babluani
Distribution : ZED
Durée : 1 h 31
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 14 août 2013
Globale : [rating:3.5][five-star-rating]
Après 3 documentaires et 2 court-métrages, la jeune réalisatrice géorgienne Rusudan Chkonia a rencontré pas mal de difficultés avant de pouvoir réaliser son premier long métrage de fiction. Même si elle souffre de quelques défauts, il aurait été dommage que cette comédie dramatique et satirique n’arrive pas jusqu’à nos écrans, Keep Smiling étant un sympathique rayon de soleil dans la grisaille des sorties estivales.
Synopsis : À Tbilissi, la télévision géorgienne organise un concours pour élire la « Meilleure Mère de l’année ». La gagnante recevra un appartement et 25 000 dollars. Dix mères vont alors s’affronter et tout faire pour ne pas laisser passer cette chance d’accéder à une vie meilleure. Tous les coups sont permis. Une seule règle, garder le sourire.
La télé-réalité en Géorgie
Il ne faut surtout pas croire que la crétinerie soit l’apanage de certaines chaînes de télévision française. En fait, tous les pays s’y sont mis, inventant, copiant ou vendant d’une chaîne à l’autre tout ce qu’il y a de plus bas et de plus vulgaire. C’est ainsi qu’à l’initiative d’un député lié à la mafia locale, une chaîne de télévision de Géorgie se met en tête d’organiser sous l’œil des caméras l’élection de la meilleure mère de famille du pays. 10 candidates ont été retenues et, dans ce pays où un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, le premier prix a de quoi faire rêver : un appartement de quatre pièces et 25 000 dollars. Pour les départager, 5 épreuves allant du meilleur talent artistique aux capacités culinaires en passant par l’aspect physique. A part ça, comme l’annonce le présentateur aux candidates, une seule règle à respecter : garder le sourire / Keep smiling, sinon, tous les coups sont permis. Des coups (fourrés) qui, finalement, ne viendront pas tellement des candidates entre elles mais de la production et du présentateur.
Un portrait désenchanté de l’amer patrie
On comprend vite qu’avec cette histoire de concours télévisé, Rusudan Chkonia pratique l’art du fusil à tirer dans les coins. Certes, sa critique frontale de la télé-réalité est acerbe et plutôt drôle (tout en étant très juste!), mais la réalisatrice avait manifestement un autre dessein en réalisant ce film : dresser un portrait désenchanté et sans complaisance de son pays. En effet, son scénario lui permet de montrer le creusement des inégalités entre la petite caste des riches et le reste de la population, le délabrement des logements collectifs et la situation des immigrés. On y devine aussi le règne de la corruption et du passe-droit : ne retrouve-t-on pas, parmi les candidates, la petite amie du député qui concourt pour le titre de meilleure mère de famille du pays alors qu’elle n’a pas d’enfants ! Toutefois, le plus important pour Rusudan consistait sans doute à montrer les conditions de vie très difficiles des femmes géorgiennes dans une société qu’on devine particulièrement machiste.
Plutôt réussi
Pour un premier long métrage de fiction, Rusudan Chkonia n’a pas choisi la facilité : pas évident a priori d’arriver à faire passer ses messages au milieu de la description d’une émission de télé-réalité qui part de plus en plus en vrille, sans que cela paraisse artificiel. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle s’en sort très honorablement. Certes, la satire de la télé-réalité ne paraît pas totalement aboutie mais il est difficile de ne pas être ému à la vision de l’embarras d’une candidate, mère de plusieurs enfants, qui découvre sa photo, seins nus, en première page du journal, œuvre volée par un paparazzi qui s’était introduit dans les cabines d’essayage de l’émission. On suit aussi avec beaucoup d’intérêt le parcours de Gvantsa, le parcours bouleversant d’une violoniste de talent qui n’a jamais réussi à percer et qui rêve d’interpréter en direct la Chaconne de la 2ème partita pour violon seul de Jean-Sébastien Bach. Il faut dire que Gvantsa est magistralement interprétée par la superbe Ia Sukhitashvili. Dans l’excellente distribution du film, on note aussi la présence d’Olga Babluani qui joue Elene, une réfugiée abkhaze qui, depuis 16 ans, suite à la guerre d’Abkhazie, vit avec son mari et ses quatre enfants dans un hôpital de Tbilissi. Olga est la fille du réalisateur Témur Babluani, la sœur de Géla, également réalisateur et elle a joué dans L’armée du crime de Robert Guédiguian, sous le nom d’Olga Legrand.
Résumé
On connaît mal le cinéma géorgien. Si l’on met à part Sergei Parajanov, né en Géorgie mais d’origine arménienne, on pourra citer Tenguiz Abuladze, Prix spécial du jury du Festival de Cannes 1987 avec Le repentir, Revaz Tchkheidze, Témur Babluani, Géla Babluani et, bien sûr, Otar Iosseliani. Espérons que, d’ici quelques années, on puisse citer Rusudan Chkonia parmi les grands réalisateurs de ce petit pays. Un pays qui semble posséder un grand puits dans lequel se mélangent farce, nostalgie et désespoir, un puits dans lequel ses réalisateurs sont souvent venus puiser et que Rusudan Chkonia a commencé à explorer avec pas mal de talent dans Keep Smiling.
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