Denmark
Royaume-Uni, 2019
Titre original : Denmark
Réalisateur : Adrian Shergold
Acteurs : Rafe Spall, Simone Lykke, Joel Fry, Steve Speirs
Distributeur : –
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h31
Date de sortie : –
3/5
Changement de régime, enfin, dans notre programme personnel du Festival de Dinard, grâce à cette comédie douce-amère sur un perdant par excellence, qui, contre toute attente, finit par retrouver goût à la vie. Avec Denmark, on se situe clairement du côté du versant du cinéma social, si prisé au Royaume-Uni, quoique saupoudré d’une bonne couche d’autodérision qui fait aisément passer la pilule. L’ingéniosité du film de Adrian Shergold ne se situe ainsi pas uniquement dans sa prémisse amusante – un chômeur gallois rêve de partir au Danemark afin de s’y faire incarcérer dans une prison de luxe – mais dans le détournement systématique de celle-ci. N’est en effet pas un criminel crédible qui croit l’être ! A notre grand soulagement, après nos deux premiers films vus pendant le festival au cheminement narratif prévisible jusqu’au moindre plan, le déraillement progressif du projet initial se solde ici par un récit joliment ironique. En parfaite conformité avec son état d’esprit constamment abattu, le protagoniste, interprété avec beaucoup de finesse par Rafe Spall, ne se lance pas de suite corps et âme dans la nouvelle proposition de vie qui s’offre à lui. Il la laisse dans l’expectative, à l’image de nos propres attentes, déjouées sans insistance mais au contraire sur un ton détendu, qui nous a fait le plus grand bien, après un début de festival placé sous le signe des propos pompeux.
Synopsis : Herb est au bout du rouleau : sa femme l’a quitté, il ne voit plus son fils Frankie, sa mère le traite ouvertement de loser et les services sociaux ne sont plus prêts à financer son oisiveté pathologique. Exécré par le bruit incessant de son voisin du dessus, Herb ne rêve que d’une chose, partir ou en finir. Quand il voit à la télévision un reportage sur les conditions de détention très confortables au Danemark, il prend la décision de quitter pour la première fois son Pays de Galles natal, afin de commettre un crime quelconque chez les Danois.
Tom Jones n’en peut plus d’être Kevin
Rien que la prémisse de Denmark séduit d’emblée par sa simplicité détonante. Quelle idée de cultiver une ambition aussi farfelue que de se faire incarcérer dans un pays, où les prisonniers mèneraient une vie plus agréable que les laissés-pour-compte du système d’aide sociale chez soi ! Après, il faut bien admettre qu’absolument rien ne va dans la vie de Herb, la victime sublime de sa propre inadéquation existentielle, suffisamment lucide pour se rendre compte de sa misère profonde et en même temps incapable d’y remédier de manière constructive. Ou comme le dit Harry, l’un des personnages secondaires hauts en couleur qui peuplent le récit avec une nonchalance forçant le respect, il a l’air bien con, mais personne ne mérite de vivre de la sorte. Il n’est même pas nécessairement le moins bien loti dans son entourage, en comparaison à ses amis d’enfance, le Capitaine Kirk forcé de mettre un terme à sa vie de vagabond des océans pour s’occuper de son père malade et Aubrey, qui subit stoïquement les manifestations olfactives du colon irrité de son chien. A la différence près qu’eux, ils ont appris à faire face aux aléas de la vie, tandis que leur pote paraît seulement avoir un talent pour réparer les appareils électroménagers des autres, sans jamais envisager sérieusement de remédier à la morosité de son quotidien personnel.
Un drôle de tourisme
D’où donc cette ultime bouée de sauvetage, dont les conséquences n’ont pas du tout été évaluées. Sans surprise, rien ne se passe comme prévu au cours de cette odyssée passablement morbide, surtout parce que la théorie du désespoir s’accorde très mal avec la pratique imprévisible de la vie. Il a beau pleuvoir des cordes au Danemark et les envies pressantes du protagonistes n’arrangent pas davantage les choses, une certaine culture de l’accueil nordique ne tarde pas à réduire son plan en miettes, déchiqueté sans la moindre méchanceté par la découverte d’un monde après tout pas si mesquin qu’il avait l’air depuis son taudis d’appartement gallois. Les coups de pouce venus de l’extérieur se font alors plutôt discrets, à la manière d’un film à l’humour caustique marqué. Et, cerise sur le gâteau, la possible histoire d’amour, qui, dans un film à la mise en scène moins habile, aurait dynamité maladroitement le château de cartes de l’apitoiement sur soi si soigneusement construit jusque là, reste ici justement une option parmi d’autres. L’optimisme authentique que dégage Denmark provient par conséquent du pragmatisme désabusé avec lequel il observe le monde, toujours prêt à sauter sur l’occasion d’un signe sincère de bonté et simultanément guère dupe des mauvaises surprises promptes à jaillir à chaque nouvelle bifurcation de l’intrigue. En somme, le quatrième long-métrage de Adrian Shergold, un véritable vétéran de la télé britannique, fournit la preuve précieuse de la vivacité sarcastique que le cinéma d’outre-Manche a encore parfois à offrir dans ses films les plus divertissants et touchants !
Conclusion
Ce n’est pas tout à fait un coup de cœur sans réserve que cette comédie délicatement jubilatoire, mais Denmark nous a en tout cas arrachés de notre légère torpeur dinardaise, attrapée contre notre gré par les films précédents ! Aucun message péremptoire ici sur la nécessité de remonter coûte que coûte la pente glissante de l’existence humaine, juste une série un peu trop décousue de moments d’étonnement, sans gravité, ni moralisme appuyé. De quoi vous faire croire pendant une heure et demie que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs, mais que cela n’engage à rien d’aller quand même y tenter sa chance …