Glory
Bulgarie, 2016
Titre original : Slava
Réalisateurs : Petar Valchanov et Kristina Grozeva
Scénario : Petar Valchanov, Kristina Grozeva et Decho Taralezhkov
Acteurs : Margita Gosheva, Stefan Denolyubov, Kitodar Todorov
Distribution : Urban Distribution
Durée : 1h42
Genre : Drame
Date de sortie : 19 avril 2017
Note : 3/5
Vue depuis la France, la Bulgarie est un pays loin des préoccupations collectives, à moins de la désigner avec une fâcheuse régularité comme le parent pauvre de l’Europe et donc l’exemple à ne surtout pas suivre. Or, la population bulgare mène une existence semblable au quotidien de ses voisins, dont les représentations filmiques trouvent sensiblement plus souvent le chemin jusque sur les écrans français, à l’image du renouveau artistique récent de la cinématographie roumaine. Une fois qu’on en enlève les quelques éléments de coloris régional, il ne reste que des histoires à l’envergure universelle et par conséquent accessibles à tout membre du public d’où qu’il vienne, à condition qu’il soit en quête d’un peu de sagesse humaine. Glory relève en effet de ces paraboles au ton subtilement machiavélique, qui s’intéressent avant tout au sort d’individus malmenés par un système inhumain, sans négliger pour autant la capacité de corruption morale et matérielle qui rend certaines institutions si séduisantes. Les réalisateurs Petar Valchanov et Kristina Grozeva y dressent certes le portrait à l’humour noir d’une société en voie de perdition. Mais ils y parviennent assez astucieusement, grâce à l’accent mis sur les deux personnages principaux, successivement profiteurs et victimes d’un fait divers.
Synopsis : Un jour d’été à la chaleur étouffante, le cantonnier Tzanko Petrov fait tranquillement sa tournée d’inspection des voies ferrées dans la province bulgare, quand il tombe sur un sac avec de nombreux billets d’argent. Consciencieux et honnête, il signale sans tarder sa découverte à la police, qui prévient à son tour le ministère des transports, avide d’un peu de bonne publicité à la suite d’un scandale de corruption largement relayé par les médias. Julia Staykova, l’ambitieuse responsable des relations publiques du ministère, planifie alors une petite cérémonie en l’honneur de Tzanko, au cours de laquelle il reçoit une nouvelle montre en guise de récompense. L’ouvrier se prête avec réticence au cirque médiatique, puisqu’il est profondément déçu de ne pas pouvoir récupérer sa vieille montre, égarée pendant la remise, qui avait pour lui une grande valeur sentimentale.
Un héros sans froc, ni montre
Difficile de trouver un point d’identification entièrement positif dans le contexte d’un film, qui excelle précisément dans la description nuancée de ses personnages ! Le candidat tout désigné, Tzanko un homme solitaire à l’apparence négligée, pèche par sa grande passivité. Celle-ci devrait lui valoir sans conteste le rôle de la victime suprême, sans cesse désabusée par un employeur cruellement opportuniste, si ce n’était pour ses rares sursauts d’indignation, qui se soldent sans exception par des actions terriblement maladroites. Le scénario s’emploie à rendre encore plus complexe ce personnage, en le privant partiellement de la parole, par le biais d’un bégaiement mis en avant à moult reprises, Tzanko étant manifestement incapable de se servir de façon efficace d’un moyen de communication aussi élémentaire que le téléphone. De même, son entêtement à récupérer coûte que coûte sa vieille montre, doublée d’un attachement presque maladif à la ponctualité, souligne admirablement à quel point il a du mal à cerner réellement les enjeux d’une affaire qui le dépasse. Grâce à l’interprétation de Stefan Denolyubov, ce personnage préserve ainsi une formidable ambiguïté, quelque part entre le paria méprisé pareillement par ses collègues et ses supérieurs d’un côté, et le grain de sable qui finit par détraquer une machine publique déjà mal en point de l’autre.
Au prochain top, il sera minuit moins cinq
Celle qu’on hésite fortement à désigner comme son adversaire est en fin de compte logée à la même enseigne de carburant docile à l’engin de l’État. Julia pense tirer toutes les ficelles d’une occasion inespérée pour redorer le blason de son ministère, soit, mais au final, elle devra payer le prix fort afin d’occuper la place cruciale de chef d’orchestre de pacotille. Ce retour de bâton s’opère de deux façons bien distinctes, dont la première nous semble plus percutante que la deuxième, sous forme de conclusion morbide à peu près ouverte. En effet, cette femme de carrière s’est découverte sur le tard l’instinct maternel. Cela se traduit par plusieurs rendez-vous chez le médecin pour préparer une insémination artificielle, à prévoir pour une grossesse ultérieure, le jour hypothétique quand elle ne répondra plus à la moindre sollicitation sur son téléphone portable. L’affaire du sac de billets sert simplement de point de départ à la folie absurde s’emparant de personnages qui ne se seraient sinon sans doute jamais côtoyés. Elle aura des conséquences graves sur l’existence de Julia, selon la logique narrative joliment malicieuse d’un récit, qui penche néanmoins vers un pessimisme assez lugubre. Car aussi souverainement Margita Gosheva interprète-t-elle cette femme prétendument moderne, elle n’est guère plus en charge de la situation – ni de sa vie privée d’ailleurs – que son pendant masculin, plus archaïque dans sa volonté de se faire tant soit peu respecter.
Conclusion
Les meilleurs films proviennent parfois des endroits les plus improbables. Même si le cinéma de l’Europe de l’Est a su nous surprendre agréablement ces derniers temps, la Bulgarie ne comptait jusqu’à présent pas parmi nos destinations d’évasion cinématographique privilégiées. Glory ne change certes pas la donne de fond en comble. Il s’agit cependant d’un film intelligent et fascinant, qui préfère observer ses personnages se prendre au piège de leurs propres contradictions, plutôt que d’accuser platement la classe dirigeante et l’application du statu quo cynique mis en place par elle de tous les maux d’un pays hélas trop peu considéré en France.