Arras 2018 : Funan

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Funan

France, Luxembourg, Belgique, Cambodge, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Denis Do
Scénario : Denis Do, Magali Pouzol & Elise Trinh
Voix : Bérénice Bejo et Louis Garrel
Distribution : Bac Films
Durée : 1h26
Genre : Animation
Date de sortie : 6 mars 2019

Note : 3/5

Le réalisateur cambodgien Rithy Panh est un chroniqueur hors pair de l’Histoire de son pays. Il ne se lasse pas de revenir sous forme de fiction, de documentaire, voire de documentaire animé, sur cette parenthèse hautement violente qu’ont été les quatre années du régime Khmère rouge. Denis Do, le réalisateur de Funan, appartient à une génération ultérieure, bercée par les histoires sur le génocide et la fuite ou au contraire, peut-être, par un silence de plomb à ce sujet, puisqu’il est né en France dix ans après le début des hostilités du côté de Phnom Penh. Présenté dans le cadre des Découvertes européennes à l’Arras Film Festival, son premier film porte néanmoins un regard pas moins saisissant que celui de Panh sur la tragédie à échelle individuelle que représentaient l’endoctrinement au forceps, puis les travaux forcés à répétition pour une population prise au dépourvu par tant de haine extrémiste. On pourrait certes reprocher à l’intrigue de lorgner sporadiquement du côté de la facilité mélodramatique – mais après tout, n’est-ce pas l’époque sanglante dépeinte ici qui veut cela ? –, ainsi qu’un souffle à vocation épique, qui donne davantage l’impression d’un patchwork historique. Mais dans l’ensemble, il s’agit d’une histoire familiale d’une dureté désarmante, contée sans trop de complaisance et par conséquent à réserver à un public pré-adolescent au plus tôt.

Synopsis : En avril 1975, Chou et son mari Khuon sont expulsés avec leur famille de leur domicile à la capitale cambodgienne et jetés comme des milliers d’autres sur les routes, selon le nouveau régime pour se mettre à l’abri d’éventuels bombardements. Au cours du périple, ils perdent leur fils Sovanh dans la foule. Inconsolable, sa mère ne perdra pas l’espoir de le retrouver, alors que tout l’appareil de répression des Khmères rouges s’abat sur elle et les siens.

La Machine de mort Khmère rouge

Même si la perception de ce genre à part entière a considérablement évolué ces derniers temps, qui dit animation, dit le plus souvent films destinés à un jeune public. Nous ne souhaitons nullement mettre en question la valeur indéniablement instructive et éducative de Funan. Toujours est-il que son propos est tellement dur qu’il risque de sérieusement traumatiser les plus jeunes spectateurs ! Que la beauté esthétique de l’animation ne vous trompe donc pas, dans ces paysages si joliment exotiques se passent des choses atroces. De ce décalage flagrant, la narration puise par ailleurs une partie de sa force, jouant à la fois sur l’inertie de la nature et sur l’agitation barbare que les hommes y implantent. Le choc fort brutal entre la quiétude dans le cadre familial de la toute première séquence et du cauchemar d’une lutte acharnée pour la survie, qui la suit presque sans transition, n’y est heureusement guère atténué par quelque échappatoire que ce soit. Aucun moment de répit, aucun sursaut de joie ne vient en effet interrompre ce qui ressemble de près à l’enfer sur terre. La mort y frappe sans prévenir et le seul repère vaguement rassurant, la solidarité familiale, se décompose au fur et à mesure des disparitions plus ou moins inquiétantes. Même dans le cadre d’un film d’animation, le réalisateur a eu raison de ne pas recourir à la sublimation poétique, de ne pas chercher à rendre supportable un quotidien extrêmement impitoyable par des poches de résistance humaniste. Il en existe, certes, de façon accessoire, comme la surveillante au comportement ambigu, mais principalement en tant qu’indicateur de la perte sans équivoque d’altruisme.

L’image manquante

La mort rode donc en permanence dans les rizières, où une génération sacrifiée sur l’autel d’un communisme totalitaire œuvre sans relâche. Et pourtant, à l’image, elle est plus souvent suggérée qu’ouvertement montrée. Ce qui participe à la facture pas tout à fait concluante de Funan, qui prétend au réalisme dans la description du carnage et de l’atmosphère de terreur omniprésente, tout en détournant le trait de l’animation précisément quand l’heure de la cruauté arbitraire a sonné. Est-ce le signe d’une sensibilité civilisée qui n’éprouve plus le besoin de plonger dans la gueule béante de la mort, alors qu’on sait pertinemment que toute notion de fin heureuse est absente du vocabulaire du film ? Ou bien, cette frilosité perçue vise-t-elle à rendre le film accessible à un plus large public, bien que le ton sombre risque d’impressionner déjà suffisamment les enfants pour le déconseiller jusqu’à un certain âge ? Ces ellipses narratives, encore plus amples lorsqu’il s’agit de suivre en une heure et demie quatre années rythmées par des privations et de la maltraitance insoutenables, contribuent en tout cas à diluer tant soit peu le propos sinon plutôt sans complaisance du film. Car même l’attention portée de façon appréciable au motif des yeux grands ouverts, de la part de personnages de plus en plus à la dérive qui ne comprennent plus ce qui leur arrive, ne nous fait pas complètement oublier la structure assez mélodramatique de l’intrigue, au moins conçue sans trop d’excès.

Conclusion

Le règne des Khmères rouges au Cambodge était aussi bref que violent. Funan nous le fait vivre de l’intérieur, depuis le point de vue de ces millions de victimes d’un régime aveugle, à qui il ne restait finalement pas d’autre choix que de se battre pour survivre, un jour à la fois. Face à l’intransigeance en termes de reconstitution d’une époque heureusement révolue, nous sommes restés un peu plus circonspects par rapport à ce que l’on qualifierait de facilités de narration, à savoir un recours un peu trop régulier aux états d’âme forcément malmenés sous un régime si cruel, ainsi qu’un traitement de la mort après tout pas si frontal qu’on aurait pu le redouter.

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