Et hop, il aura suffi de quelques jours de repos sous le soleil espagnol, pour que nous accumulions un retard irrattrapable en termes de nouvelles de la planète cinéma ! En effet, au cours de la deuxième moitié du mois de septembre, cette dernière n’a point arrêter de tourner. Toutefois, parmi les nombreux faits, annonces de sélection de festival et décès survenus ces deux dernières semaines, nous aimerions revenir sur l’annonce des lauréats des prix honorifiques des prochains European Film Awards. La 37ème cérémonie du prix suprême du cinéma européen aura lieu le samedi 7 décembre à Lucerne en Suisse. Elle sera transmise en direct sur le site de l’Académie du cinéma européen. D’ici là, la liste des nominations sera dévoilée le mardi 5 novembre.
Comme on le sait depuis hier, pour la première fois, les documentaires et les films d’animation pourront enfin concourir dans la catégorie reine du Meilleur Film européen. Ce qui veut dire que, en théorie, des documentaires déjà sortis en salles en France tels que Averroes et Rosa Parks de Nicolas Philibert, Bye bye Tibériade de Lina Soualem et Dahomey de Mati Diop – Ours d’or au dernier Festival de Berlin –, pourraient faire de l’ombre aux quarante-cinq films de fiction sélectionnés jusqu’à présent. Car en plus des vingt-neuf premiers candidats annoncés à la mi-août, il y a eu une liste complémentaire fin septembre de seize titres, dont les productions britanniques Conclave de Edward Berger et Hard Truths de Mike Leigh, ainsi que The Room Next Door de Pedro Almodovar – Lion d’or au dernier Festival de Venise.
Wim Wenders (* 1945)
Officiellement, on sait depuis le mardi 27 août que le réalisateur allemand Wim Wenders recevra le prix honorifique des European Film Awards pour l’ensemble de son œuvre. Toutefois, il est fort probable que ce monument du cinéma européen, voire mondial, ait gardé des contacts assez proches au sein de l’Académie du cinéma européen pour avoir été mis au courant de cet honneur quelques jours auparavant. De 1996 jusqu’en 2020, Wenders avait en fait été le président de l’honorable institution, un poste prestigieux et influent qu’il a tenu sensiblement plus longtemps que son prédécesseur le Suédois Ingmar Bergman et ses successeurs la Polonaise Agnieszka Holland et la Française Juliette Binoche. Cette dernière n’a pris ses fonctions que fin avril 2024. En ce sens, ce prix peut au moins en partie être compris comme un signe de reconnaissance envers ce dirigeant de longue date.
Néanmoins, il serait hautement erroné de considérer Wim Wenders en tant que simple fonctionnaire académique du cinéma européen. Pour cela, sa filmographie est beaucoup trop innovante et d’une qualité exceptionnelle, depuis plus d’un demi-siècle. Car au début des années 1970, le jeune réalisateur avait commencé son illustre carrière avec des films dans le sillage du nouveau cinéma allemand comme Summer in the City, L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty et Alice dans les villes. Après d’autres films marquants comme Au fil du temps et L’Ami américain et une parenthèse américaine au succès plus mitigé, la consécration internationale n’allait pas se faire attendre avec, coup sur coup, le Lion d’or à Venise en 1982 pour L’État des choses et la Palme d’or à Cannes deux ans plus tard pour Paris Texas.
Depuis, Wim Wenders a mené une carrière des plus prolifiques et intéressantes, alternant de plus en plus entre la fiction (Les Ailes du désir, Lisbonne Story, The End of Violence, Land of Plenty et Perfect Days) et le documentaire (Tokyo-Ga, Buena Vista Social Club, The Soul of a Man, Pina, Le Sel de la terre, Le Pape François Un homme de parole et Anselm Le Bruit du temps), voire d’innombrables courts-métrages et clips musicaux.
De même, il compte parmi les cinéastes européens les plus multirécompensés, puisqu’il détient en plus des trophées précités trois nominations à l’Oscar du Meilleur documentaire, un Ours d’argent Prix du jury au Festival de Berlin en l’an 2000 pour Million Dollar Hotel et un Ours d’or honorifique reçu en 2015, le Grand Prix cannois pour Si loin si proche en 1993, le César du Meilleur documentaire pour Le Sel de la terre en 2015, ainsi que, bien sûr, déjà trois European Film Awards compétitifs : Meilleur réalisateur européen pour Les Ailes du désir en 1988, puis Meilleur Documentaire européen pour Buena Vista Social Club en 1999 et pour Pina en 2011.
Isabella Rossellini (* 1952)
La fille de deux monstres sacrés du cinéma mondial, Ingrid Bergman (Casablanca) et Roberto Rossellini (Rome ville ouverte), disparus trop tôt pour être reconnus par l’Académie du cinéma européen, l’actrice italienne Isabella Rosselini a depuis près d’un demi-siècle réussi à se faire un nom par elle-même, grâce à une filmographie des plus éclectiques. A ce titre, il suffit de voir les trois derniers films dans lesquels elle a joué pas plus tard qu’en 2023 et cette année-ci. Sans la moindre gêne, elle passe ainsi de l’épopée archéologique La Chimère de Alice Rohrwacher, présenté en compétition au Festival de Cannes en 2023, à l’aventure spatiale avec Adam Sandler Spaceman de Johan Renck, disponible sur Netflix, jusqu’au thriller ecclésiastique Conclave de Edward Berger, en route pour les Oscars et sur les écrans de cinéma français à partir du 4 décembre prochain.
Avant cet échantillon des plus révélateurs par rapport à son goût de la diversité, Isabella Rossellini avait collaboré avec des réalisateurs de renom tels que Vincente Minnelli (Nina), les frères Taviani (Le Pré), Taylor Hackford (Soleil de nuit), David Lynch (Blue Velvet et Sailor et Lula – Palme d’or au Festival de Cannes en 1990), Nikita Mikhalkov (Les Yeux noirs), Joel Schumacher (Cousins), Robert Zemeckis (La Mort vous va si bien), Peter Weir (État second), Lawrence Kasdan (Wyatt Earp), Abel Ferrara (Nos funérailles), Peter Greenaway (The Tulse Luper Suitcases), Guy Maddin (The Saddest Music in the World et Ulysse souviens-toi !), Douglas McGrath (Scandaleusement célèbre), James Gray (Two Lovers), Saverio Costanzo (La Solitude des nombres premiers), Denis Villeneuve (Enemy), David O. Russell (Joy), Brad Bird (Les Indestructibles 2) et Dean Fleischer Camp (Marcel le coquillage avec ses chaussures).
Sans oublier évidemment sa série de dix épisodes sur la vie sexuelle des animaux tournée en 2008 et 2009, Green Porno !
En termes de prix, la récolte de Isabella Rossellini était hélas jusqu’à présent plutôt maigre. Annoncé le 24 septembre dernier, son European Film Award honorifique arrive donc à point nommé. Il tiendra compagnie à son David Di Donatello spécial reçu l’année dernière et à son Independent Spirit Award de la Meilleure actrice gagné en 1987 pour Blue Velvet. Et on ose espérer que la réception de Conclave sera telle, que son rôle de la bonne sœur Agnès lui vaudra en janvier prochain sa première nomination à l’Oscar, dans la catégorie de la Meilleure actrice dans un second rôle … !