Prédire quand, comment et surtout pourquoi une légende vivante du cinéma va un jour recevoir tel ou tel prix honorifique relève de l’impossible. Depuis longtemps, nous avons abandonné toute velléité à ce sujet, suite à d’innombrables déceptions et surprises venues de la part des Académies des différents pays disposant d’une cinématographie nationale digne de ce nom. Jusqu’à présent, les lauréats de l’American Film Institute étaient plutôt mémorables, même si l’on peut regretter un certain penchant pour les acteurs tout juste arrivés au milieu de leur carrière, entamé en 2002 avec Tom Hanks. Et loin de nous l’idée de mettre en question leur dernier choix, annoncé cette semaine, le mardi 29 octobre. Néanmoins, le timing de cet honneur qui sera remis au réalisateur, scénariste et producteur américain Francis Ford Coppola le samedi 26 avril 2025 a de quoi étonner …
Tout d’abord, parce que l’immense majorité des cinéastes d’envergure issus de la même génération que Francis Ford Coppola ont leur étoile de l’AFI Life Achievement Award chez eux depuis belle lurette. Ainsi, Steven Spielberg l’a eu en 1995, Martin Scorsese deux ans plus tard et George Lucas en 2005. Et puis, surtout, le retour récent à la mise en scène de la part de Coppola, père, avec Mégalopolis, très fraîchement accueilli au dernier Festival de Cannes et passé à peu près inaperçu sur les écrans de cinéma français lors de sa sortie fin septembre, fait plutôt office dans ce contexte de rappel que le réalisateur de la trilogie du Parrain existe encore, que d’un éventuel retour à sa maestria filmique à aucune autre pareille dans les années 1970.
Donc, oui, on est soulagé de voir que l’un des plus grands réalisateurs du cinéma hollywoodien reçoit enfin l’un de ses prix les plus prestigieux. Cependant, le choix de l’année pour pareil sacre nous paraît pour le moins douteux.
La longue et illustre, pour ne pas dire accidentée carrière de Francis Ford Coppola (* 1939) peut être contée en quatre ou cinq chapitres biens distincts.
Il y a eu d’abord ses débuts auprès du producteur de films à (très) petit budget Roger Corman avec le film d’horreur Dementia 13 en 1963, suivi de deux films plus commerciaux, quoique nullement plus personnels : la comédie de mœurs Big Boy avec Gerladine Page et la comédie musicale La Vallée du bonheur avec Fred Astaire. Ces débuts guère prometteurs étaient suivis d’une première œuvre plus singulière, Les Gens de la pluie avec deux acteurs qui allaient rester fidèles à Coppola pendant les années à venir, James Caan et Robert Duvall. Sans oublier en parallèle une activité de scénariste des plus solides auprès de réalisateurs tels que Sydney Pollack (Propriété interdite), René Clément (Paris brûle-t-il ?) et Franklin J. Schaffner (Patton – Oscar du Meilleur Film en 1971).
Les aléas rocambolesques de la production de l’adaptation du best-seller de Mario Puzo Le Parrain – Oscar du Meilleur Film en 1973 – allaient donner des ailes insoupçonnées au parcours de Francis Ford Coppola. En effet, tout au long des années ’70, un chef-d’œuvre allait en chasser l’autre, grâce à la succession hors pair de Conversation secrète – Palme d’or au Festival de Cannes en 1974 –, Le Parrain 2ème partie – Oscar du Meilleur Film en 1975 – et Apocalypse Now – Palme d’or au Festival de Cannes en 1979 !
Après une telle série de succès commerciaux et critiques, il était difficile de ne pas tomber dans le piège de la surenchère ambitieuse. Ce que Coppola fit sans tarder à travers son propre studio American Zoetrope et, cette fois, une série d’échecs coûteux comme Coup de cœur et Cotton Club, entrecoupés de potentiels films cultes comme Outsiders et Rusty James, ainsi que des productions commerciales Peggy Sue s’est mariée, Le Parrain 3ème partie, Dracula, Jack et L’Idéaliste. Bref, ces dix, quinze ans en dents de scie dont seuls Jardins de pierre et Tucker L’Homme et son rêve relèvent du projet personnel à peu près abouti avaient conduit le maître d’antan à abandonner pour une période considérable le fauteuil de réalisateur.
Cependant, cette absence auto-imposée ne l’avait pas empêché de produire les premiers films de sa fille Sofia Coppola (Virgin Suicides, Lost in Translation, Marie-Antoinette, Somewhere – Lion d’or au Festival de Venise en 2010 – et The Bling Ring), ainsi que ceux de Carroll Ballard (Wind), Agnieszka Holland (Le Jardin secret et Au cœur du miracle), Jeremy Leven (Don Juan DeMarco), Kenneth Branagh (Frankenstein), Gregory Nava (Ma famille), Tim Burton (Sleepy Hollow La Légende du cavalier sans tête), Victor Salva (Jeepers Creepers Le Chant du diable), Robert Duvall (Assassination Tango), Bill Condon (Dr. Kinsey) et Robert De Niro (Raisons d’état). Avant de revenir entre 2007 et donc 2024 avec quatre films là encore difficiles à classer : L’Homme sans âge avec Tim Roth, Tetro avec Vincent Gallo, Twixt avec Val Kilmer et Mégalopolis avec Adam Driver.
Quatorze fois nommé à l’Oscar, Francis Ford Coppola s’y est montré victorieux à cinq reprises : Meilleur scénario original pour Patton, Meilleur scénario adapté pour Le Parrain et Le Parrain 2ème partie, ainsi que Meilleur réalisateur et producteur du Meilleur Film pour ce dernier. L’Académie du cinéma américain lui avait de même attribué le prix honorifique Irving G. Thalberg en 2011. Doublement palmé au Festival de Cannes, pour Conversation secrète et Apocalypse Now, il avait reçu à celui de Venise un Lion d’or d’honneur en 1992.
Avec cinq Oscars à son actif, on aurait pu croire que Francis Ford Coppola serait le lauréat de l’AFI Life Achievement Award le plus récompensé auparavant, à égalité avec le compositeur John Williams qui l’avait eu en 2016. Ce serait sans compter avec le scénariste et réalisateur Billy Wilder (La Garçonnière), déjà en possession de six Oscars avant d’être honoré en 1986. De même, en termes d’âge, si à 86 ans au moment de la 50ème cérémonie de l’American Film Institute, Francis Ford Coppola comptera parmi les plus vieux, il sera toujours dépassé par l’actrice Lillian Gish (Intolérance) qui avait eu 90 ans quand elle a été honorée en mars 1984. Enfin, Coppola ne sera que le quatrième lauréat ce siècle principalement connu pour son activité de réalisateur, après George Lucas, Mike Nichols et Mel Brooks.