Les livres de cinéma ne se situent pas vraiment au centre névralgique de la rentrée littéraire. Pourtant, les éditeurs français plus ou moins spécialisés en la matière nous gâtent une fois de plus avec une trentaine d’ouvrages sortis au cours du mois dernier. De quoi s’instruire et se divertir amplement en parallèle d’une actualité cinématographique qui souffre toujours passablement des conséquences de la crise sanitaire. A son tour, le monde de l’édition connaîtrait-il la crise ? On peut craindre que ce soit le cas. En même temps, quoi de mieux à faire en ces journées qui se rafraîchissent autant qu’elles se raccourcissent que de lire tranquillement un livre, plutôt que d’être en porte-à-faux avec la nouvelle doctrine de la sobriété énergétique en s’adonnant à des loisirs infiniment plus énergivores ?
On le dit et on le répète : nos capacités intellectuelles sont hélas largement insuffisantes pour venir à bout de cet imposant corpus de livres du mois de septembre. Néanmoins, s’il ne fallait en choisir que deux ou trois, notre intérêt mi-cinéphile, mi-littéraire se porterait sur le livre du chef-opérateur de légende Henri Alekan (La Belle et la bête de Jean Cocteau), le traité féministe sur le vieillissement d’actrices aussi mythiques que Bette Davis, Meryl Streep et Isabelle Huppert écrit par Murielle Joudet, ainsi que la lettre d’amour cinématographique que l’un des maîtres du cinéma à Lyon, et accessoirement à Cannes, Thierry Frémaux envoie à son idole défunt Bertrand Tavernier, malgré son titre à rallonge.
Les biographies
Le cinéma français d’un côté et son pendant américain de l’autre : c’est de la sorte que l’on pourrait résumer le choix des biographies du mois. Avec l’acteur irlandais Gabriel Byrne (Hérédité) comme seule exception salutaire à la règle. En effet, les actrices hollywoodiennes mises à l’honneur sont plutôt habituées de l’exercice, puisque la reine des années ’30 Greta Garbo (Ninotchka), la future princesse Grace Kelly (Fenêtre sur cour) et le symbole sexuel par excellence du 20ème siècle Marilyn Monroe (Certains l’aiment chaud) n’ont guère quitté la conscience collective des lecteurs contemporains. L’actualité médiatique leur réserve donc d’être remises sur le devant de la scène, comme le quarantième anniversaire de la mort accidentelle de la princesse de Monaco ou bien la sortie sur Netflix de Blonde, le film de Andrew Dominik avec Ana De Armas dans le rôle emblématique de la Monroe.
Les vedettes françaises jouissent au moins d’un traitement de faveur plus original. Et on ne pense pas ici à la biographie de Jean-Louis Trintignant, le genre de publication quelques mois après sa disparition, comme on devrait en voir prochainement d’autres icônes du cinéma récemment décédées comme Jean-Luc Godard. Non, l’actrice Valérie Bonneton (Eugénie Grandet) fait parler son chien sur les déboires de son quotidien. Et, aussi imposantes leurs filmographies respectives soient-elles, cela fait toujours plaisir d’en connaître un peu plus sur Michèle Morgan (Le Quai des brumes) et Fanny Ardant (Les Volets verts).
Henri Alekan : Des lumières et des ombres de Henri Alekan (La Table ronde – 35€)
Fanny Ardant : Fanny Ardant Une femme amoureuse de Pascal Louvrier (Tohu-Bohu – 19€)
Valérie Bonneton : Maman à moi de Valérie Bonneton (JC Lattès – 18€)
Gabriel Byrne : Mes fantômes et moi de Gabriel Byrne (Sabine Wespesier Éditeur – 22€)
Greta Garbo : Le Portrait de Greta G. de Catherine Locandro (Éditions Les Pérégrines – 19€)
Grace Kelly : Grace Kelly de Guillaume Evin (Éditions Larivière – 34€95)
Marilyn Monroe : Marilyn Monroe La Femme derrière l’icône de Ian Ayres (Éditions de La Martinière – 32€90)
Michèle Morgan : Michèle Morgan et moi de Yves Balmès (Éditions Le Lys bleu – 14€50)
Jean-Louis Trintignant : Jean-Louis Trintignant Une histoire de famille de Laurent Del Bono (Éditions Prisma – 19€95)
Les monographies
Biographie ou monographie ? Souvent la différence est minime entre ces deux genres littéraires qui s’emploient essentiellement à se plonger dans la vie professionnelle ou privée d’un grand nom du cinéma. La particularité de ce mois-ci est qu’on se retrouve avec deux livres très différents sur l’actrice française Simone Signoret (Casque d’or, de retour en salles dans trois semaines). Tandis qu’ils sont étonnamment proches dans leur sujet, les expéditions de la comédienne de l’autre côté du Rideau de fer, leur traitement ne pourrait pas être plus complémentaire. Ainsi, l’évocation d’un voyage en terrain miné avec son compagnon Yves Montand sous forme de bande dessinée fait face à un traité sensiblement plus académique sur le projet avorté d’une adaptation brechtienne en Allemagne de l’Est en 1955.
Sinon, vous pourriez également vous émerveiller devant le sens de la mode sans faille de Audrey Hepburn (Diamants sur canapé), suivre les conseils de management de Louis De Funès (La Folie des grandeurs), commencer à comprendre pourquoi le réalisateur allemand Alexander Kluge (Les Artistes sous le chapiteau : perplexes) est si apprécié par l’intelligentsia de son pays d’origine et vous mettre à jour par rapport aux réalisations récentes des frères Coen (Ave César), grâce à la réédition du livre paru initialement il y a neuf ans.
Robert Breer : Défier le film Le Cinéma d’animation de Robert Breer de Patrick Barrès (Éditions Somme toute – 17€)
Joel Coen et Ethan Coen : Oh Brothers ! Sur la piste des frères Coen de Marc Cerisuelo et Claire Debru (Capricci – 22€) Nouvelle édition augmentée
Louis De Funès : Le Management selon Louis De Funès de Benoît Aubert (Les Éditions de l’Opportun – 13€90)
Audrey Hepburn : Audrey Hepburn L’Univers illustré d’une icône de la mode de Megan Hess (L’Imprévu – 22€)
Alexander Kluge : Alexander Kluge Cartographie d’une œuvre plurielle de Wolfgang Asholt, Jean-Pierre Morel et Vincent Pauval (Éditions Hermann – 35€)
Yves Montand et Simone Signoret : Derrière le rideau de Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez (Éditions Steinikis – 20€)
Simone Signoret : Simone à Babelsberg de Cyril Buffet (L’Harmattan – 22€50)
Bertrand Tavernier : Si nous avions su que nous l’aimions tant nous l’aurions aimé davantage de Thierry Frémaux (Grasset – 19€)
Thématiques du cinéma
L’éclectisme prime ce mois-ci parmi les livres traitant de sujets aussi riches et variés que le cinéma fantastique ou l’incursion de nos chers voisins belges dans le cinéma français. En tant que thèmes récurrents, mois après mois, il y a certes la fascination indéfectible pour l’univers James Bond, cette fois-ci abordé sous l’angle de la musique, et celle presque aussi durable pour l’œuvre du réalisateur américain Quentin Tarantino et plus spécifiquement son dernier film Once Upon a Time in Hollywood.
Sans oublier la tâche toujours un peu pernicieuse de condenser l’Histoire du cinéma en un nombre limité de titres, entreprise par le critique Laurent Delmas. Toutefois, il y a amplement de quoi sortir des chemins battus en s’émerveillant devant les prouesses du cinéma fantastique, à la fois dans le fond et la forme, ou bien en découvrant la vie du Henri Langlois de province Raymond Borde.
Actrices : La Seconde femme de Murielle Joudet (Premier Parallèle – 20€)
Cinéma belge : Ces Belges qui font le cinéma français de Louis Héliot (Les Impressions Nouvelles – 22€)
Cinéma fantastique : Anatomie comparée des espèces imaginaires de Jean-Sébastien Steyer et Arnaud Rafaelian (Éditions Le Cavalier Bleu – 20€) Nouvelle édition
Cinéma fantastique : Les Ofni du cinéma fantastique et de SF de Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane (Éditions Terre de Brume – 22€)
Cinémathèque de Toulouse : Raymond Borde Une autre histoire du cinéma de Christophe Gauthier et Natacha Laurent (Éditions Privat – 19€90)
James Bond : Goldsinger Les Musiques de James Bond de Nicolas Buytaers (Omaké Books – 24€95)
Listes : 100 films qu’il faut avoir vus de Laurent Delmas (Larousse – 25€)
Once Upon a Time in Hollywood : Once Upon a Time in Hollywood Le Monde et sa doublure de Damien Ziegler (Éditions LettMotif – 32€)
Pour les esprits universitaires
Ne vous laissez pas trop berner par les sujets en apparence populaires de cette demi-douzaine de livres, destinés à première vue à un public d’érudits. Car autant le cinéma classique d’Hollywood entre les années 1930 et ’50 et les zombies peuvent paraître facilement accessibles, autant nous restons un peu circonspects par rapport au profil de leurs auteurs. Vous vous y aventurez donc à vos risques et périls, même s’il faut reconnaître que les raisonnements théoriques finement formulés peuvent déboucher sur des réflexions hautement stimulantes.
Cécité : Au royaume des aveugles de Olivier Cheval (De l’incidence Éditeur – 17€)
Cinéma hollywoodien : Une esthétique hollywoodienne de Jacqueline Nacache (Éditions Hermann – 30€)
Histoire du cinéma : Ciné-expéditions Une zone de contact cinématographique de Caroline Damiens (AFRHC – 20€)
Théorie du cinéma : Déjà vu Essai sur le retard de la création au cinéma de Laurent Van Eynde (Vrin – 19€)
Zombies : Les Zombies au cinéma Dead’s Zone de Joachim Daniel Dupuis (L’Harmattan – 12€)
Bookworm y Leseratte
A l’étranger aussi, la littérature de cinéma va plutôt bien. Enfin, il convient peut-être de nuancer nos propos, puisqu’il y a des variations marquées entre les pays. Là où le marché hispanophone nous paraît être léthargique, celui de nos voisins transalpins n’a jamais été aussi dynamique. Sinon, pas grand-chose n’a évolué ni en Allemagne, ni aux États-Unis et au Royaume-Uni. La langue de Goethe évolue essentiellement dans le champ théorique, c’est-à-dire en accord avec les auteurs américains, très souvent édités par les universités de leur pays.
La variété des sujets traités reste néanmoins bluffante ! A condition de maîtriser ces différentes langues et de disposer d’un budget de lecture conséquent, vous aurez l’embarras du choix entre des livres sur trois actrices – Claudia Cardinale, Judy Garland et Lizabeth Scott – et trois acteurs – Richard E. Grant, Michel Piccoli et John Wayne –, des cinéastes plus (Ron Howard, Martin Scorsese et Tsai Ming-Liang) ou moins connus (Luis Garcia Berlanga, Bill Douglas et Edgar Reitz), voire des techniciens au sens large du terme en la personne du scénariste Ernest Lehman (La Mort aux trousses) et du compositeur Hans Zimmer (Dune).
Enfin, la pratique de l’analyse filmique s’était un peu perdue ces derniers temps. En ce début d’automne, elle revient avec fracas, grâce à des ouvrages consacrés à Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, A bout de souffle de Jean-Luc Godard, Pulp Fiction de Quentin Tarantino, encore lui, et Y tu mama tambien de Alfonso Cuaron.
A bout de souffle : Godard Fino all’ultimo respiro de Ivelise Perniola (Carocci Editore – 13€)
Luis Garcia Berlanga : Luis Garcia Berlanga Zu Leben und Werk eines spanischen Ausnahmeregisseurs de José Luis Castro De Paz et Ralf Junkerjürgen (Schüren Verlag – 34€)
Claudia Cardinale : Tre studi su Claudia Cardinale de Cristina Jandelli (Marsilio Editore – 12€50)
Bill Douglas : Bill Douglas A Film Artist de Amelia Watts et Phil Wickham (University of Exeter Press – 80£)
Enfance : The Child in Cinema de Karen Lury (Bloomsbury Publishing / BFI Publishing – 22£99)
Judy Garland : The Films of Judy Garland de James L. Neibaur (McFarland – 39$95)
Cinéma gay : The Encyclopedia of LGBTQIA+ Portrayals in American Film de Erica Joan Dymond et Salvador Jimenez Murguia (Rowman and Littlefield – 125$)
Richard E. Grant : A Pocketful of Happiness de Richard E. Grant (Gallery UK – 20£)
Ron Howard : The Boys A Memoir of Hollywood and Family de Ron Howard et Clint Howard (William Morrow Paperbacks – 18$99)
Le Jardin des Finzi Contini : De Sica io e Il giardiono dei Finzi Contini de Lino Capolicchio (Bietti – 15€)
Ernest Lehman : Ernest Lehman The Sweet Smell of Success de Jon Krampner (University Press of Kentucky – 34$95)
Marx Brothers : The Marx Brothers and America de Robert E. Weir (McFarland – 39$95)
Michel Piccoli : Un sorriso e un enigma Il cinema di Michel Piccoli attore de Marco Luceri (Mimesis Edizioni – 15€)
Pulp Fiction : Tarantino Pulp Fiction de Leonardo Gandini (Carocci Editore – 13€)
Edgar Reitz : Filmzeit Lebenszeit Erinnerungen de Edgar Reitz (Rowohlt Verlag – 30€)
Leni Riefenstahl : Leni Riefenstahl Karriere einer Täterin de Nina Gladitz (Piper Verlag – 14€)
Stephanie Rothman : The Cinema of Stephanie Rothman Radical Acts in Filmmaking de Alicia Kozma (University Press of Mississippi – 30$)
Martin Scorsese : Martin Scorsese’s Documentary Histories de Mike Meneghetti (Bloomsbury Academic – 28£99)
Lizabeth Scott : Lunch with Lizabeth de Todd Hughes (Pelekinesis – 20$)
Stromboli : Paradiso siciliano La saga dei vulcani de Palma Pellegrini Torre (Libreria Pienogirono – 18€90)
Temps : The Prison of Time Stanley Kubrick Adrian Lyne Michael Bay and Quentin Tarantino de Elisa Pezzotta (Bloomsbury Academic – 90£)
Tsai Ming-Liang : Cruisy Sleepy Melancholy Sexual Disorientation in the Films of Tsai Ming-Liang de Nicholas De Villiers (University of Minnesota Press – 25$)
Le Voleur de bicyclette : De Sica Ladri di bicilette de David Bruni (Carocci Editore – 13€)
Voyages : Barcelona Costa Brava und co. de Ralf Junkerjürgen et Annette Scholz (Schüren Verlag – 22€)
John Wayne : John Wayne que estas en los cielos Masculinidades cine y feminismo de Octavio Salazar Benitez (La Moderna – 15€)
Western : Hold it real still Clint Eastwood Race and the Cinema of the American West de Lawrence P. Jackson (Johns Hopkins University Press – 44$95)
Y tu mama tambien : Y tu mama tambien de Paul Julian Smith (Bloomsbury Publishing / BFI Publishing – 11£99)
Hans Zimmer : Hans Zimmer La rivoluzione cinematica de Luca Perrone (Weird Book – 24€90)