Notre dernier jour à Brive s’est terminé sur une discussion entre Katell Quillévéré et Jacques Audiard. Décrit par les organisateurs comme le cœur du festival, ce dispositif est présent depuis les premières éditions. Un réalisateur choisit un autre réalisateur avec qui il aimerait discuter, les deux viennent et débâtent sur scène sans modérateur. Dès les premières mots prononcés on a senti pourquoi la réalisatrice de Suzanne, cofondatrice du festival, aimait la région, elle qui est « nourrie par la dramatisation » et qui « digère le récit de manière intuitive » ! A-t-on précisé qu’on mangeait très bien à Brive ?
C’est elle qui a demandé à Audiard, qu’elle n’avait jamais rencontrée auparavant, de l’accompagner sur la scène du Rex. Et sa gourmandise a bien failli avoir raison d’elle au début, la gouaille du réalisateur d’Un prophète la poussant dans ses retranchements. Car oui, Audiard est bavard, parle fort, il coupe la parole, pose mille questions, les repose sans arrêt et il demande toujours plus. Le tout sans être jamais déstabilisé. Et l’intuitive Quillévéré qui n’a pas l’habitude, semble-t-il, de mettre des mots sur son travail à ce point a pu être troublé par la facilité de son compagnon de fortune à le faire. Un des grands moments fût l’insistance d’Audiard à savoir comment elle adaptait un ouvrage au-delà des « sentiments » qu’elle ressent à la lecture. Penser en images, penser en formes. A force de chercher, elle a fini par parler et hausser le débat !
Leur conception du cinéma, car c’est bien de cela dont il s’agissait – du rapport entre art et industrie, de la technique, du tournage, de la préparation des films, voire de la réception critique de leurs films – a réellement été au cœur des échanges. D’autant plus qu’elles sont quasiment opposées chez l’un comme chez l’autre. On sent également la jeunesse de la première face au grand âge du second qui a une conscience bien plus aigüe de son parcours, des limites qu’il a abattues, de ce qu’il vise. Leur grand point de divergence : la manière dont ils délèguent les tâches avant, pendant, après le tournage entre un Audiard très libre qui prend toutes les suggestions qu’on lui offre, et une Quillévéré très protectrice, qui a peur que son œuvre lui échappe en la confiant trop à autrui.
Qu’on aime ou pas leurs films, et malgré certains propos discutables, un peu gentils et des lapsus amusants (« la nouvelle qualité française », joli mixture d’Audiard entre la nouvelle vague et ce qui l’a précédée), la rencontre fût belle. On saura maintenant qu’inviter l’auteur de Dheepan dans un débat est risqué mais qu’il est doué pour torturer et faire sortir le meilleur de son interlocuteur – c’est-à-dire aller au-delà des banalités abstraites et générales que cet interlocuteur doit avoir l’habitude de sortir à longueur de temps. A condition de ne pas se replier sur soi !
Avant cela, quatre films encore en compétition. Il ne nous aura manqué finalement que 3 visages de Christophe Loizillon. On ne dira que quelques mots de Rien sauf l’été du Belge Claude Schmitz. Il fût une agréable surprise l’année passée en venant présenter Le Mali (en Afrique) : une comédie noire, huis-clos dans une grande bâtisse. Il a repris certains acteurs, un lieu similaire mais qu’on ne distingue pas assez pour savoir si c’est le même, et il a fait… un film sur rien, qui n’ose rien, avec des personnages vides, un humour à néant et une tonalité absurde proche du zéro. On passe.
Avec The Demon, the flow and me, Rocco Di Mento filme un SDF excentrique dans les rues d’une grande ville allemande. C’est gentil… Et le protagoniste joue de l’orgue aussi bien que les Shaggs chantaient. Zappa aurait pu être fan ! Le réalisateur est, quant-à-lui, quelque part entre Valentina et Madame Saïdi dans la forme comme dans le propos. Dans la qualité aussi. Une question qu’on se pose : les documentaristes savent-ils encore faire autre chose que des portraits de pauvres, d’excentriques et de pauvres excentriques ? (Attention, celui qui répond : « des portraits d’excentriques pauvres » sera enfermé dans un placard avec BFMTV à fond pendant trois mois 24h/24).
Blind sex de Sarah Santamaria Mertens était déjà plus intéressant. Remarqué à Clermont-Ferrand, son moyen-métrage met en scène les premiers émois d’une jeune aveugle qui atterrit par erreur, pendant les vacances, dans un camping naturiste. Cela aurait pu être vulgaire, grossier, déjà-vu ou une comédie bas de gamme. Rien de cela. La réalisatrice filme les corps avec un grand naturel, à la bonne distance : aucun artifice ni gêne. Et elle nous projette dans l’esprit frustré et perdu de sa protagoniste qui se rassérène scène après scène, et nous avec. On a parfois l’impression de vivre les sentiments qui l’habitent. La pudeur s’envole vite. Le faux trio amoureux, la mélancolie amusée, l’audace aventureuse, les dialogues minimaux, le ton libre et la mise en scène intelligente jusqu’à la fin terminent de nous faire aimer le film !
Et on garde le meilleur pour la fin. Dernier film présenté pensant le festival et notre préféré avec Alléluia, Minute bodies : The Intimate world of F. Percy Smith de Stuart A. Staples, un film expérimental britannique. Le réalisateur – quoique ce terme reste à relativiser – est un musicien déjà habitué à créer des musiques pour le cinéma puisqu’il a longtemps travaillé avec Claire Denis. Voilà quelques années, il est tombé sur un court-métrage de F. Percy Smith, créateur injustement oublié de films pédagogiques de nature scientifique en Angleterre des années 1910 aux années 1930. Après quelques recherches, il en a trouvé d’autres, notamment grâce au BFI. S’intéressant d’abord au mouvement, aux figures, aux combinaisons, aux rapprochements qu’il pouvait faire de ces films, il en a ôté le contenu didactique (cartons, sons, voix…) et il a monté les images pour proposer une œuvre à la limite des expériences du found footage contemporain.
Percy Smith est avec des scientifiques comme Lucien Bull, Jean Comandon et un peu plus tard, Jean Painlevé, un des grands utilisateurs du microcinéma, des premiers essais de ralenti ou d’accéléré et l’un de ceux qui a le plus finement observé les comportements de la nature afin de les transcrire sur pellicule. Et comme ces derniers, c’est aussi l’un des plus grands découvreurs de formes cinématographiques des premiers temps du cinéma. Staples a donc créé une partition électronique, tantôt aux accents jazzy, tantôt plus calme, afin de créer une narration abstraite qui suit les scintillements, flux, réverbérations, explosions, éclosions, et formes linéaires, arrondies ou circulaires des végétaux ou insectes qu’il a choisi dans les courts-métrages. Il modifie le regard et fait de la science une expérience artistique en recréant son propre mélange parmi des éléments complètement disparates et qui n’ont de sens que pour lui et le spectateur qui les reçoit. Impossible de savoir de quoi il en retourne ni ce que l’on voit la plupart du temps mais ce n’est pas grave : le but n’est pas de comprendre mais de pénétrer une manière microscopique, incompréhensible, de se laisser prendre afin de découvrir un univers aussi étrange que naturel, surréaliste que réaliste. Et finalement, aux confins de l’imperceptible, là où tout ce que notre regard nous offre directement, même les quelques moments animés (une abeille notamment, qui n’est pas sans rappeler quelque poupée de Starévitch) paraissent naturels, comme si tout pouvait arriver, omme s’il était impossible de savoir ce qui allait arriver ensuite.
Et oui, voilà la fin. Brive se termine. Ces petits papiers gentils et mignons aussi. On essayera de revenir l’année prochaine si on ne se prend pas des claques de la part de la part de ceux qui nous ont profondément ennuyés ici. Mais dans l’ensemble le festival fût une réussite : 7 films sur 22 vus qu’on aime beaucoup, c’est pas si mal !
Avant de se quitter, voici le palmarès donc on ne dira presque rien. En effet, inutile d’être d’accord ou pas d’accord, d’approuver ou d’être révolté puisqu’il ne représente que quelques individus et qu’en changeant un ou deux membres les résultats pourraient être bien différents. On s’étonnera juste qu’avec un Grand Prix Europe et un Grand Prix France, trouver Le film de l’été, film français, en mention pour le Grand Prix Europe est assez étrange… Mais bon.
On est juste content du prix du scénario pour Leslie Lagier, dont on avait beaucoup aimé Nous sommes revenus dans l’allée des marronniers voilà quelques années. En espérant que ce prix lui permette de réaliser North maintenant !
GRAND PRIX EUROPE
Rien sauf l’été de Claude Schmitz
MENTION
Le Film de l’été d’Emmanuel Marre
GRAND PRIX FRANCE Ex-æquo
Madame Saïdi de Bijan Anquetil et Paul Costes
A Discrétion de Cédric Venail
MENTION
Pas comme des loups de Vincent Pouplard
PRIX DU JURY JEUNES DE LA CORREZE
Blind Sex de Sarah Santamaria-Mertens
MENTION
Pas comme des loups de Vincent Pouplard
PRIX DU PUBLIC
Valentina de Maximilian Feldmann
PRIX CINE+ Ex-æquo
Après de Wissam Charaf
Le Film de l’été d’Emmanuel Marre
PRIX DES DISTRIBUTEURS
The Hunchback de Gabriel Abrantes et Ben Rivers
MENTION
Rien sauf l’été de Claude Schmitz
PRIX DU SCENARIO
Leslie Lagier pour North