J. Edgar
États-Unis : 2011
Titre original : –
Réalisateur : Clint Eastwood
Scénario : Dustin Lance Black
Acteurs : Leonardo DiCaprio, Naomi Watts, Armie Hammer
Distribution : Warner Bros. France
Durée : 2h15
Genre : Drame
Date de sortie : 11 janvier 2012
Note : 4,5/5
Eastwood livre un flamboyant biopic sur une figure controversée de l’Amérique, le pionnier de la criminalité moderne, J. Edgar Hoover. Mais comme à son habitude, le cinéaste ne se contente pas d’une linéarité académique ni d’un traitement consensuel du sujet. Et c’est une fois de plus un miroir pas vraiment déformant qu’il tend à l’Amérique. Un film donc résolument politique. Di Caprio y est prodigieux.
J. Edgar Hoover débute dans la police pour faire plaisir à sa mère. Toujours pour elle, il va s’étourdir au boulot en créant le FBI. Adulé et craint, il mène d’une main de fer ses équipes qui démantèleront bien des réseaux criminels. Mais sous le masque de l’incorruptible pionnier de la criminalité se cache un homme complexe et complexé dont les secrets n’auraient pas intérêt à être portés sur les devants de la scène publique…
Un miroir tendu à l’Amérique
Après deux opus légèrement moins convaincants mais qui n’en ont pas moins été surprenants dans sa carrière (Invictus et Au-delà), Clint Eastwood revient dans une forme éblouissante avec un biopic qui se plaît à distordre à l’envi les codes du genre. L’emblématique figure du père de la FBI, avec ses zones d’ombre qui éclairent d’autant mieux la part de son existence qui fut mise en pleine lumière, était un sujet idéal pour le cinéaste qui depuis trente ans se joue de toutes les conventions cinématographiques, convoquant au besoin des références pour mieux les passer à la moulinette de son regard au monde. Quitte pour cela à écorner sa propre image (comme dans les deux délicieux Absolute powers et True Crime).
Deux lignes narratives s’enlacent. La première se compose de flashbacks itératifs (procédé classique, de Assurance sur la mort à Citizen Kane) à partir de souvenirs que dicte le personnage à une armada de jeunes dactylos (hommes, précisons-le) se succédant dans son bureau. La seconde a pour point de départ l’année 1962, celle de l’assassinat de JFK à Dallas. Comme si ces deux trains de l’histoire lancés à vive allure se télescopaient sur cette date charnière pour l’Amérique. Il n’en faut pas davantage pour percer les intentions du cinéaste qui nous tend, en faisant ricocher une époque sur l’autre, un miroir sur l’Amérique post-11 septembre, autre traumatisme ayant entaché la bannière étoilée.
L’incarnation de Hoover est à elle seule la métaphore du destin de l’Amérique, ce colosse aux pieds d’argile comme le chante Renaud dans son Manhattan Kaboul. Brillant, respecté, adulé, sûr de lui face au reste du monde, d’une intelligence redoutable et doté d’une faculté d’analyse exceptionnelle, il est ce que l’Amérique fut des décennies durant aux yeux de tous : un modèle à la fois craint et respecté, puis brocardé et meurtri. Or l’une des toutes premières phrases du film annonce la couleur d’entrée de jeu : « Ce qui détermine une notoriété, c’est ce que vous cachez ». Et c’est justement cette partie qu’Eastwood va explorer, faisant ainsi exploser les codes du biopic.
Ainsi vont être d’une manière finalement assez frontale évoqués l’homosexualité latente du personnage, ses rapports idolâtres avec sa mère pourtant ouvertement homophobe (Judi Dench, éblouissante) et ses relations toujours très ambigües à l’amour. Hoover n’aime personne, pas même lui. Son travail et sa réussite écrasent tout. L’Amérique adore ce genre de héros qui sacrifie le jour de la Saint-Valentin sur l’autel du devoir à accomplir et qui l’exécute avec une rigueur toute militaire. Mais Eastwood le regarde avec une caméra presque narquoise, ce héros finalement de pacotille. Car Hoover reste un personnage de l’ombre, celui dont l’intervention aux informations dans les cinémas est coupée pour laisser place aux facéties de James Cagney avec son film « L’Ennemi public » qui tord la salle de rire.
Di Caprio habité
Et bien sûr, grand crédo eastwoodien, l’histoire se répète, enfermant ses héros qui courent après une improbable notoriété dans un cercle dont la mort seule les sortira. « Caressez un cercle, il deviendra vicieux », disait Guitry. Eastwood, de sa caméra toujours virtuose va bien insuffler un soupçon de vice dans ce cercle mais à dose homéopathique et pour mieux invectiver les forces dirigeantes d’hier et d’aujourd’hui. Car, avant tout et comme toujours, c’est une immense pudeur qui anime ce géant du cinéma, ainsi qu’on l’a vu dans Sur la route de Madison, Million dollar baby ou Gran Torino. Quitte à éluder des pans entiers de la bio de Hoover tout en filmant avec une image saturée pour mieux imprimer l’ambiance des années 30 et 40, assumant ainsi le paradoxe de l’ellipse historique et du réalisme, le cinéaste va ancrer ce personnage dans la réalité des hommes tout simplement. Magnifiquement aidé par un Leonardo di Caprio viscéralement habité et étonnant dans le rôle de Hoover vieilli, Clint Eastwood nous livre encore une œuvre diablement aboutie, un vrai film politique.
Résumé
Mené par un Di Caprio habité par son rôle, le nouvel opus de Clint Eastwood est une réussite majeure tant par la virtuosité de sa caméra que par sa manière toujours diabolique de déjouer les pièges du film de genre. Un très grand cru.
Totalement d’accord avec toi. Simplement je ne pense pas que ça soit aussi simple de dire que « il ne s’aime pas », je pense qu’il y a une dualité dans le personnage, il a quand même un ego surdimensionné (besoin d’étaler ses réussites, et également celles des autres qu’il s’attribue, il sait qu’il est un homme puissant qui peut tenir tête à un président) mais il déteste aussi ce qu’il est (son homosexualité qu’il doit refouler tout d’abord, les problèmes d’élocution que « speedy » combat depuis l’enfance). Par contre j’avais entendu dire qu’il se travestissait aussi, Eastwood le sous entend mais très rapidement et la scène peut-être interprétée différemment en fait, il aurait été intéressant de creuser ça aussi. Mais bon le film est déjà super, pas grand chose à redire.
J’ai fait un rêve: J.Edgard par Oliver Stone…
Belle analyse
Je trouve ,une critique absolument fascinante !!!