Grand moment en ce troisième jour du FEFFS, le dimanche 20 septembre, pour les cinéphiles «sophistiqués» avec la venue de Joe Dante, le papa des Gremlins, serait-on tenté de résumer, mais pas que, serait-on tenté de préciser. Comme l’a évoqué avec la faconde, l’aisance et la répartie éclairée que l’on lui connaît (oui, cirage de pompes, mais mérité), Jean-Baptiste Thoret a mené de main de maître les échanges avec l’un des maîtres (oui, je répète des mots) du cinéma de genre qui pour reprendre ses mots (même le mot «mots» je le répète) fait avant tout ses films pour lui-même plus que pour les spectateurs, ce qui est le meilleur moyen de les séduire. Enfin, c’est juste mon opinion et cela me rappelle un échange entre Hélène Ségara et Didier Wampas, la première clamant «moi, je chante pour mon public», le deuxième disant en résumé, «fuck le public, je chante d’abord pour me faire plaisir, moi» et contrairement aux apparences, penser à soi en premier lieu pour créer est le meilleur moyen de respecter les autres en tant qu’artiste.
Lorsqu’il lit un scénario, son premier instinct est de se demander s’il irait voir le film, sa deuxième préoccupation est de déterminer quel rôle pourrait revenir à son talisman, le génial Dick Miller alias monsieur Futterman dans Gremlins, présent dans quasiment tous ses films, voire tous, même parfois dans de brèves apparitions aussi absurdes soient-elles pour un homme de son âge désormais vénérable (87 ans). Un livreur de pizza dans The Hole, un flic sortant péniblement des toilettes dans le dernier, Burying the ex pour les derniers exemples. Le documentaire récent That Guy Dick Miller revient sur le parcours de cette légende du cinéma de genre. Cannes Classics en 2015 peut-être ? Please MR Frémaux… j’dis ça, j’dis rien…
Joe Dante évoque ensuite Susan Sontag et son étude du concept de «camp» qu’elle popularisa en 1964 lorsqu’il était un jeune homme gravitant dans la sphère intellectuelle de l’époque (voir ici pour les anglophiles son texte). Il interroge par exemple la perception que l’on peut avoir lorsque l’on redécouvre des films du passé avec nos interrogations du moment et les évolutions de la société, par exemple revoir un serial avec Batman des années 40 aux déroutantes connotations racistes. De cette interrogation est notamment né Movie Orgy, son film de montage d’une durée de sept heures de films (pour la version la plus longue) peu vus depuis longtemps ou difficiles d’accès (on est en 1966, avant l’ère de la cassette vidéo, oui heureux padawan qui découvrez les films en streaming avant la fin de leur tournage, c’est une époque lointaine que certains d’entre nous ont vécu en live, je digresse, just shoot me). Le programme-film inclut des extraits de serials donc, séries B, vieilles émissions de télévision, cartoons, films industriels ou publicités. Le cachet de cet exercice de style (générique début et de fin séparés d’une brève séquence de l’oeuvre) venant de sa durée extrême, et lorsque l’on en sort, on plane comme sous l’effet du produit hallucinogène le plus puissant (du genre à te faire aimer un film d’Alexandre Arcady, oui même L’Union Sacrée).
Son respect reste immense pour son mentor Roger Corman, toujours heureux de voir l’un de ses disciples fuir le cocon New Worldien, car si tu restes dans son écurie, c’est que tu n’es pas très doué, dixit le producteur mythique. Il reconnaît sans peine que son premier vrai long-métrage Piranhas est un emprunt très direct des Dents de la mer et plutôt que de faire semblant de rien à l’époque, l’a clairement affiché à l’écran, montrant des gamins jouer au jeu vidéo inspiré du film de Steven Spielberg. «Nous savons que c’est un plagiat éhonté, vous savez que c’est un plagiat éhonté, nous savons que vous savez que c’est un plagiat éhonté, vous savez que nous savons que vous savez que c’est un plagiat éhonté, donc amusez-vous avec nous». «Jaws come alone, piranhas come in thousands» clamait d’ailleurs la bande-annonce, sans vergogne.
«Avec Hurlements, on a fait le premier film de loups-garous post-moderne». Pour la première fois, les héros connaissaient le phénomène de transformation lycanthropesque (ce mot n’existe probablement pas) parce qu’ils avaient eu connaissance de ces créatures grâce au cinéma et n’avaient donc pas besoin de demander une explication à un intervenant extérieur sorti de nulle part. Avec ce film, il a appris à laisser son goût pour les clins d’oeil en arrière-plan. Citant une scène de Rosemary’s Baby dans laquelle William Castle (le producteur du Polanski) apparaissait dans une cabine de téléphone, il a filmé Roger Corman dans les (presque) mêmes circonstances, le montrant en train de ramasser frénétiquement les pièces oubliées sous le combiné. Pour ceux qui connaissent sa réputation de grand radin, c’est drôle, pour les autres, la réaction relève plutôt du «mais qu’est ce que ça vient faire là, cette séquence, c’est qui ce type ???».
Grâce au succès de Hurlements, il est repéré par Steven Spielberg qui envisage de tourner un film d’horreur à petit budget pour lancer sa boîte de production, Amblin. Dante croit presque à une erreur de destinataire lorsqu’il reçoit le script de Gremlins avec le nom de l’auteur de Jaws sur l’enveloppe. Il est invité à le rejoindre alors qu’il travaille sur la post-production de E.T. (dont il n’a pas le droit de regarder la moindre image, précise-t-il) et se retrouve alors engagé pour un volet de l’anthologie sur grand écran La quatrième dimension (Twilight Zone) avant de filmer les aventures de Gizmo & co. Le cadre de l’action, très marqué 50ies «la décennie durant laquelle j’ai grandi» était parfait pour la stylisation indispensable pour faire vivre ce conte de fées. Le clin d’oeil à La Vie est belle n’aurait pas forcément amusé Frank Capra d’après une interview faite par l’un de ses proches pour l’écriture d’une biographie.
Le personnage de Gizmo devait disparaître pour se transformer en créature démoniaque mais Spielberg s’est attaché à la peluche et a donc décidé qu’il devait être l’ami du héros finalement. Le choix de baser la couleur des poils de l’adorable peluche sur ceux du chien de Spielberg serait-elle à l’origine de cette affection ? Nul ne peut l’affirmer, non, nul ne peut, mais Joe Dante admet que la pérennité du film doit un très large pourcentage à cette décision majeure sur le plan dramatique. Sa rencontre avec Steven Spielberg change radicalement sa vie (même chose pour Mick Garris comme il nous le confia à Strasbourg aussi). Il quitte son vieux bureau rempli de cafards au-dessus d’une salle de bowling et tourne ce jalon dans sa filmographie et au moins un autre, Explorers, qui laissa un goût amer au réalisateur, même s’il reconnaît que «le film a ses fans». Explorers n’est pas vraiment achevé, les nouveaux administrateurs du studio ayant précipité la sortie alors qu’il n’était pas terminé. Les critiques furent désastreuses, l’exploitation un échec commercial.
Son cinéma est marqué, comme une évidence, par son affection pour les cartoons de son enfance. Il a fait apparaître Chuck Jones (père biologique de Bip-Bip et le Coyote et d’adoption de Bugs Bunny et Daffy Duck) dans Gremlins et admire Frank Tashlin, premier réalisateur de cinéma d’animation à passer à la réalisation de longs-métrages de fiction en parvenant à y transposer l’esthétique et l’esprit, notamment dans les films avec le duo Jerry Lewis / Dean Martin, Joe Dante voyant la relation Martin Short / Dennis Quaid dans L’Aventure intérieure comme un hommage à ce grand duo de la comédie américaine. Conçu comme un remake du Voyage Fantastique de Richard Fleischer, il se l’est approprié de façon bien plus personnelle en accentuant cette dualité de tempérament et d’emploi. Il regrette la disparition de l’animation image par image, créée à la main et de la qualité esthétique unique sur les lignes et les ombres. L’on sent une nostalgie pour un certain rendu visuel et physique, même s’il admet le passage au numérique et s’y est adapté.
Évidemment, la master class s’est achevée sur la grande question qui le poursuit ces jours / mois / années / siècle «Et alors, Gremlins 3, kiskisspasse-t-il?»). S’il est très attaché à Gremlins 2, plus personnel que le premier car imaginé en toute liberté, il est évident que pour lui «Gremlins n’avait pas besoin d’une suite mais la Warner, oui» ayant peu de doutes sur la tournure d’un troisième volet, dont il prédit la sortie à la Saint-Glin Glin voire pour la semaine des Quatre Jeudis. En restant optimiste…
Après avoir pris le soin de signer des dédicaces, il a présenté sans détour son dernier long-métrage Burying the ex, «do not expect the Great Joe Dante». Ce fut drôle à tourner, c’est drôle à regarder selon lui, remerciant le public d’être là pour le découvrir sur grand écran, car il s’agit (pour l’instant…) de la seule diffusion en salles en France, insistant que le meilleur moyen de découvrir un film est cette communion solennelle d’un groupe dans la pénombre d’une salle de cinéma, en l’occurrence le Star St EX. Et le résultat de cette nouvelle œuvre de notre cher Joe Dante ? En effet, ce n’est pas le plus grand film de sa carrière mais c’est plutôt divertissant avec une prestation réjouissante et très écolo snob d’Ashley Greene Inferno et de sympathiques punchlines sur la mort et ses variantes ainsi qu’un clin d’oeil à Oshima (Max, my love).
Merci aux sparring-partners de la traduction simultanée Louise Bouchu et Adèle Hattemer pour leur indispensable travail aux petits oignons qui a bien facilité cette retranscription en accéléré. Et à Nicolas Busser et Eric Unbekand pour les photos officielles.
Pendant ce temps-là à Vera Cruz… David Huriot voit aussi des films de Strasbourg… et il a la Dante dure (pardon, je sors…) sur ce nouvel opus…
Burying the ex de Joe Dante (2014, USA) (2,5/5)
Alors que le monde du cinéma a perdu en cette année 2015 deux grands noms du cinéma fantastique que sont Wes Craven et Christopher Lee, que John Carpenter et George A. Romero sont au crépuscule de leurs carrières, cela fait plaisir que cette bonne vieille ganache de Joe Dante, sale gosse du cinéma de divertissement des années 1980, continue coûte à coûte à réaliser des films, quitte à faire appel à ses fans via une campagne de crowfunding. Malheureusement, sans atteindre la catastrophe intégrale de The Ward de Big John, lequel échouait à peu près tout ce qu’il entreprenait, Burying the ex est un tout petit film insignifiant dans la production horrifique US et dans la carrière de Dante.
Narrant l’histoire d’un jeune couple dont la fille meurt soudainement dans un accident de la route et revient brusquement à la vie au grand dam de son petit ami, voilà une comédie horrifique qui n’atteint malheureusement aucun de ses objectifs, à savoir faire rire et frémir son spectateur. Mise en scène et rythmes poussifs, humour assez convenu et saynètes horrifiques assez peu réussies sont au programme de ce long-métrage certes pas désagréable à suivre mais décevant sur bien des points pour une œuvre signée Joe Dante.
Alors, oui : on sourit 2-3 fois, les références cinéphiles font plaisir à voir (Joe Dante en profite pour étaler toute sa culture populaire, de Mario Bava aux productions Val Lewton en passant par Herschell Gordon Lewis et Ed Wood) bien qu’elles n’apportent rien d’un strict point de vue scénaristique et l’on a envie de croquer à pleines dents la poitrine d’Alexandra Daddario qui nous a tant fait fantasmer lors de la saison 1 de True Detective, mais globalement, la sauce ne prend pas vraiment. Pas grave, Joe, tu es toujours dans nos cœurs de cinéphiles…