Hotel Dallas
Roumanie, 2016
Titre original : Hotel Dallas
Réalisateurs : Livia Ungur et Sherng-Lee Huang
Scénario : Livia Ungur et Sherng-Lee Huang
Acteurs : Livia Ungur, Patrick Duffy, Nicu Ungureanu
Distribution : –
Durée : 1h14
Genre : Docu-fiction
Date de sortie : –
Note : 2,5/5
Il y a longtemps, lorsque la génération des bobos actuels était encore bercée dans sa plus tendre enfance et par conséquent réceptive aux images diffusées à la télévision, la série « Dallas » relevait du phénomène. Son impact sur la conscience collective de la planète entière était tel, que même les succès les plus exceptionnels qui remplissent de nos jours tranquillement les caisses des services de vidéo à la demande doivent paraître en comparaison comme d’insignifiants divertissements éphémères. Les années 1980, c’était « Dallas », et inversement, dans un jeu d’échange peut-être jamais égalé depuis, entre l’état d’esprit bling-bling d’une époque et son reflet guère déformé sur le petit écran. Le pays sans doute le plus touché par cette idolâtrie sans bornes était curieusement la Roumanie. Initialement programmée en tant que contre-exemple à ne surtout pas suivre par des autorités roumaines en perte d’influence, la série y avait littéralement déplacé les foules, jusqu’à la révolution de la fin de l’année 1989, qui s’était soldée, non pas par la disparition de J.R., mais par l’exécution sommaire du dictateur Ceausescu et du système qu’il représentait. Quoi de plus stimulant alors, que de mettre en perspective ce croisement entre la réalité et la fiction par le biais d’un documentaire ? La voie choisie par le couple d’artistes à l’origine de Hotel Dallas – présenté au Festival de Bergame dans la sélection Visti da vicino – peut avoir de quoi déconcerter. Leur film relève en effet plus de l’œuvre d’art, abstraite et assez déroutante, que d’une étude minutieuse des différents courants anthropologiques qui pourraient expliquer rétrospectivement le culte autour du clan Ewing.
Synopsis : La série « Dallas » a laissé son empreinte sur la société roumaine. Alors qu’elle avait fermement planté le rêve dans la tête de la future artiste Livia Ungur de partir vivre un jour aux Etats-Unis, le roi des tournesols de la région de Slobozia avait poussé l’admiration encore plus loin en construisant un hôtel inspiré du ranch Southfork, avec en prime une réplique de la Tour Eiffel. Un touriste américain, Monsieur Here, se rend dans ce modeste parc d’attractions. Il souhaite ensuite continuer son voyage vers une colonne dorée qui va jusqu’au ciel. Livia devient son guide, tout en s’interrogeant, assise dans un emballage de gâteau, sur le rôle que la série emblématique a joué dans la conscience de ses proches.
Ici et maintenant
Comment cerner un film qui se dérobe à toute classification et plus précisément comment en rendre compte à l’écrit de manière synthétique, alors qu’il donne l’impression de se faire un malin plaisir à rester hermétique à toute tentative de compréhension classique ? La tâche ne devient guère plus facile, lorsque l’on doit reconnaître un certain talent du côté plastique aux réalisateurs, Livia Ungur ainsi que son mari Sherng-Lee Huang. En termes d’images, il n’y a en fait pas grand-chose à reprocher à ce documentaire atypique, qui procède à un joyeux mélange de motifs, pour la plupart mis en scène et néanmoins investis d’une certaine valeur réaliste. Les plans à vocation exclusivement artistique se font en effet très rares. Ils véhiculent presque sans exception une interrogation astucieuse par rapport à l’influence des codes promus par la saga à scandales répétitifs sur la perception des Roumains de leur existence post-communiste. De même, la participation d’une des vedettes légendaires de la série relève de l’exploit de casting, Patrick Duffy se pliant docilement aux raisonnements farfelus qui se présentent à son personnage, le plus souvent hors champ à la place de la caméra et par répercussion du spectateur.
Ailleurs et autrefois
Cependant, il devient de moins en moins clair, au fur et à mesure que les pistes de réflexion s’éparpillent, où les réalisateurs veulent en venir avec leur documentaire, malgré tout trop pragmatique pour passer comme une œuvre abstraite pure et dure. Le lien avec le contexte historique roumain – pourtant le point de départ prometteur de Hotel Dallas – a ainsi tendance à s’amincir, une fois que le dispositif du jeu de rôle des pionniers est arrivé à bout de son potentiel de mise en abîme. Le choix d’inclure un minimum de documents d’archives relativise en outre la portée documentaire du film, réduit dès lors à quelques remarques philosophiques hors sujet de la part d’intellectuels réunis autour d’une table à Noël. La perte du fil conducteur s’achève plutôt tristement avec la mise à contribution d’une autre icône américaine, John Wayne dans L’Ange et le mauvais garçon de James Edward Grant. Au lieu d’appliquer les bribes modestes d’analyse de l’idéal hollywoodien au sens large établies auparavant à ce héros plus grand que nature, à la renommée encore plus universelle et éternelle que celle de Larry Hagman, Livia Ungur préfère procéder à une simple relecture hâtive de l’intrigue du western. Un exercice en fin de compte aussi vain et superflu que l’impression donnée par ce documentaire qui, en partant d’une prémisse ingénieuse, ne peut s’empêcher de se perdre en route à plusieurs reprises. A moins que son but ait été de démontrer justement que l’interaction entre l’Histoire et les médias ne peut susciter que des constats fâcheusement approximatifs.
Conclusion
De nos espoirs a priori légitimes de voir passer la tribu Ewing à l’Est, avec tout ce que cela implique en termes de chocs culturels et autres récupérations mercantiles, il ne reste plus rien après la vision de Hotel Dallas. Même l’option de tourner savamment en dérision les excès des millionnaires texans face aux pénuries matérielles sous le régime Ceausescu n’a pas été retenue, au profit d’une démarche mi-figue, mi-raisin, vaguement à la recherche du temps perdu et des madeleines trempés dans de l’huile de tournesol jusqu’à devenir presque indigestes.