Le réalisateur américain Tobe Hooper est décédé ce dimanche 27 août à l’âge de 74 ans, quelques semaines après George Romero, le «père» des zombies au cinéma. Ces deux personnalités auront marqué l’histoire du cinéma fantastique comme peu d’autres avant ou après eux.
Son deuxième long-métrage, Massacre à la tronçonneuse, tourné en 1974, reste un jalon dans l’horreur, comme le fut cinq années auparavant La Nuit des morts-vivants qui fut d’ailleurs une source d’inspiration pour Tobe Hooper.
À ce diptyque historique qui a influencé de nombreuses vocations (de cinéastes, on vous rassure…) et donné la chair de poule à quelques amateurs de frissons, on est tenté d’ajouter celui d’un autre grand disparu, Wes Craven avec La Dernière maison sur la gauche, sorti en 1972, même s’il est moins ancré dans la mémoire collective que ses deux «frères d’armes».
Massacre ne fut réellement accessible au public français seulement en 1981, après une très brève exploitation à l’époque et les amateurs de VHS se souviendront de celle éditée par René Chateau dans la collection «Les Films que vous ne verrez jamais à la télévision».
Le nombre de scènes strictement gores reste mesuré, notamment du au fait que Tobe Hooper voulait éviter que le film ne soit interdit aux moins de dix-huit ans. Pourtant, ce film tendu à l’atmosphère malsaine fait trembler ses spectateurs, par la mise en scène naturaliste ; une intensité soutenue, d’abord avec les premières rencontres guère rassurantes des passagers hippies et urbains du mini-van, dans une contrée étrangère pour eux, puis surtout à partir du premier meurtre ; et surtout avec son tueur sans visage. La première apparition de cette créature qui semble dépourvue d’âme surnommée plus tard Leatherface (face de cuir, en raison de l’étrange masque de chair qui couvre son visage), bondissant derrière sa porte en fer coulissante a marqué au fer rouge les esprits, notamment grâce au travail impressionnant sur le mixage sonore.
Cet être comme surnaturel, armé d’une tronçonneuse, qui s’en prend à quelques jeunes adultes qui se sont approchés trop près de sa demeure, est l’une des grandes figures contemporaines de la terreur sur grand écran, créée trois ans avant Michael Myers dans Halloween de John Carpenter, très inquiétant mais plus irréel. Malgré sa dimension monstrueuse, cette créature privée de la parole laisse percer une humanité malmenée par sa famille pour le moins dysfonctionnelle. La scène du dîner familial est à la fois grotesque et étrangement banale par certains aspects. La dernière séquence de poursuite est un autre passage terrifiant du film, évoquée notamment dans nos hommages à Gunnar Hansen alias l’homme à la tronçonneuse et à Marilyn Burns, sa victime potentielle. Une des meilleurs fins du cinéma d’horreur, offrant à la fois une forme de conclusion rassurante mais aussi l’impression que ce presque happy end n’est qu’un leurre. En passant de la nuit au jour, réalité et cauchemar se mêlent avec cette idée inquiétante que désormais une barrière a été franchie dans la représentation de la folie homicide à l’écran. Les œuvres précitées de Craven et Romero partagent d’ailleurs ce glissement redoutable de la pénombre au petit matin qui accroît la peur, rendue encore plus tangible lorsqu’on réalise définitivement que non, ce n’était pas un cauchemar…
Le malaise est donc réel avec ce premier essai plus que réussi, loué par tous les autres maîtres du genre (entre autres personnalités du cinéma) qui trouble jusqu’à ceux qui ne l’ont pas vu mais en ont entendu parler. Les diverses suites, remakes et reboots (dont l’une pourtant est écrite et réalisée par Kim Henkel, Massacre à la tronçonneuse : La Nouvelle Génération en 1994, avec Matthew McConaughey et Renee Zellwegger, mais aussi Marilyn Burns dans une brève apparition) n’auront pas le même impact, et de très loin. Son expérience dans le documentaire télévisuel a certainement eu un effet majeur sur ses choix de mise en scène et le ressenti à sa vision. Dans son hommage à Tobe Hooper dans le New-York Times, une anecdote savoureuse est évoquée : comment Steven Spielberg aurait fait une pause sur le tournage de 1941 lorsque le chef opérateur de Massacre est passé sur le plateau, tenant à l’interroger sur un plan précis, celui où la deuxième victime s’extraie de la balancelle pour rejoindre son compagnon entré dans la demeure de Masque de cuir, à retrouver dans ces images, à partir de 6’30 et dans la dernière vidéo en fin d’article, une interview avec Daniel Pearl, le directeur de la photo du film.
La violence de Massacre n’est pas frontale, mais plus sourde et basée sur le suspense que sur l’accumulation de cadavres (il n’y a «que» cinq morts), et donc plus percutante. La caméra s’attarde par exemple plus sur un seau qui recueille le sang d’une victime que sur la perche où elle est empalée. Malgré un peu d’humour, qui cible autant les hippies que les rednecks, aucun cynisme et autre rempart rassurant contre la force évocatrice des images mûrement pensées. Le récit, imaginé avec un autre texan, Kim Henkel, est librement inspiré du tueur en série Ed Gein qui a oeuvré dans les années 1950 et inspiré, d’une toute autre manière, le personnage de Norman Bates dans Psychose. Le film est projeté à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs et sera à nouveau programmé quarante ans plus tard, en présence de son auteur et d’un de ses fans, Nicolas Winding Refn.
Né à Austin (Texas) le 25 janvier 1943, Tobe Hooper est un enfant littéralement né au cinéma, sa mère ayant ressenti ses dernières contractions dans une salle de cinéma et son père lui ayant mis une caméra dans les mains dès l’âge de neuf ans. Cinéphile, il considère sa salle de cinéma comme sa meilleure baby-sitter. Il rejoint le département Radio-Television-Film de l’université du Texas en 1962 puis crée une boîte de production pour tourner des publicités et des documentaires pour la télévision, dont un consacré au groupe Peter, Paul and Mary. En 1963, ses activités professionnelles le placent à l’extérieur du commissariat de Dallas lorsque Jack Ruby abat Lee Harvey Oswald.
En 1964, il réalise le court-métrage The Heisters, à découvrir en intégralité ci-dessous. Une comédie qui possède l’énergie des burlesques du cinéma muet ou de certains cartoons avec un style potache et un esprit visuel gothique façon Hammer (les décors, la photo, les costumes…) dont Tobe Hooper était un grand amateur. Une conjugaison efficace d’influences pour ce micro bijou où se révèle déjà un grand soin accordé au cadre, au montage et au son, mais aussi un intérêt originel pour le cannibalisme et l’envie de montrer des os et des caves peu accueillantes. L’histoire peut sembler incohérente mais elle s’inscrit plutôt dans l’absurde du théâtre de Beckett ou de Pinter, accentuée par les interprétations stylisées et muettes de Tom Billups, Norris Domingue et Larry Ray. Découvrir cette première incursion dans la fiction a le mérite de souligner que l’humour présent dans certaines scènes de ses futurs films n’est pas le fruit du hasard mais s’inscrit dans un parcours.
Il tourne son premier long-métrage en 1968 en toute indépendance. Eggshells, déjà écrit avec Kim Henkel, est une œuvre expérimentale, maladroite dans son montage chaotique notamment et ses intentions auteurisantes qui ont mal vieilli mais relevée par ses quelques recherches formelles audacieuses et une envie de s’éloigner des carcans d’un cinéma conventionnel. L’anonymat de la sortie du film prive Hooper de la visibilité qu’il espérait trouver avec un éventuel succès, mais il se rattrapera avec le film suivant. L’approche documentaire du futur Massacre est déjà présente ici pour représenter cette communauté hippie, dans l’approche narrative et visuelle, ainsi que dans l’accumulation de dizaines d’heures de rushes montées parfois en dépit de toute logique. Des images en boucle autour d’un escalier marquent les esprits des spectateurs qui l’ont découvert à l’Étrange Festival en 2010. 42 ans après son tournage, il s’agissait d’une des premières projections d’un long-métrage longtemps considéré comme définitivement perdu et que l’on peut interpréter comme un brouillon du film suivant, le groupe de victimes de Leatherface aurait d’ailleurs pu faire partie de sa distribution.
Après le succès de Massacre, Tobe Hooper réalise donc enfin son rêve : se rendre à Los Angeles pour faire décoller sa carrière professionnelle. Il passe les années suivantes entre projets ambitieux et petites productions, toujours dans le genre horrifique avec Le Crocodile de la mort en 1977, avec Robert Englund (futur Freddy Krueger) à ses débuts et Carolyn Jones, l’ex-Morticia Adams ; Les Vampires de Salem en 1979, d’après le roman Salem’s Lot de Stephen King, tourné pour la télévision et sorti en salles en France dans une version remontée et Massacres dans le train fantôme, voir pour ce dernier le test bluray de Mickael Lanoye, dans lequel il évoque le contexte de la réalisation et le projet artistique du film, «un hommage aux grands mythes du cinéma d’horreur que Tobe Hooper pervertit largement en y allant de sa vision toute personnelle de la famille et de l’Amérique rurale» avec «une longue série de clins d’yeux aux grandes figures de l’horreur cinématographique (Frankenstein, Halloween, Psychose et bien-sûr Freaks), mais ces images de monstres du passé sont subverties rapidement par un récit plongé dans un réalisme rural cru et très malsain, en mettant par exemple régulièrement ses personnages dans une position de voyeurisme».
En 1982, il signe son deuxième grand film : Poltergeist, produit par Steven Spielberg, récit d’une maison hantée et vision très particulière de de la famille et de l’American Way of Life, porté par la prestation flippante de la petite Heather O’Rourke. L’influence de l’auteur de E.T. est telle que certains affirment qu’il en serait le véritable réalisateur, ce que Tobe Hooper a toujours nié. La réalité est certainement quelque part entre les deux, malgré les fantasmes, et plus proche d’un malentendu que d’une confiscation de la réalisation d’un film par son producteur. Steven Spielberg était, surtout à cette époque, un producteur pour le moins investi et s’est impliqué plus que d’autres sur le tournage et dans la post-production. Mais minimiser l’apport de Hooper reste une grande injustice qui l’a poursuivi le reste de sa carrière et l’a certainement plombée alors qu’il s’agit de son plus grand succès et de l’un de ses films les plus rigoureux.
Après une période près de trois ans sans tourner, il vit ce qu’il considère comme la période la plus heureuse de sa vie de réalisateur. Il enchaîne sans discontinuer trois films produits par la Cannon de Menahem Golan, à commencer par Lifeforce en 1985, avec Mathilde May très largement dévêtue en vampire de l’espace et Patrick Stewart avec des cheveux. Un film qui mélange les registres (envahisseur de l’espace, vampires, zombies…) avec plus moins de bonheur mais assez démentiel. Le plaisir à sa vision reste réel malgré une impression de navet. Suit L’Invasion vient de Mars en 1986, un beau remake des Envahisseurs de la planète rouge (titre original identique, Invaders from Mars) avec le jeune Hunter Carson, vu à l’écran dans Paris, Texas et fils de L.M. Kit Carson, scénariste du film suivant de Hooper, une suite très attendue, mais pas très sérieuse de Massacre à la tronçonneuse, avec un Dennis Hopper énorme, la scène de l’achat de l’arme de son choix étant un autre grand moment de sa filmographie.
À partir des années 90, son parcours est moins prestigieux. Il dirige Brad Dourif dans le sympathique Spontaneous Combustion mais ses réalisations suivantes sont confinées au petit écran ou aux étagères des vidéo-clubs. En 1993, il signe un sketch de Petits cauchemars avant la nuit (Body Bags), les deux autres étant réalisés par John Carpenter. Il retrouve Robert Englund avec La Nuit de la Terreur en 1993 et The Mangler en 1995, avec sa presseuse à vapeur possédée (!). Il le dirigera encore dans l’un des deux (médiocres) épisodes des Masters of horror. Dance of the Dead est affligeant, The Damned Thing ne l’est guère moins. Dans Robes de sang, Mädchen Amick (la serveuse de Twin Peaks) est confrontée à une robe Aztèque possédée, accompagnée de quelques seconds rôles bien campés (R. Lee Ermey, Dee Wallace ou Anthony Perkins dans l’un de ses derniers rôles). Suivent Crocodile en 2000 et The Toolbox Murders, avec Angela Bettis en 2004, sortis directement en vidéo. Mortuary en 2005, décevant et ennuyeux malgré un postulat intéressant et la prestation convaincante d’une excellente actrice du genre fantastique, Denise Crosby, est son premier film depuis Lifeforce à trouver le chemin des salles françaises. À cette occasion, il est invité à la Cinémathèque quelques jours avant sa sortie pour le présenter et évoquer quelques souvenirs. Son dernier, Djinn, tourné en 2013, n’est accessible qu’en DVD et bluray.
Pour la télévision encore, il dirige plusieurs épisodes de séries ou anthologies dont Les Contes de la crypte ; Equalizer ; Freddy, le cauchemar de vos nuits dont il signe le pilote, une préquelle du film de Wes Craven, Les Griffes de la nuit, qui revient alors sur les origines de Freddy Krueger et comment il est devenu ce croquemitaine des rêves et un épisode des Médiums. Son réel coup d’éclat pour le petit écran est le pilote de L’Homme de nulle part avec Bruce Greenwood, un univers paranoïaque voisin des X-Files, prenant malgré quelques incohérences. En 2002, il est l’un des réalisateurs de la mini-série Disparition (Taken) et est donc produit pour la première fois depuis Poltergeist par Steven Spielberg. On lui doit aussi le clip « Dancing with myself » pour Billy Idol. La photo était signée Daniel Pearl, le directeur de la photo de Massacre qui, étrangement, n’a que peu tourné pour le cinéma mais a signé les images de quelques clips marquants après cette inauguration dans le «genre» : Every Breath You Take de Police ; Pride (In the Name of Love) et With or Without You de U2, Dancing on the Ceiling de Lionel Richie ou November Rain des Guns N’ Roses.
Tobe Hooper sera l’un des protagonistes de We Blew It, documentaire de Jean-Baptiste Thoret sur la transition de l’Amérique de la contre-culture des années 70 à celle de Donald Trump, attendu en salles en novembre prochain.
Moins constant au niveau qualitatif que George Romero, John Carpenter ou Joe Dante, Tobe Hooper aura marqué durablement les fans du genre avec quelques titres rentrés dans l’histoire du cinéma fantastique. Malgré l’impression qu’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait, ce n’est pas rien…
Nos hommages à L.M. Kit Carson, coscénariste de Massacre à la tronçonneuse 2 et au producteur Menahem Golan. Et ici l’entretien qu’il nous avait accordé à l’occasion du FEFFS 2014 où il officia en tant que président du jury.