In Fabric
Royaume-Uni, 2018
Titre original : In Fabric
Réalisateur : Peter Strickland
Scénario : Peter Strickland
Acteurs : Marianne Jean-Baptiste, Gwendoline Christie, Fatma Mohamed, Hayley Squires
Distribution : Tamasa Distribution
Durée : 1h58
Genre : Fantastique / Interdit aux moins de 12 ans
Date de sortie : 20 novembre 2019
Note : 2,5/5
Même avant que la France n’ait adopté ces dernières années la coutume anglo-saxonne du « Black Friday », on pouvait légitimement avoir l’impression que c’était tous les jours les soldes. Promotions ininterrompues sur cette catégorie-ci d’articles ou sur celle-là, rabais monstres et autres astuces commerciales pour toujours nous faire consommer plus : il y a de quoi perdre la tête dans cet engrenage capitaliste parfaitement huilé. Le quatrième film du réalisateur Peter Strickland, présenté en compétition au Festival des Arcs, tient compte de ce fait de société sur un ton malicieux. Le problème est que In Fabric ne se contente guère d’être une satire sociale, mais qu’il cherche également à rendre hommage à l’épouvante italienne des années 1970, avec ses couleurs criardes et son climat diffus d’étrangeté. Il en résulte une œuvre formellement fascinante, qui pâtit en même temps d’un scénario désagréablement creux, tout juste en mesure de servir de prétexte pour un enchaînement de perversions presque littéralement sans queue, ni tête. En somme, il s’agit d’à peine plus que d’un assemblage bancal de figures de style, exécutées avec une adresse narrative variable, sans qu’elles n’atteignent le stade d’une cohérence dramatique satisfaisante.
© Bankside Films / Tamasa Diffusion Tous droits réservés
Synopsis : Une employée de banque à peu près exemplaire, Shella cherche à refaire sa vie, après avoir divorcé de son mari. Elle répond à des annonces de rencontres dans le journal. Pour son premier rendez-vous galant, elle voudrait faire un effort exceptionnel et se rend à la boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s. C’est une robe rouge qui l’attire particulièrement en cette période de soldes d’hiver, malgré le comportement étrange de la vendeuse. Or, son nouvel habit ne lui portera point chance, puisqu’il déclenche une série d’événements aux conséquences néfastes chez cette femme, de surcroît dégoûtée par Gwen, la nouvelle copine de son fils Vince.
© Bankside Films / Tamasa Diffusion Tous droits réservés
L’abstraction de la vente
L’univers créé par In Fabric ne manque pas d’intérêt. Il ne devient jamais tout à fait clair si c’est une version décalée du passé, du présent ou du futur qui s’y manifeste par le biais d’un ordre social en fin de compte pas si éloigné du nôtre. Ainsi, les situations de la vie quotidienne auxquelles le personnage principal doit faire face ne sont jamais inventées de toutes pièces. Néanmoins, les éléments déroutants y pullulent de manière sournoise, comme si l’évolution de cette civilisation imaginaire avait emprunté à plusieurs reprises des bifurcations différentes de celles qui ont abouti à notre mode de vie contemporain. Une certaine notion de robotisation s’est introduite dans les échanges humains, à tel point que le mystère plane sur la véritable nature de bon nombre de personnages, au discours et au comportement trop formatés pour être encore immédiatement reconnaissables en tant qu’humains à part entière. Certains d’entre eux évoluent d’ores et déjà dans un état de transe, déclenché par des sources de décrochage psychologique aussi complémentaires, voire diamétralement opposées, qu’une publicité passée à la télévision ou le diagnostic sur l’état de délabrement des machines à laver, débité sans le moindre état d’âme. Peut-être est-ce justement à cause de leur vacuité que ces expressions deviennent si redoutables, dans un monde bâti en apparence exclusivement sur des lieux communs et autres formules de politesse, vidées de leur sens.
© Bankside Films / Tamasa Diffusion Tous droits réservés
1970’s Yellow
Hélas, autant les diverses pistes de réflexion sur ce monde, voué à la fois à un mode de consommation de masse décérébré et à une solitude affective exacerbée, peuvent s’avérer passionnantes, autant l’habillage dramatique qui est censé les accorder, les unes avec les autres, montre rapidement des signes de faiblesse. En plus des réserves que nous inspire sans exception le dispositif formel consistant à montrer des photos de l’action à venir en arrière-plan du générique de début, c’est l’élément clé de l’intrigue, cette robe rouge aussi belle que maléfique, qui n’a pas tardé à nous déconcerter. Elle sert certes de lien entre les deux parties du scénario – alors qu’on aurait largement préféré rester plus longtemps auprès du personnage interprété par Marianne Jean-Baptiste, sans doute plus complexe qu’il ne paraît à première vue –, mais l’absence flagrante de quelque explication vaguement crédible que ce soit sur sa raison d’être finit par priver le récit de tout suspense. La robe fatidique a ainsi beau flotter en lévitation, glisser le long du sol d’une façon techniquement peu subtile ou attaquer sans prévenir ceux et celles qui pourraient lui vouloir du mal, elle n’est jamais plus qu’un gadget, un clin d’œil peu fin à la tradition du film de genre italien, récemment rappelé à la mémoire des cinéphiles avertis par la ressortie des films de Dario Argento, par exemple. Car contrairement aux films du maître du « giallo », il manque à celui-ci une aura profonde, susceptible de creuser davantage au tréfonds de la nature humaine que tente laborieusement de le faire cette séquence de voyeurisme bon marché, au cours de laquelle le patron lugubre du magasin s’excite sur les sécrétions rouges sang d’un mannequin.
© Bankside Films / Tamasa Diffusion Tous droits réservés
Conclusion
C’était un début de festival en demi-teinte, cinématographiquement parlant, que ce film britannique, mi-figue, mi-raisin en termes d’effroi et de virtuosité esthétique. In Fabric n’est point avare en bonnes idées, même si celles-ci manquent souvent d’originalité. Mais leur transformation en un fil narratif irrésistible a d’emblée été minée par un scénario trop vague et décousu pour se montrer à la hauteur de ses aspirations de mise en abîme d’un style filmique clairement daté par rapport à notre époque, plus que jamais vouée au culte du commerce et des belles fringues.