Have a Nice Day
Chine, 2017
Titre original : Hao ji le
Réalisateur : Liu Jian
Scénario : Liu Jian
Distribution : Rouge Distribution
Durée : 1h15
Genre : Animation
Date de sortie : 20 juin 2018
Note : 2,5/5
Depuis près d’un quart de siècle, l’influence de Quentin Tarantino plane de façon diffuse sur le cinéma mondial. Ses disciples se font un peu plus discrets ces dernières années, aussi parce que la mode cinématographique est passée depuis à autre chose que cette relecture jouissive du cinéma de genre, mais de temps en temps nous avons encore droit à une réplique du style du gourou des années ’90. Comme ce film d’animation chinois, qui confirme le goût pour l’ouverture et l’aventure de la part du comité de sélection du Festival de La Roche-sur-Yon, mais qui nous a laissés sur notre faim. Tandis que l’intrigue y emprunte lourdement à l’univers de Tarantino, avec ses nombreux personnages louches qui courent tous après le même butin sans forcément se croiser, le rythme de Have a Nice Day nous a paru boiteux de façon préjudiciable. Quelques morceaux de bravoure ont en effet tendance à se perdre dans la mise en scène bancale de Liu Jian, tiraillée entre la contemplation d’une Chine pauvre aux décors délabrés et une violence plus ou moins gratuite, quoique guère explicite, qui ne fait au mieux que rajouter une couche de références pas complètement maîtrisées.
Synopsis : Le chauffeur Xiao Zhang vole un sac contenant un million de yuans à son patron, le caïd Oncle Liu. Ce dernier, déjà pris par la punition sévère d’un peintre ami d’enfance, n’a pas le temps de s’en occuper et envoie son tueur à gages habituel Skinny pour retrouver le voleur. La tâche, facile en apparence, se complique cependant, lorsque Xiao Zhang est enlevé par un couple de commerçants. Pendant que Skinny attend son retour dans une chambre d’hôtel sordide, d’autres personnages cupides se mettent à la recherche de la somme d’argent importante.
La liberté du marché
Vu d’un mauvais œil par les autorités chinoises et néanmoins présenté en compétition au dernier Festival de Berlin, Have a Nice Day peint effectivement un portrait peu valorisant de la Chine d’aujourd’hui. Au delà de l’aspect uniforme des décors urbains, sans exception sales et déserts, c’est surtout le comportement des personnages qui dispose d’un nombre limité d’arguments pour nous séduire, à cause de leur avarice et d’une maladresse molle qui finit par faire échouer tous leurs projets. La séquence la plus significative dans ce contexte est celle où deux hommes discutent de la recette exacte du bonheur : l’hypothèse de l’un, qu’il relève de la possibilité de faire ce que l’on veut, quand on le veut, est vite balayée par une démonstration en trois points de l’autre, établissant une hiérarchie sans faille du degré de satisfaction des envies de consommation du conjoint. Il existe d’autres circonstances dans lesquelles la pourriture morale et sociale des personnages se fait jour sans fioriture, par exemple lors de divers échanges sur l’idée illusoire de créer une start-up et même dans la vocation la plus altruiste de l’argent volé, destiné à rattraper les ravages d’une première opération de chirurgie esthétique de la fiancée de Xiao Zhang à travers une deuxième en Corée du Sud. Le ton sombre qui se dégage de cette quête d’une richesse exclusivement matérielle situerait presque le récit du côté de l’univers déjà emprunté au film noir des Sin City de Robert Rodriguez, lui aussi bénéficiaire d’un coup de pouce partiellement formel de l’idole Quentin.
La capacité de marcher
Le souci, c’est que le simulacre doit remplir un certain nombre de prérequis pour pouvoir prétendre à fonctionner au même niveau d’exubérance filmique que les œuvres les plus réussies de Tarantino. La base primordiale de la recette si souvent imitée est la vitesse fiévreuse de l’exécution et de l’enchaînement des coups d’éclat, un domaine auquel Liu Jian ne paraît pas s’intéresser outre mesure. Le découpage en chapitres du récit n’y change pas plus que quelques écarts joliment abstraits, comme ce long plan méditatif sur une surface d’eau calmement ondulée, qui joue presque le rôle d’un leurre puisque la suite de l’intrigue retourne à sa structure fâcheusement inégale. Notre plainte récurrente quant à la narration décousue de certains films prend ainsi tout son sens dans le cas de celui-ci, dont les parties disparates et étrangement pesantes ne réussissent jamais à s’intégrer dans un flux vaguement homogène. Quel rapport y a-t-il en effet – d’un point de vue à la fois narratif et formel – entre la parenthèse quasiment psychédélique de la compétition de chansons, qui s’inspire pas sans malice du vocabulaire de la propagande communiste à l’ancienne le temps de monter quelques étages en ascenseur, l’humour dérisoire qui entoure les gadgets improbables inventé par l’un des personnages et la convergence fort approximative qui verra certains protagonistes se déchiqueter sur un carrefour lugubre sous des trombes d’eau ? Même sur la durée raisonnable du film, la mise en scène ne réussit ainsi pas à nous convaincre par son patchwork pris dans l’étau peu confortable entre la référence à Tarantino et de rares pistes plus authentiquement originales et attachées à la mentalité chinoise.
Conclusion
Have a Nice Day relève plus de l’expérience qui avance à tâtons, peut-être un peu trop intimidée par Pulp Fiction et d’autres monuments cinématographiques semblables, que d’une œuvre assez courageuse pour se frayer son propre chemin. Pas déplaisante d’un point de vue esthétique, l’animation s’y met par contre principalement au service d’une histoire qui accumule les références, sans y trouver son propre compte.