En librairie de cinéma depuis le mois de juin 2022

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Sean Connery Acting Stardom and National Identity © 2022 Manchester University Press Tous droits réservés

Est-ce que cela se fait encore, avant le grand départ en vacances, de passer chez son libraire ou à sa bibliothèque, afin de faire le plein de livres pour l’été ? A notre grand regret, il faut craindre que cette pratique soit tombée victime de la révolution numérique. Tout juste, les lectrices et les lecteurs invétérés chargeront-ils quelques méga-octets sur leur liseuse, à moins que l’essentiel de cette pratique intellectuelle ne se fasse désormais directement sur leur téléphone portable. Toutefois, les éditeurs de livres de cinéma continuent de faire de la résistance, en vous ayant proposé près de trente ouvrages français au mois de juin. De quoi faire vivre votre passion de cinéma, même quand le prochain multiplexe ou la prochaine salle art et essai se trouve à des heures de route de votre lieu de villégiature.

S’il ne fallait en retenir que trois ou quatre – ce qui dépasse d’ores et déjà nos capacités de lecture toujours aussi catastrophiques –, notre choix se porterait sur l’autobiographie du monteur Paul Hirsch, sur une tentative ludique de réhabilitation de Woody Allen ou en tout cas de ses films, sur le nouveau volet de l’Histoire encyclopédique du cinéma français, cette fois-ci focalisé sur les années 1960, et enfin sur l’étude du genre joliment barbare des thrillers de vengeance.

Corinne Luchaire Un colibri dans la tempête © 2022 Éditions du 81 Tous droits réservés

Les biographies

On ne vous en voudra pas trop, si l’immense majorité des noms dont paraissent des biographies en ce début d’été ne vous disent pas grand-chose. Au contraire, c’est tout l’intérêt de cette sélection d’une demi-douzaine de livres, qui se penchent précisément sur des personnalités évoluant la plupart du temps derrière la caméra. Et même les deux biographies d’actrices retracent le chemin souvent chahuté de comédiennes aussi confidentielles – au moins de nos jours – que Maria Casarès (1922-1996 / Les Enfants du paradis) et Corinne Luchaire (1921-1950 / Le Dernier tournant).

En dehors du plaisir de redécouvrir l’autobiographie d’une pionnière du cinéma muet, la réalisatrice Alice Guy (1873-1968), vous pourriez donc en apprendre un peu plus sur des métiers de l’ombre aussi peu exposés que celui de chef-opérateur, de monteur et de dresseuse d’animaux. Le maître de la lumière Jean-François Robin, nommé au César de la Meilleure photo en 1998 pour Le Bossu, le maître des ciseaux Paul Hirsch, Oscar du Meilleur montage en 1978 pour La Guerre des étoiles, et la maîtresse des animaux Muriel Bec (Les Temps qui changent) vous y dévoileront tout ce qu’il y a à savoir sur leur travail passionnant.

Muriel Bec : Animal(e) de Muriel Bec et Virginie Jouannet (Kero – 18€)

Maria Casarès : L’Unique Maria Casarès de Anne Plantagenet (Éditions J’ai lu – 7€10) Deuxième édition avec postface inédite

Alice Guy : La Fée-cinéma Autobiographie d’une pionnière de Alice Guy (Gallimard – 12€50) Réédition

Paul Hirsch : Il y a bien longtemps dans une salle de montage lointaine très lointaine de Paul Hirsch (Almano Films / Carlotta Films – 20€)

Corinne Luchaire : Corinne Luchaire Un colibri dans la tempête de Carole Wrona (Éditions du 81 – 20€90) Édition revue et augmentée

Jean-François Robin : L’œil à la caméra Cinquante ans d’images de Jean-François Robin (L’Harmattan – 19€)

Pedro Costa Cinéaste de la lisière © 2022 De l’incidence Éditeur Tous droits réservés

Les monographies

Le déjà-vu côtoie l’inattendu parmi la petite dizaine de monographies sur des corpus d’œuvres filmiques plus ou moins importants et peu explorés jusqu’à présent. Ainsi, ce n’est de loin pas la première fois que vous croiserez les noms de Luis Buñuel et de Pier Paolo Pasolini dans notre chronique irrégulière de sorties littéraires. Au détail près que les livres qui leur sont consacrés consistent en des écrits poétiques ou critiques rédigés en marge de leur activité principale de réalisateurs majeurs du cinéma européen. Tombé en disgrâce depuis quelques années et arrivé a priori au bout de sa longue et illustre carrière, le roi de New York Woody Allen subit une cure de réhabilitation bienvenue de la part d’un membre de la génération Woody.

Et puis, vous aurez tout loisir à vous laisser emporter par mots, photos et dessins interposés vers la découverte de cinéastes infiniment plus obscurs. Cela vaut dans une moindre mesure pour le portugais Pedro Costa, Léopard d’or au Festival de Venise en 2019 avec Vitalina Varela, et pour le japonais Mamoru Hosoda, dont les animes déplacent les foules en France depuis une dizaine d’années, le plus récemment grâce à Belle, sorti en décembre dernier. Seuls les spécialistes du cinéma italien se souviennent encore du réalisateur Mario Soldati (La Marchande d’amour en 1953 avec Gina Lollobrigida). Par contre, on avance sur un terrain de découverte pure et dure du côté du réalisateur néerlandais de documentaires Rob Rombout et de son confrère de documentaires animaliers sous-marins Jean Painlevé, à qui le Jeu de Paume à Paris consacre en ce moment une exposition.

Woody Allen : Génération Woody de Daniel Bougnoux (Éditions Le Bord de l’eau – 20€)

Luis Buñuel : Le Chien andalou et autres textes poétiques de Luis Buñuel (Gallimard – 10€80)

Pedro Costa : Pedro Costa Cinéaste de la lisière de Antony Fiant (De l’incidence Éditeur – 14€)

Mamoru Hosoda : Tout l’art de Mamoru Hosoda de Charles Solomon (Huginn et Muninn – 34€95)

Jean Painlevé : Jean Painlevé Les Pieds dans l’eau sous la direction de Pia Viewing (Éditions Lienart – 45€)

Pier Paolo Pasolini : Le Chaos de Pier Paolo Pasolini (R&N Éditions – 22€50)

Rob Rombout : Rob Rombout La Mise en scène du réel de Marc-Emmanuel Mélon (Yellow Now – 24€)

Mario Soldati : Mario Soldati Cinéaste malgré lui de Jean A. Gili (Rouge profond – 20€)

Hommage à Illumination © 2022 Ynnis Éditions Tous droits réservés

Thématiques du cinéma

Une approche plus globale du cinéma se fait jour dans la dizaine de livres qui traitent de thématiques plus vastes. Cela peut prendre la forme d’analyses pointues sur Les Enfants du Paradis de Marcel Carné et Barry Lyndon de Stanley Kubrick, voire sur la démarche même d’analyser un film en passant de l’affect à la réflexion. Les anecdotes de tournage ne sont pas oubliées, même si l’on se demande toujours à quoi sert exactement cette focalisation sur des faits divers qui n’ont pas nécessairement quelque chose à voir avec le produit final projeté sur grand écran. La survie de ce dernier dépend aussi de l’engagement de bénévoles, qui font vivre de nombreux cinéma en France, surtout en province. Enfin, une fois n’est pas coutume, l’actualité du livre de cinéma et celle des sorties se croisent à travers un livre hommage au studio derrière Les Minions dont la suite avait été distribuée début juillet.

La tâche délicate de faire le tour d’un genre ou d’une cinématographie nationale en quelques centaines de pages a été accomplie par pas moins de quatre livres le mois dernier. Le projet colossal des Éditions Lettmotif, basées près de Lille, de dresser le portrait du cinéma français se poursuit par le biais du quatrième volet, faisant le tour des années 1960, de A bout de souffle de Jean-Luc Godard jusqu’à L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville. Ce que sont les grands classiques au cinéma national, les drames sociaux le sont à nos voisins d’outre-Manche. Or, l’ouvrage de Teddy Devisme s’intéresse aux nouvelles voix de ce cinéma-là, celles qui ont pris depuis un certain temps la relève du maître en la matière Ken Loach. Les choses deviennent plus jouissives avec un guide malicieux de lieux de vacances à éviter à tout prix et d’un plongeon dans le sous-genre du thriller vengeur américain, particulièrement à la mode dans les années 1970 et ’80.

Analyse de films : Analyser un film De l’émotion à l’interprétation de Laurent Jullier (Flammarion – 14€)

Animation : Hommage à Illumination de Claire-France Thévenon (Ynnis Éditions – 16€50)

Barry Lyndon : Barry Lyndon de Davide Magnisi (Éditions Gremese – 19€50)

Cinéma britannique : Nouvelles voix du cinéma social britannique de Teddy Devisme (Les Éditions du Net – 15€)

Cinéma français : Une histoire du cinéma français 1960-1969 de Denis Zorgniotti et Ulysse Lledo (Éditions Lettmotif – 39€90)

Cinéma de genre : Vacances d’enfer [au cinéma] de Claude Gaillard (Omaké Books – 19€95)

Cinéma de genre : Vigilante La Justice sauvage à Hollywood de Yal Sadat (Façonnage Édition – 20€)

Les Enfants du Paradis : Les Enfants du Paradis de Carole Aurouet (Éditions Gremese – 22€)

Histoires de tournage : Schneider Adjani Delon et les autres Cinquante éclats de cinéma de Jérôme D’Estais (Marest Éditeur – 19€)

Salles de cinéma : Les Cinémas associatifs Un autre paysage des salles françaises de Lola Devant et Mathilde Rolland (Warm – 16€)

Vacances d’enfer [au cinéma] © 2022 Omaké Books Tous droits réservés

Pour les esprits universitaires

Ils ne sont pas toujours faciles à digérer. Mais parfois, on peut trouver de bonnes surprises du côté des livres édités pour un public plus réceptif à une approche théorique du cinéma. Au mois de juin, la récolte était plutôt légère, fin de l’année universitaire oblige sans doute. Néanmoins, vous aurez l’occasion d’en savoir plus sur le cinéma turc et les représentations de la catastrophe nucléaire de Fukushima sur les écrans japonais. L’identité juive de certains réfugiés à Hollywood dans les années 1930 et ’40 y est autant analysée que l’exercice même d’analyser un documentaire.

Analyse de films : L’Analyse du film documentaire de Yann Kilborne (Armand Colin – 22€)

Cinéma turc : Les Écrans turcophones de Kristian Feigelson et Mehmet Oztürk (Presses universitaires du Septentrion – 28€)

Fukushima : Le Paradigme Fukushima au cinéma de Élise Domenach (Éditions Mimésis – 18€)

Identité : Être juif dans le cinéma hollywoodien classique de Lorenzo Leschi (Vrin – 10€)

Bigger Boat Il senso della meraviglia nei film di Steven Spielberg © 2022 Bakemono Lab Tous droits réservés

Bookworm y Leseratte

Après quelques mois assez calmes du côté de la publication de livres de cinéma à l’étranger, dans le sillage de la crise sanitaire, les affaires y ont certainement repris. Curieusement pas trop sur le marché hispanique, dont nous n’avons retenu qu’un seul livre. Mais à la fois en Italie et dans les pays anglophones, vous trouverez facilement votre bonheur, à condition de maîtriser les langues respectives et de disposer d’un budget conséquent. Alors que l’on peut considérer déjà comme cher le prix moyen de 20 euros d’un livre de cinéma en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni, certaines maisons d’édition universitaire ne se privent pas de facturer jusqu’au quintuple. Enfin, pour une fois, nous incluons également un livre venu d’Inde ici, pour lequel il n’est nullement nécessaire de lire l’hindi, puisqu’il traite en anglais du plus internationalement connu des réalisateurs du subcontinent, Satyajit Ray.

Beaucoup, beaucoup de livres à lire donc, si vous vous sentez suffisamment à l’aise avec leurs langues étrangères respectives. Plus d’une vingtaine, sans que cette liste ne prétende à quelque exhaustivité que ce soit, bien sûr. On y trouve les suspects habituels, comme l’éternel Alfred Hitchcock sur qui au moins une vingtaine de livres semblent paraître chaque année. Ainsi que des réalisateurs ou des acteurs invariablement en vogue, pour des raisons plus ou moins avouables, tels que Steven Spielberg, David Cronenberg, Sean Connery et Nicolas Cage.

Mais là encore, tourner les pages au-delà de nos frontières contribuera justement à se familiariser davantage avec des pans du cinéma dont on n’entend pas souvent parler vers chez nous. Par exemple, tout le monde connaît la vedette espagnole Javier Bardem, peut-être même un peu trop omniprésente sur nos écrans ces dernières années. Mais que savez-vous de son oncle, le réalisateur Juan Antonio Bardem, constamment en porte-à-faux avec le régime franquiste ? La même cure de curiosité devrait s’appliquer aux cinéastes finalement pas si abondamment étudiés jusqu’à présent, comme l’ancien doyen du cinéma mondial Manoel De Oliveira ou bien l’italien Vittorio De Seta dont on redécouvre tout juste les films en France.

Enfin, les livres d’ores et déjà incontournables sur quelques cinématographies nationales ne manquent pas à l’appel. Il en va ainsi d’une sorte d’autobiographie du plus grand expert anglophone du cinéma japonais Peter Cowie, de deux beaux ouvrages sur deux piliers du cinéma italien, les films de gangster d’un côté et les films d’horreur de l’autre, d’un regard complémentaire à celui de la relève sociale dans le cinéma britannique dans le livre cité plus haut, ainsi que du meilleur de l’horreur à l’australienne. Tout un programme … !

Juan Antonio Bardem : Juan Antonio Bardem Un comunista en el cine español de Eladi Romero Garcia (Laertes Ediciones – 17€50)

Nicolas Cage : Nicolas Cage La carriera e i film di un anti-divo di Hollywood de Mirko Tommasi (Shatter Edizioni – 14€)

Cinéma australien : Australian Gothic A Cinema of Horrors de Jonathan Rayner (University of Wales Press – 70£)

Cinéma britannique : Cinema and Brexit The Politics of Popular English Film de Neil Archer (Bloomsbury Academic – 28£99)

Cinéma italien : Con la rabbia agli occhi Itinerari psicologici nel cinema criminale italiano de Fabrizio Fogliato (Bietti Edizioni – 24€)

Cinéma italien : La lama nel corpo Immagini femminili nell’horror italiano de Guido Colletti (Mimesis Edizioni – 18€)

Cinéma japonais : Japanese Cinema A Personal Journey de Peter Cowie (Stone Bridge Press – 18$95)

Joan Collins : My Unapologetic Diaries de Joan Collins (Weidenfeld and Nicolson – 9£99)

Sean Connery : Sean Connery Acting Stardom and National Identity de Andrew Spicer (Manchester University Press – 20£)

David Cronenberg : David Cronenberg Estetica delle mutazioni de Roberto Lasagna et Rudy Salvagnini (Weird Book – 24€90)

Manoel De Oliveira : The Cinema of Manoel De Oliveira de Hajnal Kiraly (Bloomsbury Academic – 80£)

Vittorio De Seta : Il meridionalista dell’imagine de Ludovico Cantisani (Edigrafema Casa Editrice – 16€)

Effets spéciaux : The Empire of Effects de Julie A. Turnock (University of Texas Press – 55$)

Setsuko Hara : Strahlend und bewegt Setsuko Hara in ihren frühen Filmen de Rainer Landvogt (Büchner Verlag – 44€)

Alfred Hitchcock : Alfred Hitchcock Filmmaker and Philosopher de Mark William Roche (Bloomsbury Academic – 19£99)

Alfred Hitchcock : The Twelve Lives of Alfred Hitchcock de Edward White (W.W. Norton and Company – 18$95)

Stan Laurel et Oliver Hardy : Laurel und Hardy Sehr viel mehr als dick und doof de Rainer Dick (Boiselle und Ellert – 24€80)

Médée : Medeia Sanfte Mutter des Todes de Ursula Bessen (Wehrhahn Verlag – 38€)

Musique de film : Improvising the Score de Gretchen L. Carlson (University Press of Mississippi – 30$)

Satyajit Ray : Satyajit Ray From Frame to Frame de Shoma A. Chatterji (Vitasta Publishing – 495Rs)

Jean Simmons : Jean Simmons Her Life and Career de Michelangelo Capua (McFarland Books – 39$95)

Steven Spielberg : Bigger Boat Il senso della meraviglia nei film di Steven Spielberg de Emanuele Rauco (Bakemono Lab – 20€)

Raoul Walsh : Action Action Action The Early Cinema of Raoul Walsh de Tom Conley (State University of New York Press – 95$)

Japanese Cinema A Personal Journey © 2022 Stone Bridge Press Tous droits réservés

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour,

    Je voudrais vous signaler la parution d’un livre consacré au sentiment du Temps au cinéma (et en littérature). Son titre:
    « Cinéma, littérature: le Temps dans dix oeuvres ».
    Il y est question, en termes simples mais précis (je suis critique dans diverses revues comme Positif ou Jeune cinéma) de grands classiques comme le « Satyricon » de Fellini, « Les Fraises sauvages » de Bergman, « 2001, L’Odyssée de l’espace » de Kubrick ou « L’Aventure de Madame Muir » de Mankiewicz.
    Aux éditions L’Harmattan, mars 2022, Jean-Michel Ropars

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