Critique : Deux moi

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Deux moi

France, 2019

Titre original : –

Réalisateur : Cédric Klapisch

Scénario : Santiago Amigorena & Cédric Klapisch

Acteurs : François Civil, Ana Girardot, Camille Cottin, François Berléand

Distributeur : Studiocanal

Genre : Comédie dramatique

Durée : 1h50

Date de sortie : 11 septembre 2019

2,5/5

L’attrait de la filmographie de Cédric Klapisch réside au moins autant dans sa capacité d’emmener le spectateur dans des microcosmes singuliers, que dans l’intérêt qu’on porterait aux événements mi-tragiques, mi-comiques qui s’y déroulent. Aller voir un film de Klapisch, c’est toujours un peu la promesse de l’immersion ludique dans un univers finement observé : le monde du travail dans son premier long-métrage Riens du tout, une classe de Terminale dans Le Péril jeune, L’Auberge espagnole ou l’endroit idéal pour faire se croiser des destins cosmopolites, voire un désert apocalyptique dans Peut-être, où la capitale s’est trouvée sous le sable. La qualité de chaque film pris individuellement dépend en grande partie de la réussite de l’exploration de ces décors aux accents folkloriques, astucieusement passés au filtre d’une fiction jamais trop intrusive. Dans le cas de Deux moi, cette équation s’avère hélas plutôt bancale. La vie quotidienne entre la butte Montmartre et les rails de la Gare du Nord y passe largement à l’arrière-plan d’un mélodrame romantique, dont l’enjeu principal paraît être que les deux amants potentiels se croisent sans réellement se rencontrer. Le dispositif de cette mise en parallèle narrative devient ainsi de plus en plus lourd, au fur et à mesure qu’il épuise tous les cas de figure imaginables de ces rendez-vous manqués. De même, l’approche psychologique du malaise existentiel qui accable les deux personnages principaux ne brille guère par son ingéniosité, ni son acuité, de pénibles souvenirs de leur enfance ou de leur adolescence ayant bon dos afin d’expliquer plutôt platement l’impasse morale dans laquelle ils se sont manœuvrés.

© Emmanuelle Jacobson-Roques / Ce qui me meut / Studiocanal Tous droits réservés

Synopsis : Sans se connaître, Rémy Pelletier et Mélanie Brunet habitent dans des immeubles voisins à Paris. Ils partagent néanmoins une même lassitude, une même pression au travail, causée pour l’un par la réorganisation de son entrepôt qui l’oblige à devenir un téléconseiller guère zélé et pour l’autre par l’appréhension de la présentation prochaine de son dossier de recherches médicales auprès d’un panel de décideurs. Face à leurs insomnies récurrentes, ils tentent d’abord les somnifères, sans grand succès, puis se mettent à consulter un psy. Cette thérapie leur permettra, chacun de son côté, d’y voir plus clair sur ce qui ne va pas dans leurs vies respectives.

© Emmanuelle Jacobson-Roques / Ce qui me meut / Studiocanal Tous droits réservés

Chacun cherche son chat

Dans Paris, cette ville si gentiment aseptisée avec chaque quartier supplémentaire cédé au pouvoir d’achat de la génération bo-bo, peu nombreux sont les coins qui restent réellement authentiques. On en trouve encore, au mieux, dans les arrondissements du nord de la capitale, ces 18ème, 19ème et 20ème autrefois décriés comme trop populaires, mais dans lesquels s’accroche désormais l’âme parisienne avec la force du désespoir. Une bonne partie de l’intrigue de Deux moi s’y déroule, avec tout ce que cela implique, a priori, en termes de coloris local dépourvu des clichés les plus affligeants, grâce à l’œil attentif de Cédric Klapisch. Une certaine mixité sociale peut également y être observée, par le biais du maître des entremetteurs l’Arménien Simon Abkarian qui joue un commerçant arabe, privilégiant la qualité des produits et des relations humaines, plutôt que le gain rapide obtenu par une promotion opportuniste. Ce retour aux sources vers des choses qui donnent un sens à la vie se prolonge du côté de la frénésie avec laquelle Mélanie cherche un mec sur les applications de rencontre, avec un résultat plus souvent sinistre que franchement hilarant – la séquence avec un Paul Hamy attachant, mais tout de même un peu superflu –, avant de se ressaisir tant soit peu et de tomber in extremis sur le bon, musique sentimentale et ralenti à l’appui. Or, il n’y a pas grand-chose d’autre qui transmettrait cette sensation d’appartenance temporaire et par conséquent de familiarité avec les personnages au spectateur, adepte des films les plus réussis du réalisateur, ni les séances chez le psy, à mi-chemin entre le poncif et la révélation caricaturale, ni la confrontation jamais tout à fait nette au cercle familial, à l’origine de tant de déformations mentales.

© Emmanuelle Jacobson-Roques / Ce qui me meut / Studiocanal Tous droits réservés

Menu Cheese dans une bulle

Nous n’avons même pas encore évoqué notre point de frustration principal avec ce film, en dehors de cet incessant jeu du chat et de la souris cité plus haut, un enchaînement de prétextes pour faire perdurer une prémisse passablement artificielle, basée sur la nécessité de voir les protagonistes faire des choses semblables, sans en tirer forcément les mêmes conclusions. Alors que Ana Girardot convient parfaitement au rôle de l’éternelle romantique, profondément déçue par la gestion de sa vie sentimentale, François Civil dans celui d’un perdant paumé, docile, effacé et en manque de confiance de façon pathologique, nous paraît déjà sensiblement plus problématique. Excusez-nous donc notre subjectivité superficielle, mais c’est un acteur beaucoup trop beau et charmant pour être crédible dans la peau de ce personnage introverti et mal dévergondé. La progression dramatique de ce dernier se voit alors compromise, ses multiples hésitations ne collant point avec l’image du fonceur sympathique à laquelle nous avons tendance à associer l’acteur. Une image que Civil ne réussit pas à détourner subtilement avec son interprétation, qui sonne toujours un peu faux, comme si son talent n’était pas encore en mesure de transcender son physique avantageux. (On vous avait prévenus que notre grille de lecture ne se distinguerait nullement par son objectivité cartésienne.) Au moins des seconds rôles autrement plus savoureux équilibrent tant soit peu les comptes, le couple professionnel de psychiatres à la fois blasés et touchés au plus profond d’eux-mêmes par les confidences de leurs patients, Camille Cottin et François Berléand, en tête.

© Emmanuelle Jacobson-Roques / Ce qui me meut / Studiocanal Tous droits réservés

Conclusion

On n’ira sans doute pas voir Deux moi deux fois ! Pour cela, le treizième film de Cédric Klapisch est trop étroitement attaché à une structure narrative qui ne fonctionne que jusqu’à un certain point. De surcroît, le rôle principal masculin est interprété un peu trop laborieusement par un François Civil peut-être pas encore tout à fait prêt à convaincre dans un tel contre-emploi. Bref, cette histoire sur un amour pris au piège de la boucle d’attente avant le décollage vers l’épanouissement mutuel emprunte bien trop de détours avant son dénouement, pourtant prévisible près de deux heures plus tôt.

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