Entretien avec Zal Batmanglij pour The East

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Pour la sortie de « The East » le 10 juillet (notre critique ici), nous avons pu rencontrer son jeune réalisateur Zal Batmanglij, frère d’un des membres du groupe Vampire Weekend et meilleur ami de l’actrice Brit Marling qu’il fait tourner dans son film. L’occasion de parler longuement avec lui des réseaux sociaux, du gouvernement, de politique, d’écologie…et de cinéma.

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre film ?

Zal : « The East » parle d’une jeune femme conservatrice et religieuse, agent secret, et qui doit se faire passer pour l’exact opposé afin d’infiltrer un groupe d’anarchistes qui attaquent des sociétés sur le principe de l’œil pour œil dent pour dent. Par exemple ils souillent avec du pétrole la maison d’un patron de compagnie pétrolière responsable d’une marée noire.

Comment Brit Marling ou encore Ridley et Tony Scott se sont retrouvés sur ce projet avec vous ?

Zal : Brit et moi nous connaissons depuis la fac et nous avions déjà fait mon premier film « Sound of my voice » ensemble. « The East » était donc une extension naturelle de notre créativité. Nous avons écrit le film ensemble, et lorsque nous avons présenté Sound of my voice en avant-première à Sundance nous avons rencontré Michael Costigan qui a produit le film et qui à l’époque dirigeait l’entreprise de production de Ridley et Tony : la Scott Free Production. Michael, Ridley, Tony et la Fox voulaient alors produire ce film. C’est là que je me suis concentré sur la réalisation et que Brit a joué mon actrice.

L’écriture a-t-elle été longue ?

Zal : Nous avons écrit le film avec Brit avant Sundance, cela nous a pris environ 7 ou 8 mois. Nous sommes allés à Sundance en janvier 2011 et en octobre de la même année nous étions déjà en pré-production et commencions à tourner.

Vous avez choisi tous les acteurs du casting vous-même ?

Zal : Oui et parfois c’est le script qui les a choisi pour moi ! Car le film est assez controversé et beaucoup ont refermé le scénario avant de lire la fin tandis que d’autres voulaient absolument en faire partie pour la même raison. Tous mes acteurs, Ellen, Alexander et les autres y participent parce qu’ils croient en ce film et à cette histoire.

Vous aviez envoyé le scénario à un acteur que vous vouliez absolument et qui a dit non ?

Zal : Non pas vraiment, nous avons eu de la chance dirons-nous ! (rires)

zal batmanglij

Pourquoi avez-vous choisi de faire de « The East » un thriller et pas un documentaire ou toute autre sorte de film ?

Zal : Déjà parce que je ne sais pas comment tourner un documentaire ! Et puis je trouve que le thriller est un genre incroyable depuis les années 70 grâce aux films d’Alan Pakula où l’angoisse de l’époque était retranscrite sur grand écran. La semaine dernière encore aux USA il y a eu toute cette histoire avec Edward Snowden aux infos et j’avais l’impression de regarder moi-même un film, avec le suspense que ça m’inspirait de savoir ce qu’il faisait caché à Hong Kong, ce qu’il allait dire, etc. Le thriller est très excitant, j’adore ça, deviner ce que pourraient être les plans de la personne à venir ! Mais un thriller est aussi triste et plein d’émotions, et c’est tout ce que je voulais retrouver dans « The East » au final.

« The East » est un film très dense, qui aborde de nombreux sujets. Quel est son thème principal d’après vous ?

Zal : (Réfléchit longuement) Je pense que c’est l’idée que la compréhension de soi passe par la compréhension de sa place dans un groupe. Par exemple je me sens très aliéné dans le monde d’aujourd’hui. Depuis que je suis arrivé à Paris je n’ai pas mon téléphone car il ne marche pas ici. Deux jours que je n’ai ni appel, ni sms, ni email. J’ai l’impression d’être redevenu qui j’étais dans les années 90, beaucoup moins connecté aux autres personnes. Là, je ne sais pas ce que les autres font en ce moment même, c’est très étrange. Rien qu’en deux jours je me sens changé, je n’imagine même pas si je devais faire ça pendant un an comme mon personnage. Nous créons nous-même cette sorte de tribalisme lorsque nous nous déconnectons. Quand vous regardez les documentaires animaliers, vous voyez des lions, fiers dans leur tribu et je me dis toujours que nous les humains devrions faire pareil et toujours voyager avec une tribu. Notre tribu.

Dans le film vous écrivez « Espionnez nous et nous vous espionnerons ». Avez-vous l’impression d’être espionné par la société d’aujourd’hui ?

Zal : Je ne sais pas si quelqu’un nous espionne en particulier mais je suis convaincu que nos vies deviennent de plus en plus publiques oui. Tout d’abord parce que nous partageons plus notre vie privée. Quand « Big Brother » a été créé, je ne pense pas qu’on imaginait à l’époque que nous deviendrions nos propres Big Brothers, en train de nous regarder nous-mêmes et en partageant nos informations personnelles. C’est un sentiment perturbant, compliqué, et c’est pour ça que dans « The  East » il n’y a pas de réponse évidente. Car j’imaginais à ce moment-là comment nous étions il n’y a ne serait-ce que 10 ans de cela. Nous prenions des photos, nous devions les imprimer et les mettre dans un album ou dans un cadre, chez nous. Aujourd’hui, nous les téléchargeons en ligne et nous partageons ces photos avec une communauté. Mais bizarrement, ça me semble plus logique. Pourquoi devrions-nous cacher nos photos chez nous et être les seuls à les voir ? Donc d’un côté, ce virage vers une sphère privée/publique est bien, mais d’un autre côté, le problème est que le gouvernement et les sociétés s’immiscent dans cette sphère privée désormais. Ils disent faire ça pour cibler la publicité ou « protéger » la confidentialité des gens, mais ils nous observent tout de même au final. Le pire, c’est que nous nous habituons à cette surveillance. Car nous ne sommes pas seulement surveillés mais enregistrés. Comme vous le faites en ce moment (rires).

Mais au final, vous utilisez Internet et les réseaux sociaux pour votre travail non ?

Zal : Oui je tweet un peu et je publie sur Facebook, mais seulement les informations sur mes films, sur les conseils d’amis qui m’ont dit qu’il fallait le faire ! Et ils ont raison, le cinéma est très visuel après tout. J’ai vu Frances Ha parce que la publicité en noir & blanc que j’ai vu dans la rue m’a attirée. Mais la récente controverse Facebook sur la confidentialité des informations est aussi compliquée. Quand on sait que le gouvernement utilise nos informations, on pense automatiquement que ce n’est pas bien. Mais ces méthodes ont aussi déjà aidées à retrouver des enfants kidnappés ou disparus grâce au partage de ces informations par exemple. Donc Facebook est utile quand on sait l’utiliser.

En parlant de controverse, votre film peut s’y prêter. Avez-vous rencontré des problèmes particuliers en le réalisant, ou bien subit des menaces ?

Zal : Pas pour l’instant, mais qui sait ?! (Rires) La vie d’un film est très longue désormais, entre la création, la sortie en salle puis en dvd puis la disponibilité sur internet…donc peut être que la controverse ne fait que commencer !

Mais ce n’était pas votre but de choquer ou de révéler et dénoncer quelque chose au public, si ?

Zal : Non, nous n’essayons pas de faire passer un message. Cela dit, oui, tous les personnages du film sont inspirés de vrais personnages et l’histoire est basée sur des faits avérés. La firme pharmaceutique qui fait scandale dans le film a existé sous un autre nom, de même que des enfants sont également morts à cause des déchets jetés dans l’eau qu’ils consomment et qu’ils utilisent pour se laver.

Aviez-vous donc quelqu’un en particulier en tête quand vous écriviez le film ? Par exemple la communauté qu’intègre Brit Marling ressemble beaucoup à une secte ou au moins à une communauté religieuse comme les Evangélistes…

Zal : Personne en particulier encore une fois, mais oui, des communautés qui existent c’est évident. Nous avons réunis les histoires que nous entendions au détour de conversations ou que nous lisions dans les journaux. Nous avons ensuite commencé à fouiller pour avoir plus d’informations et nous avons découvert tellement d’histoires qui ne sont pas révélées au grand public ! Par exemple la firme pharmaceutique du film qui exploitait des médicaments avec de dangereux effets secondaires, et bien leur scandale commençait à peine à éclater quand nous avons écrit le film. Nous avons fait un film sur notre époque, plus que sur les gens qui y vivent.

Et vous personnellement, êtes-vous engagé dans un groupe quelconque : politique, écologiste, association de défense… ?

Zal : Non. Excepté celui dont nous faisons partie : la confédération du cinéma en France ! (rires). De toute façon, si j’aimais ce genre de groupes ou si j’en faisais partie, je ne serais certainement pas en train de vous dire d’y faire attention ! Je n’ai pas encore sauté le pas pour devenir anarchiste, mais peut-être un jour… Mais ces groupes ne me font pas peur en tout cas.

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Qu’est-ce que vous aimeriez que les gens disent de votre film ?

Zal : Je dis très souvent en rigolant que c’est le genre de film que vous devriez regarder avec la personne avec qui vous couchez. (rires) Je veux que les gens se couchent avec le film en tête et en parlent ensemble le lendemain matin encore en se réveillant. Par exemple, j’ai vu Lincoln de Spielberg récemment. Trois jours après j’y pensais encore. Ce superbe film m’a marqué. C’est ce que je me souhaiterais.

Qui sont vos réalisateurs préférés d’ailleurs ?

Zal : Il y en a tellement…(réfléchis). Mon film est clairement inspiré par Alan Pakula. Mais j’aime autant Bertolucci, James Cameron, Chris Nolan, David Fincher. Des gens de différents styles et différents pays. Mais bien entendu, Steven Spielberg est LE maître. La France me fait aussi penser à Catherine Breillat, Olivier Assayas et François Ozon que j’adore. Je trouve que c’est une très bonne période pour faire des films et en regarder.

Vraiment ? Pourtant, tout le monde semble parler de la crise à Hollywood !

Zal : Oui, car il est vrai que les seuls films quasiment encore produits par Hollywood sont des blockbusters. Mais en même temps aujourd’hui, les films sont encore capables d’engendrer des millions de dollars au box-office, ce qui est bon signe ! Si cela continue ainsi, c’est que ce n’est pas encore totalement la crise. Je me fiche de faire des films pour 200 000 dollars, ce que je veux c’est continuer à en faire!

D’ailleurs, quels sont vos projets pour la suite?

Zal : Continuer à faire des films (il sourit). J’aime les thrillers, j’aimerais continuer à en faire. Il y a plein de sortes de thrillers, des lents, des rapides, des politiques, des films d’espions, d’aliens… c’est un excellent genre.

Mais toujours à la direction, pas devant la caméra ?

Zal : (Rires) C’est flatteur de croire que je suis capable de jouer ! Non, je préfère réaliser, vraiment. Sauf si mon amie Brit Marling décide un jour de réaliser un film et me choisit comme acteur. Pour elle je le ferai, mais pour elle seulement ! (rires)

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