Le réalisateur s’est exprimé sur la santé actuelle du cinéma français dans une lettre adressée à la ministre de la culture, Aurélie Filippetti. Que faut-il en retenir ?
Le cinéma français va mal pour Joann Sfar. Oh, il pourrait aller pire. Ou mieux. Mais il va mal. Selon Joann Sfar dans sa lettre adressée à Aurélie Filipetti (ministre de la culture dans le gouvernement Ayrault), le cinéma français manquerait d’ambition et de grands projets alors qu’il peut rivaliser avec Hollywood. Pour ce talentueux réalisateur à n’en pas douter, « c’est anormal que les seuls films français à gros budget soient des adaptations de bandes dessinées des années 60 », taclant au passage l’usine Astérix. Il marque un demi-point, car comme le cinéma français nous l’a prouvé, les gros budgets ne font pas les meilleurs films, prenons pour témoin The Artist, La Guerre est Déclarée, Polisse ou même Intouchables pour reprendre les grands succès de l’année dernière. Ce qu’il estime « populaire », ce sont des films tels que La Reine Margot ou Germinal, parce que « ce sont des œuvres qui emportent tout le monde et dont on se souvient vingt ans après ». Amusant, mais nous avons plutôt l’impression que l’histoire se souvient surtout de la Nouvelle Vague (Godard, Truffaut & co) et des comédies façon Oury ou Lamoureux. Approximatif Joann Sfar ?
En revanche, le réalisateur semble toucher un point sensible : la langue française ne s’exporte pas. Ou mal. Plutôt que la langue, ce sont des personnalités qui s’exportent bien. Marion Cotillard ou Michel Gondry l’ont démontré avec brio. Jean Dujardin ou Michel Hazanavicius sont sur cette voie. Joann Sfar accuse donc les dirigeants de ne pas tout entreprendre pour faire rayonner la culture français, celle-là même qu’Antoine de Baecque taxait de vieillissante. Pour Sfar, il ne faudrait pas que les réalisateurs français soient « handicapés par rapport aux espagnols ou autres européens qui ont depuis longtemps recours à la langue anglaise pour leurs films les plus ambitieux ». Mr Sfar, ce n’est pas avec ce genre de réflexion que vous allez porter la culture française vers les sommets internationaux, elle qui brillait dans le passé (notamment pour la littérature ou encore l’architecture) grâce à sa langue. « Si on s’arc-boute sur la langue française, on ne défend pas le cinéma français », dénonce-t-il en soulignant cette phrase. Pour lui, l’anglais n’est pas la langue des américains, « c’est le langage du cinéma ».
Joann Sfar pousse un peu plus son imaginaire du cinéma français actuel. S’il ne se trompe pas sur les politiques à adapter venant des télévisions qui produisent et financent les œuvres cinématographiques formatées, il semble s’écrouler face au poids de l’argent. En ces temps de crise, Joann Sfar a l’indécence de demander des budgets plus importants… mais moins de productions. Il prend l’exemple de l’Espagne, dont le marche domestique serait « inexistant » (première nouvelle) et qui ne produit qu’une quinzaine de films par an avec des budgets plus conséquents. Pour Sfar, ces films voyagent bien. C’est pour cela que la plupart finissent dans des piètres remakes aux États-Unis (REC est l’exemple le plus frappant). Prenons l’exemple du cinéaste ibérique le plus influent actuellement, Pedro Almodovar. Si le public semble l’adorer, ce n’est ni l’avis du Festival de Cannes qui persiste à le bouder, ni l’avis des Oscars. Aussi talentueux soit-il, Almodovar a autant de problème pour s’exporter.
« Pleins de cinéastes français sont capables d’aller taquiner Harry Potter, mais il faut nous donner des armes pour cela », ajoute-t-il. Sur ce point, il n’a pas tort. Aucune production française ne pourrait prétendre à toucher la cheville d’Harry Potter question box-office. Mais faudrait-il que le cinéma français perde une identité créatrice pour mieux coller aux envies du marché ? Le public français a-t-il vraiment envie de voir une production taille Harry Potter en France ? Certains français ont compris avant Sfar le message de ce dernier. Luc Besson travaille d’ailleurs implicitement à redorer le blason d’une culture à la française, avec sa Cité du Cinéma et en faisant tourner en France ses grosses productions (Malavita avec Robert de Niro par exemple).
Joann Sfar voudrait que la France ouvre les yeux et se mettent à produire des « jouets excitants ». Il est vrai que notre cinéma peine à s’ouvrir au monde extérieur (et surtout au marché américain). Mais Intouchables et son nouveau statut de film français le plus vu au monde devrait tôt ou tard changer la donne. Le festival de Telluride aux États-Unis est un tremplin pour les films français. Xavier Giannoli (Superstar) et Jacques Audiard (De rouille et d’os) y ont présenté leurs derniers films, regardant désormais avec plus d’intérêt les Oscars qui se profilent à l’horizon. Olivier Dahan (La Môme) prépare un biopic sur Grace de Monaco avec un casting international. Lorsque l’on voit l’intérêt de médias américains pour la France, tels que Twitch ou The Hollywood Reporter, on se dit que tout cela peut bouger, à petite échelle certainement. Mais déjà beaucoup d’argent circule dans le cinéma français, et demander plus de moyens pour moins de productions ne serait probablement pas bénéfique pour ceux qui travaillent nuit et jour dans cet univers. Jean-Paul Salomé, réalisateur des Belphégor et autre Arsène Lupin, axe sa réflexion autour du fossé qui sépare cinéma indépendant et grosses productions autour de la question des financements. « Pourquoi la production indépendante trouve-t-elle moins d’argent, alors qu’il coule à flots dès qu’un film est soutenu par Gaumont ou Pathé ? » dénonce-t-il. Et pourquoi la France ne dispose-t-elle pas d’un festival médiatisé dont le principe ressemblerait à celui de Sundance ?
La question que ne se pose pas Joann Sfar dans sa réflexion, probablement motivée par de belles et sincères ambitions, est la suivante : que veut-il, faire du chiffre et exporter une certaine idée du cinéma français ? Souhaite-t-il transformer l’art populaire en un business commercial où l’État tiendrait un rôle prépondérant ?