« Comédien c’est ma drogue. Réalisateur c’est mon métier »
Il n’a pas 20 ans, déjà deux courts métrages à son actif en tant qu’auteur et réalisateur. Devant la caméra, on l’a vu à deux reprises en 2011 : dans « Mon fils à Jo » aux côtés de Gérard Lanvin et partenaire de François Cluzet dans « Mon père est femme de ménage ». Deux films qui ont totalisé de beaux scores au box-office. La conversation, après avoir fait un tour vers le foot, arrive sur Fabrice Luchini et le « Molière » de Laurent Tirard… Rencontre avec un jeune artiste bien dans son époque qui sait se servir de twitter bien mieux que Nadine Morano et qui promène sa cinéphilie de « Star Wars » à Kubrick…
Critique Film.fr : Jérémie, ta courte mais néanmoins intéressante filmographie fait apparaître quelque chose d’assez rare, même chez des comédiens chevronnés : deux films qui sont tous deux des premiers films. En tant que metteur en scène de courts et bientôt, je l’espère, d’un long, comment as-tu vécu ces expériences ?
Jérémie Duvall : Vu que c’était mes premières expériences au cinéma, je n’ai pas tellement fait attention à ça. En plus, la chance que j’ai eue est d’avoir tourné avec deux très grands acteurs, qui, s’ils se lançaient dans ce type d’entreprise, avaient de bonnes raisons de le faire. Donc, c’est plus le fait d’être entouré de ces deux grands comédiens expérimentés qui comptait que d’être sur des premiers films. En plus, Philippe Guillard sur « Le fils à Jo » parlait d’un sujet qu’il connaissait très bien… Avec Saphia Azzedinne, c’était plus délicat car elle est romancière à la base et en plus elle adaptait là son propre roman. Mais François Cluzet était là pour l’épauler et elle avait un conseiller technique. Du coup elle s’est plus concentrée sur la direction d’acteurs.
CF : Et avec Lanvin et Cluzet, ça s’est passé comment ?
JD : Formidable ! Chaque expérience a vraiment été unique. Gérard Lanvin est quelqu’un de très spontané, impulsif alors que Cluzet est très intérieur. Il prépare, se concentre beaucoup et se lâche après. Mais ce sont deux manières très différentes d’aborder le jeu.
CF : Ils sont exactement pareils en interviews… Lanvin n’est pas très sympathique…
JD : Mais je crois qu’il n’aime pas ce côté-là du métier…
CF : Je pense aussi… Et Cluzet, c’est un volcan. Il bouillonne en permanence.
JD : Oui c’est complètement ça.
CF : Autant l’un que l’autre te laissent le beau rôle dans les deux films… En fait, le rôle principal, c’est toi qui le tiens…
JD : C’est vrai que j’avais plus de jours de tournage que François dans « Mon père est femme de ménage ». Mais le beau rôle, non, je ne pense pas. Dire à son père qu’il est bon qu’à laver la merde des autres, c’est pas très reluisant…
CF : Certes. D’autant qu’au final, c’est lui qui a raison…
JD : Oui, c’est vrai. Mais en fait, un film ne se fait pas seul. On n’est pas bon tout seul. Et ça, je l’ai appris au fil des tournages. Quand tu tournes avec des acteurs comme ça, ils t’élèvent vers le haut.
CF : Tu peux nous dire deux mots sur ton parcours ?
JD : J’ai commencé à faire du théâtre à l’âge de huit ans. Et voilà, les choses se sont ensuite bien passées…
CF : Est-ce qu’en interview on t’a déjà comparé avec des comédiens qui comme toi ont démarré très jeunes ?
JD : Oui. On m’a dit une fois que j’étais un mélange de Jean-Pierre Léaud et de Jean Sarkozy.
CF : Dur ! Et pourquoi ces deux « modèles » ?
JD : Léaud parce que j’ai commencé très jeune comme lui. Et l’autre, parce que j’ai de la détermination. C’était sur plateau télé. J’étais tout seul face à trois journalistes pour défendre le film. Je n’étais vraiment pas à l’aise après cette remarque et du coup je n’ai pas dit grand-chose après…
CF : J’aurais plutôt pensé, quitte à comparer avec des actrices, à Charlotte Gainsbourg dans « L’Effrontée » ou bien sûr Sophie Marceau dans « La Boum ».
JD : Oui ou Alexandre Sitruc ou Jean-Baptiste Monnier. Alexandre, il est dans le « Fils de l’autre » en ce moment. Jean-Baptiste a plus de mal. C’est extrêmement difficile à garder une continuité, surtout à nos âges où on change quand même pas mal.
Photo de Franck Bortelle
CF : Question transition pour parler de mise en scène : est-ce que sur les tournages de ces deux films, tu avais un œil très attentif sur le travail des réalisateurs ?
JD : Oui bien sûr. J’avais commencé à observer les choses sur mon premier téléfilm, « Bas les cœurs » de Robin Davis. J’étais sans arrêt à questionner les techniciens. Sinon, c’est avec François Cluzet que j’ai appris beaucoup de choses sur la direction d’acteurs car il est très technique dans sa manière de bouger. Il connaît ça par cœur et il aidait beaucoup Saphia Azzedine. Et puis, bien sûr, en tournant mes propres courts métrages, j’ai énormément appris et je pense être au point, si tant est qu’on puisse l’être complètement un jour, pour aborder le troisième. En tout cas, je sais quoi utiliser comme matériel par rapport à mes envies.
CF : Et en regardant les films finis dans lesquels tu as tourné, tu t’es interrogé sur la manière avec laquelle tu t’y serais pris si tu avais été derrière la caméra ?
JD : Oui, forcément. On a son propre regard et ce phénomène est inévitable. Mais à condition de passer outre la première impression que provoque le fait de se voir à l’écran. Car là, on se trouve juste nul. Mais c’est quand même davantage quand tu écris ton scénario que tu te poses des questions de mise en scène, pas dans les films où tu joues.
CF : J’ai lu que tu mettais Kubrick en tête de tes cinéastes préférés…
JD : Oui. Je l’ai découvert assez tard, il y a deux ans. Sa diversité est impressionnante. Il a abordé tous les genres et réalisé un film référence à chaque fois. Et derrière l’ingéniosité, la créativité, il y a des remises en question de la société, du sous-texte. C’est pourquoi il faut, je pense, revoir ses films, ne serait-ce que parce qu’on s’y ennuie jamais ce qui n’est pas le cas avec tous les films…C’est lui qui a inventé le steadycam, procédé que j’adore. Ses travellings sont à tomber. J’aime aussi le côté malsain dans ses films. « Orange mécanique » est le seul film que j’ai du arrêter tellement il m’avait mis mal à l’aise. Ce côté animal est incroyable. « Shining » est un de mes films préférés. « Full métal jacket », c’est le meilleur film de guerre jamais réalisé…
CF : La séquence d’ouverture, l’incorporation, est démoniaque, en effet.
JD : Oui. Heureusement qu’on n’a plus ça aujourd’hui vu que le service militaire n’existe plus. C’est dommage d’ailleurs…
CF : Ah bon ?
JD : Oui, c’est quand même la défense de notre pays qui est en jeu et je pense qu’on aurait du maintenir le service. Peut-être pas tel qu’il était mais au moins qu’il y ait une formation pour permettre de comprendre à quoi sert une défense nationale, ce qu’est une hiérarchie car on vit dans un monde hiérarchisé en permanence…
CF : Revenons à Kubrick tout en restant dans le milieu militaire : tu as vu « Les Sentiers de la gloire » ?
JD : Oui, j’aime énormément ce film. J’étais un peu rétif au noir et blanc mais une fois dedans, c’est juste énorme. Je ne connaissais pas Kirk Douglas : il est géant ! Et ces travellings dans les tranchées ! Et de manière générale, Kubrick ne nous amène pas là où on s’attend. C’est aussi ce que j’adore chez lui.
CF : Et d’un point de vue strictement technique, qu’est-ce que t’ont apporté ses films ?
JD : Kubrick, c’est bourré de technique qui ne se voit pas. Et c’est ce qui est fort chez lui et qui me semble essentiel, à savoir que la technique serve l’histoire mais qu’elle ne soit pas la seule chose du film. Si tu prends « Avatar » par exemple, ok, c’est beau. Mais y’a rien dessous, c’est creux.
CF : Un beau livre d’images, oui…
JD : Oui, là, la technique surpasse l’histoire. Dans mon premier court métrage, j’étais plus dans la technique mais j’ai compris que c’était l’histoire qui devait dominer. Un peu moins dans le deuxième. Et dans le troisième que je tourne prochainement, j’essaye de voir comment la technique peut servir l’histoire. En dessinant le storyboard avec Oscar on s’interrogeait sans arrêt sur l’utilité de tel ou tel plan par rapport au scénario.
CF : Tu es d’accord avec le fait qu’un bon metteur en scène est celui qui écrit ses scénar ?
JD : Oui. Le système américain pour ça n’est pas terrible. A part chez les grands metteurs en scène qui écrivent eux-mêmes leurs scénarios.
CF : Comme Woody Allen ?
JD : Ah j’adore Woody Allen ! « Midnight in Paris », c’est le plus beau film jamais réalisé sur Paris. Ce qu’il fait faire à Owen Wilson est étonnant.
CF : Et chez les Français ?
JD : Olivier Marchall, avec qui j’ai tourné dans « Le Fils à Joe ». J’aimais déjà ses polars avant. J’aime beaucoup Michel Hazavanicius aussi, dont on parle beaucoup en ce moment mais j’avais déjà adoré « OSS 117 ». Tavernier pour ses films historiques aussi. Truffaut pour l’ambiance. Les films de Gérard Oury aussi. Les anciens Chatiliez. Yves Robert aussi… Ah, aux Etats-Unis, j’oubliais Hitchcock !
CF : Il n’écrivait pas ses scénarios pourtant…
JD : C’est vrai mais y’a une telle présence du metteur en scène dans les films. « Psychose », la première fois que je l’ai vu, j’ai flippé comme un fou.
CF : Et si on parlait de ton prochain court métrage, le troisième ? Tu le tournes bientôt : que peux-tu nous dire sans trop en dévoiler ?
JD : Ca s’appelle « Obsessions », c’est une histoire de culpabilité d’un père à cause de la mort de sa fille. Y’a une grande partie onirique dans le scénario. C’est plein de surprises, de ruptures, de suspens. Très peu de dialogues. Un gros travail sur les couleurs aussi…
CF : C’est un format de combien de minutes ?
JD : 12.
CF : Et les interprètes sont déjà choisis ?
JD : C’est Xavier Maly, qui jouait dans « Des hommes et des dieux » qui tient le rôle principal. C’est quelqu’un avec qui j’avais très envie de travailler. C’est un vrai contre-emploi.
CF : Un long métrage bientôt ?
JD : J’ai des idées bien sûr. Mais c’est dur.
CF : Comme comédien tu envisages de continuer, en alternance avec la mise en scène ?
JD : Ah oui. Comédien c’est ma drogue. Réalisateur c’est mon métier…
CF : Jolie formule…
JD : C’est exactement ça. J’adore jouer la comédie. Je ne pourrais pas m’en passer. J’ai connu ça à l’âge de huit ans et je veux poursuivre.
CF : Vu ton jeune âge et ton parcours déjà fourni dans la mise en scène, on pourrait penser que le jeu est secondaire dans ta vie…
JD : Ah non. Jouer est vraiment une drogue. Quand on m’a proposé de jouer Drucker jeune, j’étais comme un fou. Je l’ai rencontré, c’était passionnant.
CF : Que t’apporte Oscar dans ton travail ?
JD : C’est mon troisième œil. Quand tu fais voir aux autres ce que tu accomplis, ils ne sont pas à la genèse du projet et leur avis, même intéressant, n’apporte pas la même chose que ce qu’Oscar m’apporte. Là on bâtit le scénario à deux. En plus, Oscar a énormément de référence en matière de musique de films. Il peut lui arriver de me parler de deux notes dans un morceau. Il est complètement là-dedans… Oui, c’est mon troisième œil…
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