Elefante blanco
Argentine, France, Espagne : 2012
Titre original : Elefante blanco
Réalisateur : Pablo Trapero
Scénario : Pablo Trapero, Alejandro Fadel, Martin Mauregui, Santiago Mitre
Acteurs : Ricardo Darin, Jérémie Renier, Martina Gusman
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1 h 45
Genre : Drame
Date de sortie : 20 févriers 2013
Globale : [rating:4][five-star-rating]
Après une année 2012 terminée en beauté avec l’excellent Jours de pêche en Patagonie de Carlos Sorin, le cinéma argentin attaque 2013 bille en tête avec la sortie de 5 films entre le 1er janvier et le 8 mai ! Dans ce cinéma si riche, le réalisateur Pablo Trapero fait partie des chefs de file et pourtant il n’a que 41 ans. Elefante Blanco est son 7ème long métrage et, s’il n’a pas tout à fait la force de Leonora, il s’inscrit de toute évidence parmi les films les plus aboutis de ce début d’année.
Synopsis : Le « bidonville de la Vierge » dans la banlieue de Buenos Aires. Julian et Nicolas, deux prêtres et amis de longue date, œuvrent pour aider la population. Julian se sert de ses relations politiques pour superviser la construction d’un hôpital. Nicolas le rejoint après l’échec d’un projet qu’il menait dans la jungle, où des forces paramilitaires ont assassiné les habitants. Profondément choqué, il trouve un peu de réconfort auprès de Luciana, une jeune assistante sociale, athée et séduisante. Alors que la foi de Nicolas s’ébranle, les tensions et la violence entre les cartels dans le bidonville augmentent. Quand le ministère ordonne l’arrêt des travaux pour l’hôpital, c’est l’étincelle qui met le feu aux poudres.
Une présentation du sujet étincelante
Après une séquence d’ouverture dans la jungle amazonienne qui nous présente Nicolas, un prêtre « gringo » qui survit au massacre d’une tribu par des forces paramilitaires, Pablo Trapero nous propose un plan-séquence magistral comme, malheureusement, on en voit de moins en moins : durant la poignée de minutes que dure ce plan-séquence, le spectateur rencontre les protagonistes importants et fait connaissance avec les lieux dans lesquels le film va se dérouler ainsi qu’avec le cadre social qui va sous-tendre l’action. Sans bavardage inutile, sans lourdeur, sans artifice, le spectateur sait tout ce dont il a besoin : du grand art ! Il y a donc Julian, un prêtre très engagé socialement et qui a consacré sa vie aux pauvres ; curé de la paroisse du bidonville de Ciudad Oculta (La ville cachée), appelé aussi le « bidonville de la vierge », situé dans la banlieue de Villa Lugano, tout près de Buenos-Aires, il supervise la construction d’un hôpital, un bâtiment surnommé « Elefante blanco» dont la construction traîne depuis plusieurs années. Cinquantenaire, Julian est malade et il aspire à trouver un remplaçant. C’est d’ailleurs dans ce but qu’il a fait venir Nicolas, un prêtre belge, ami de longue date et beaucoup plus jeune. Et puis, il y a Luciana, une jeune assistante sociale, belle et athée, qui travaille dans ce quartier depuis 5 ans.
Un film social, un film d’action
Cela fait plus de 40 ans qu’on entend parler de la théologie de la libération, un mouvement né en Amérique du Sud. En effet, depuis près d’un demi-siècle, on a pris l’habitude de voir sous ces latitudes une église catholique complètement coupée en deux, entre les hommes d’église qui soutenaient les dictatures d’extrême-droite au Chili et en Argentine et ceux qui, au contraire, les combattaient au péril de leurs vies. C’est en hommage au père Carlos Mugica, partisan du « mouvement des prêtres pour le tiers-monde », assassiné en 1974, que Pablo Trapero a réalisé son film. Quant à « Elefante Blanco », ce bâtiment destiné à devenir le plus grand hôpital d’Amérique du Sud, projet jamais terminé, il existe vraiment et il appartient depuis quelques années à la fameuse association « Mères de la Place de Mai ». Dans le film comme dans la réalité, la vie dans le bidonville se partage entre corruption, gens qui se serrent les coudes pour survivre, la fabrication et le trafic de drogue qui dégénèrent en règlements de compte, les activités de la police qui surveillent de près le quartier, … Aux prises avec 1000 difficultés, Julian, Nicolas et Luciana font ce qu’ils peuvent, avec, en plus, des problèmes personnels qui n’arrangent rien : la maladie de Julian, le sentiment de culpabilité que ressent Nicolas d’avoir réussi à échapper au massacre amazonien, les doutes qui ébranlent petit à petit sa foi. Mais, prêtres ou athées, certaines personnes n’arrivent pas à supporter les injustices !
Une grande qualité esthétique
Pour réaliser ce mélange de film social à la Ken Loach et de film d’action à la Scorcese, Pablo Trapero a bénéficié d’un budget de 4 millions de dollars. Même si on est loin des budgets monstrueux de certains films hollywoodiens ou même hexagonaux, cet argent a permis à Trapero de filmer dans des conditions assez confortables et ce qui part trop souvent dans une surenchère d’effets spéciaux a été utilisé ici dans la construction de plans-séquences très travaillés et particulièrement réussis. Au point qu’on en arrive presque à se poser la question : étant donné le cadre misérable, digne de la cour des miracles, dans lequel se déroule l’action, est-il judicieux de fabriquer un film dans lequel la qualité esthétique soit aussi évidente ? Bien évidemment, la réponse est oui, dans la mesure où, dans ce film, la beauté des plans et des images ne nuit en rien à la conduite du récit et à la description des états d’âme des protagonistes. Ajoutons que Pablo Trapero a su s’entourer d’un trio de comédiens très convaincants dans leurs rôles : Ricardo Darin qui joue Julian, on le connaît bien, Trapero aussi depuis Carancho, son film précédent ; Martina Gusman, c’est l’épouse de Trapero, elle a interprété le rôle féminin principal dans ses 4 derniers films, elle est d’une telle beauté qu’on comprend que la foi d’un prêtre puisse vaciller à force de la côtoyer ; Jérémie Renier, c’est le petit nouveau, il prouve une fois de plus l’éclectisme de son talent, son aptitude à se couler dans n’importe quel rôle.
Résumé
Avec Leonera et Carancho, Pablo Trapero avait réussi, dans un passé récent, à réunir un nombre de spectateurs non négligeable. On peut souhaiter que l’audience de ses films s’élargisse encore un peu plus avec Elefante Blanco, même si, paradoxalement, ce très bon film apparaisse légèrement inférieur à Leonera. Présent au Festival de Cannes 2012 dans la sélection Un Certain Regard, il avait tout à fait sa place dans la sélection officielle, ce qui aurait permis à l’un des 3 interprètes principaux de viser un Prix d’interprétation.
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