Deuxième partie de l’entretien avec l’acteur Thomas Brodie Sangster, réalisé en 2011 au Festival des Arcs à l’occasion de la présentation de Death of a Superhero.
Critique-Film : Dans Nowhere Boy, vous interprétez Paul Mac Cartney. Avez-vous appris à jouer de la guitare pour le rôle, et l’avez-vous rencontré ?
Thomas Brodie Sangster : Non, je ne l’ai pas rencontré. Il devait venir sur le tournage mais a annulé à la dernière minute. Je jouais déjà de la guitare avant, mais seulement de la main droite. Paul est gaucher, j’ai donc dû apprendre à jouer de la main gauche. Ce qui était pénible et vraiment compliqué. Il faut désapprendre ses réflexes, et vous ne parvenez pas facilement à placer vos doigts comme vous le devriez. Les chansons sont pourtant très simples, de bons vieux tubes rock’n’roll des années 50, avec des accords basiques. J’ai ramé mais maintenant, je peux jouer des deux mains, c’est utile.
CF : Interpréter une figure si iconique était compliquée ?
C’est difficile car vous ne pouvez pas faire tout ce que vous voulez. Vous pouvez avoir votre propre interprétation, mais votre liberté n’est pas totale. C’était la première fois que j’avais la possibilité de travailler ainsi. C’était un défi, et ça m’a plu. La réalisatrice Sam Taylor-Wood insistait sur le fait qu’elle ne voulait pas que l’on soit dans l’imitation. Je ne lui ressemble pas, mais ce n’était pas important. Ce n’est pas ce qui l’intéressait. Il s’agissait plutôt d’incarner un personnage, un être humain. Paul était plus jeune, timide et réservé, gauche alors que John était un peu plus âgé, un peu macho et avait un sens de la répartie plus facile. Mais les deux savaient déjà jouer de la musique.
Elle tenait aussi à ne pas voir Aaron Johnson devenir John Lennon, elle voulait voir un adolescent avec sa fragilité. C’est une histoire que l’on raconte, un point c’est tout. C’était risqué, mais c’était le meilleur choix à faire. Si on s’était lancés dans la copie conforme, avec un travail lourd sur les coiffures pour une plus grande ressemblance, cela aurait été plus ardu de le faire passer car il aurait été alors été plus facile de chercher la moindre faille. Avec une approche plus libre, c’est plus acceptable par les spectateurs.
CF : C’est votre musique que l’on entend dans le film ?
Je ne crois pas. Sur le tournage, c’est nous qui jouions pour de vrai, mais pour des questions de qualité de son, ils ont voulu quelques changements. Je crois mais je ne suis pas sûr qu’il reste des enregistrements de Aaron Johnson dans la bande-son.
CF : Sur l’ensemble de vos films, y a t-il une scène qui s’est avérée plus complexe que d’autres à tourner ?
Le plus difficile, c’est lorsque vous vous retrouvez à tourner par une nuit très très froide et que vous n’êtes pas habillé en conséquence. Il fait si froid que vous ne pensez qu’à rentrer chez vous. Il faut faire de son mieux pour jouer, c’est difficile mais à nouveau c’est un défi à relever. Et curieusement, dès que le réalisateur crie ‘ action ‘, cette sensation de froid disparaît, et au contraire dès que l’on entend le mot ‘ coupez ‘, le froid reprend ses droits. Lorsque vous filmez, pas de problème, mais attendre constitue 90% de votre emploi du temps. Pendant les 30 secondes où vous êtes filmés, tout va bien. J’avais parfois du mal à supporter cela à mes débuts car le reste du temps, vous avez froid. Vous n’avez nulle part où aller, il vous reste quatre heures avant de partir, vous ne sentez plus vos pieds, voilà le plus compliqué. Malgré les soucis, j’ai toujours eu la sensation de les avoir joué de la façon la plus juste possible. Et lorsque je ne suis pas content d’une scène, j’ai toujours la possibilité de la recommencer et de déceler la faille. Quand vous y arrivez c’est une vraie satisfaction, vous avez battu vos doutes, c’est génial surtoot si vous savez que la scène était difficile.
CF : Vous souhaitez monter sur les planches ?
J’adorerais mais je n’en ai pas encore eu l’opportunité. Ce n’est pas un choix, ce n’est pas encore arrivé, voilà tout. Je ne sais pas pourquoi. Mes agents savent que j’en ai envie. Ils cherchent le bon rôle et la bonne pièce mais je serais très nerveux. Je maîtrise bien les plateaux de cinéma : je comprends comment ça marche, je fais ça depuis déjà 11 ans. Sur scène, je suis complètement perdu, c’est une toute autre manière de jouer. Même si c’est l’essence du métier de comédien. Mes amis l’ont déjà fait et mon père continue encore aujourd’hui. Et en voyant leurs réactions lorsqu’ils sortent de scène, après une bonne soirée, ils sont sur un nuage, cela a l’air si agréable. Bon, certains soirs, ça l’est moins mais c’est quand même quelque shose qui me taraude, à condition de trouver le bon matériau.
CF : Ce n’est pas facile pour un acteur de votre âge : Equus peut-être ?
Oh non, ce pas pour moi… [NDLR : Equus est une pièce de Peter Shaffer autour des troubles mentaux d’un adolescent interné après avoir tué des chevaux et le rôle implique d’apparaître nu sur scène, Daniel Radcliffe a interprété ce rôle en 2007 ]
CF : Les personnages que vous avez interprété jusqu’à présent ont parfois une grande richesse émotionnelle, et doivent parfois affronter des questions de vie ou de mort ou assumer de grandes responsabilités. Est-ce plus compliqué ou cela vous permet-il de vous exprimer en tant qu’acteur, ou de comprendre un peu mieux votre propre personnalité ?
Je crois qu’à chaque nouveau projet, on apprend des choses sur soi. C’est étrange, mais le personnage vous oblige à penser et à vous comporter d’une certaine manière. Je ne suis pas comme ces acteurs qui entrent à fond dans la personnalité de ceux qu’ils interprètent. Je rentre et je sors assez facilement d’un personnage mais ce n’est pas toujours facile car certaines choses restent en vous. Même si vous allez prendre un verre avec vos proches, vous ne pouvez pas complètement en sortir. Vous conservez son état d’esprit car le lendemain vous devez tourner à nouveau, des scènes parfois intenses et vous devez redevenir cette personne que vous êtes au moins un peu le temps du tournage.
C’est une sensation bizarre. Une fois que c’est fini, c’est autant un soulagement, car vous pouvez redevenir vous-même, qu’un fardeau car vous ne reverrez pas cette personne. Il s’agit d’abandonner une part de soi, et c’est étrange de la laisser s’en aller. Mais au passage, vous avez appris quelque chose de vous. C’est très étrange et très intéressant.