Red Joan Au service secret de Staline
Royaume-Uni, 2018
Titre original : Red Joan
Réalisateur : Trevor Nunn
Acteurs : Sophie Cookson, Judi Dench, Tom Hughes, Stephen Campbell Moore
Distributeur : L’Atelier d’images
Genre : Thriller historique
Durée : 1h41
Date de sortie : 17 février 2020 (vidéo)
3/5
C’est avec un film on ne peut plus britannique que nous commençons notre couverture de la 30ème édition du Festival de Dinard, cet événement incontournable de la rentrée cinématographique justement dédié au cinéma venu de l’autre rive de la Manche. Dans Red Joan, tout ce qui a fait le succès commercial de productions britanniques récentes comme Une merveilleuse histoire du temps de James Marsh et Imitation Game de Morten Tyldum semble s’être donné rendez-vous. Les décors emblématiques, des campus des universités aux bureaux austères dédiés à la recherche scientifique la plus pointue, y sont autant présents que les poncifs habituels sur l’honneur bafoué du royaume et sur l’amour contre raison qui incite les personnages à faire toutes sortes de choses irréfléchies. Avec de surcroît la grande dame du cinéma anglais respectable, Judi Dench, qui veille à cloche pied, en basculant sans prévenir des signes de la sagesse à ceux de la vieillesse et inversement, sur la structure temporelle alambiquée du récit. Décrit comme ça, le quatrième long-métrage de Trevor Nunn en plus de quarante ans de carrière ne donne pas nécessairement envie. Et pourtant, il y a quelque chose qu’on pourrait qualifier de force motrice du propos qui réussit à rendre cette histoire d’espionnage amateur assez fascinante. C’est un film formellement très classique, soit, mais qui dispose de la sobriété narrative suffisante pour mêler la grande Histoire aux scrupules individuels infiniment plus intimes.
Synopsis : En l’an 2000, la bibliothécaire à la retraite Joan Stanley est arrêtée par la police anglaise et accusée de trahison. Soixante ans plus tôt, elle aurait transmis de nombreuses informations classées secret défense à l’ennemi soviétique. Alors que son fils Nick, avocat, ne veut pas croire en la culpabilité de sa mère, celle-ci arrive à une autre conclusion après s’être remémorée cette époque mouvementée. Ses fréquentations du parti communiste et son histoire d’amour avec Leo Galich, un militant particulièrement charismatique, lui avaient en effet permis de s’interroger sur la validité de la course effrénée à la bombe atomique que se livraient alors les Américains, les Russes et les Anglais.
Pas de thé pendant le service
Il aurait été très facile de rater misérablement Red Joan. Ses retours en arrière incessants, amorcés par des transitions qui ne font pas toujours preuve de finesse visuelle, le faux suspense autour des véritables intentions du personnage principal, ainsi que les implications au présent pour sa famille due au scandale, sans oublier le cadre historique lourdement appuyé que l’on croit déjà connaître par cœur : franchement, la liste des pièges à la portée de la mise en scène est longue. Et Trevor Nunn ne paraît pas faire d’efforts exceptionnels pour les éviter, afin de rendre son récit plus percutant que ne l’ont été avant lui d’innombrables drames historiques à la gloire fanée de l’empire britannique. Outre le lien détendu entre la Joan d’antan et celle d’aujourd’hui, deux femmes en apparence diamétralement opposées qu’une ample parenthèse dans le temps aurait rendu si dissemblables, c’est le volet romantique de l’intrigue qui court trop souvent le risque d’un conformisme peu engageant. Alors que le coup de foudre initial entre Joan et Leo demeure tant soit peu crédible, le développement ultérieur de leur relation, qui devient de plus en plus tumultueuse, voire orageuse – un peu à l’image de la météo instable en Bretagne – se montre sensiblement moins convaincant.
Il faut partager la bombe
Avec autant d’inconvénients à son compte, comment se fait-il que nous avons tout de même, globalement, apprécié ce film ? Peut-être est-ce justement dû à l’aisance ou plutôt à la conscience lucide avec laquelle il manœuvre à travers ces lieux communs, pour mieux baser sur eux un discours beaucoup moins manichéen et expéditif qu’on aurait pu le croire à première vue. Le scénario ne s’évertue pas à éclaircir à tout prix les zones d’ombre qui peuvent rester, ni à claironner une vérité unique et inattaquable dans cette affaire après tout assez ambiguë. Grâce à une mise en scène parfois presque trop dense, il transcende le cadre d’une simple reconstitution historique bien intentionnée pour traiter un sujet, admettons-le, pas non plus exceptionnellement original. Quel parti prendre dans le tourbillon de l’Histoire, avant même qu’on ne connaisse tous les tenants et les aboutissants d’un mécanisme géopolitique qui ne devient limpide que de façon rétrospective ? A cette question, hélas vieille comme le monde, Red Joan n’apporte certes pas une réponse universellement acceptable. Il tente toutefois de l’aborder avec un esprit ouvert. Que sa forme soit d’une raideur caricaturalement britannique n’est alors soudainement plus si grave, grâce à l’acuité du regard sur ce cas de conscience géré par Joan selon les règles impulsives de la jeunesse, sans pour autant s’en mordre les doigts à la fin de sa vie.
Conclusion
Un début de festival sous le signe d’une qualité à double tranchant avec ce thriller historique, qui ne sait pas très bien à chaque instant où il veut en venir précisément. Ces hésitations deviennent par contre progressivement une force, au fur et à mesure que l’album photo devient le parcours d’une combattante tiraillée par le doute. A ce niveau, l’interprétation de Sophie Cookson en Joan des années ’40 est naturellement plus vive que celle de Judi Dench, jamais très loin de l’auto-parodie de ses rôles de vieille dame sur le point de trépasser. A moins que nous ayons vu récemment trop de sketchs de Tracey Ullman, qui détourne de manière jubilatoire l’aura solennelle de ce trésor britannique national, ce qui ne nous aide malheureusement pas à prendre Dame Judi trop au sérieux.