Cannes 2018 : Everybody Knows

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Everybody Knows

Espagne, France, Italie, 2018
Titre original : Todos lo saben
Réalisateur : Asghar Farhadi
Scénario : Asghar Farhadi
Acteurs : Penelope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin, Eduard Fernandez
Distribution : Memento Films
Durée : 2h13
Genre : Drame
Date de sortie : 9 mai 2018

Note : 2,5/5

Ça y est, la 71ème édition du Festival de Cannes a commencé pour de vrai, avec un film d’ouverture qui remplit à peu près toutes les cases nécessaires pour pouvoir prétendre à ce rôle de produit d’appel. Un fournisseur d’acteurs célèbres qui garantissent une montée des marches séduisante et une œuvre dont le prestige artistique est en théorie à la hauteur des ambitions inscrites dans les gènes du festival : Everybody Knows répond sans aucun doute à ces deux exigences primordiales. C’est du côté de la troisième caractéristique que le bât blesse par contre comme souvent, à savoir la malédiction des films d’ouverture. La véritable vocation de ces derniers est en fait de ne surtout pas dilapider d’emblée toutes les richesses cinématographiques, mais de susciter l’espoir de voir des chefs-d’œuvre indiscutables les jours suivants, si possible en mode crescendo jusqu’à la remise de la Palme d’or toujours aussi convoitée. Ainsi, le premier film de Asghar Farhadi à n’avoir pratiquement aucun lien avec la culture et la vie sociale iraniennes ne dépasse jamais le cadre du mélodrame solide, mais un peu mou, passablement intense, quoique embourbé dans ses aspects prévisibles. Il porte certes en lui les germes d’un règlement de comptes, en mesure d’asséner ses coups sans ménagement. Mais ce potentiel d’un nihilisme que l’on a davantage l’habitude de rencontrer chez un autre habitué de la Croisette, Michael Haneke, s’évapore bien trop vite pour laisser quelque impact émotionnel – et encore moins existentiel – que ce soit.

Synopsis : Après une longue absence, Laura revient dans son village natal en Espagne, afin d’y célébrer le mariage de sa sœur cadette. Elle a fait le voyage depuis l’Argentine en compagnie de sa fille Irene et de son fils, alors que son mari Alejandro a dû rester sur place pour raison professionnelle. Les festivités se déroulent dans la joie et la bonne humeur, jusqu’à ce qu’Irene disparaît mystérieusement au milieu de la nuit de noces. D’abord seulement inquiète, Laura est carrément terrorisée lorsque elle reçoit un message des ravisseurs présumés de sa fille, qui lui interdisent de contacter la police. Face à l’inertie des membres de sa famille et en l’absence de son mari, la mère en détresse ne pourra compter que sur Paco, l’amant de ses années de jeunesse qui est entre-temps devenu un viticulteur avisé, grâce aux terres qu’elle lui avait vendues avant de s’exiler.

Mensonge sur mensonge

La réussite nullement acquise du départ vers de nouvelles rives échappe plutôt de justesse à l’un des cinéastes majeurs du cinéma iranien récent avec son premier film majoritairement espagnol. Quand l’exil artistique n’est pas causé par des circonstances extérieures, comme par exemple dans le cas de feu Milos Forman, il y a toujours quelque chose d’arbitraire dans le choix de chercher l’inspiration dans un pays étranger avec lequel on n’entretient aucun lien préétabli. L’élément le plus autochtone dans Everybody Knows, ce sont par conséquent ses vedettes Penelope Cruz et Javier Bardem, le couple glamour par excellence de la péninsule ibérique, qui a sans surprise illuminé le tapis rouge de la cérémonie d’ouverture hier soir, mais dont les ébats à l’écran se démarquent autant par leur pudeur que par leur ton tortueux. Au moins, un minimum de l’insouciance festive propre aux peuples méditerranéens transparaît pendant les premiers moments encore joyeux de la célébration du mariage, à moins que, là aussi, on n’ait droit qu’aux clichés folkloriques à l’état pur. De toute évidence, les prétextes s’enchaînent au fil d’un récit pas toujours conté avec adresse. Entre la thématique du retour au bercail, le motif presque furtif des convives endimanchés et le suspense assez bancal créé autour de l’enlèvement de la fille chérie, ce serait par défaut sur la relation pas très nette entre les deux personnages principaux que se focaliserait la narration.

Dieu et l’argent

Sauf que cet aspect-là de l’intrigue, Asghar Farhadi l’amène avec une certaine pesanteur, contre laquelle seule la photographie radieuse de José Luis Alcaine fait figure de contre-poids. Ce qui ne signifie guère que le huitième long-métrage du réalisateur soit sous l’emprise d’une noirceur sans espoir de rédemption. Celle-ci s’y obtient avec une fluidité un peu trop contrôlée, soit, mais au prix de nombreux secrets caricaturaux, déterrés avec un goût prononcé pour le coup de théâtre répétitif. Longtemps avant que le spectateur ne prenne connaissance de l’identité des malfaiteurs, ainsi que du lot d’implications que cette révélation anémique entraîne malgré tout, il aura donc couru le risque sérieux de décrocher de cette histoire à peu de choses près équitablement fournie en confrontations intenses côté positif et en maladresses dramatiques parmi les points à améliorer hypothétiquement. Curieusement, ce sont alors de rares coups d’éclat de la part des personnages secondaires qui sauvent tant soit peu la mise, notamment Bárbara Lennie en mauvaise conscience d’un plan si bien huilé qu’il aurait provoqué chez nous beaucoup plus tôt un ennui profond sans sa contribution, de même que d’une manière plus anecdotique une autre figure maternelle, plus subtilement atteinte que celle de Laura aux innombrables effusions de larmes, interprétée par Elvira Minguez.

Conclusion

Dans la mécanique insondable des films d’ouverture de festivals majeurs, Everybody Knows remplit globalement son contrat d’amuse-gueule, pas complètement raté, mais pas non plus béni de traits particuliers susceptibles d’éveiller notre passion de cinéphile. Au vu des talents qui y ont participé, il s’agit au moins d’une légère déception. Mais en même temps, il ne sera jamais entièrement inintéressant de voir des réalisateurs de la trempe de Asghar Farhadi sortir de leur zone de confort géographique et culturelle pour tenter de se renouveler.

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