Entretien réalisé lors de la Comic-con Paris, le 26 octobre. Merci à David Honnorat et Charlotte Demougin pour leur temps !
Ce mercredi sort Movieland, Le guide ultime du cinéma aux éditions Hachette. Si les étals des librairies ne manquent pas de livres permettant de s’initier au cinéma, le livre de David Honnorat est pourtant singulier. Oubliez les « 1000 films à voir avant de mourir » ou les « 100 grands classiques à voir absolument » car Movieland n’est pas de ceux-là. Basé sur une carte imaginaire du même auteur ayant eu un énorme succès l’année dernière sur Kickstarter (financé à près 1200%, qui dit mieux ?), le livre nous embarque dans une cinquantaine de parcours cinéphiliques couvrant un grand spectre d’époques, de genres et de pays. Le postulat de départ est simple : non, la cinéphilie n’est pas composée de blocs immuables d’une part et de films mineurs de l’autre, mais de milliers de films connectés entre eux, la vision de l’un donnant envie d’un voir un autre. Ce n’est pas « Citizen Kane puis les autres » nous expliquait l’auteur lors de notre entretien, et nous sommes totalement d’accord avec lui !
Ainsi, pendant 250 pages, David Honnorat nous emmène sur les traces de plus de 500 films, dans des parcours s’adressant à ceux qui découvrent le cinéma comme à ceux qui sont déjà cinéphiles avertis. Il n’est d’ailleurs pas seul, puisqu’une quinzaine d’autres auteurs, plumes et voix bien connues pour l’auditeur de podcasts et le lecteur de critiques, viennent écrire une poignée de pages selon leur domaine de prédilection. Au cœur de ces parcours, la fameuse carte Movieland, incluse dans l’ouvrage, fascinant objet qui s’inscrit dans la même lignée que beaucoup d’autres projets de son créateur : partager la cinéphilie en la rendant ludique et accessible.
Vous avez cofondé le site Vodkaster et la newsletter Calmos.net, participez au podcast NoCiné et maintenant vous sortez un guide de films, Movieland. D’où vous vient cette envie de partager le cinéma ?
En fait, je pense que j’ai eu une cinéphilie qui a décollé assez tard. Quand j’étais enfant et adolescent, j’aimais beaucoup le cinéma, je regardais beaucoup de films, mais sans forcément aller plus loin que ça, sans dépasser le côté divertissement. A la fin de l’adolescence, il y a eu deux, trois films qui ont fait la bascule, et surtout : j’ai commencé à aller au cinéma tout seul. C’est devenu une passion un peu obsessionnelle de vouloir aller au bout des choses, en partant d’un film d’en découvrir 15 autres, qu’ils soient connectés par les réalisateurs, les acteurs, les motifs visuels, etc. Je n’ai jamais suivi de cursus universitaire, et j’ai construit un peu moi-même ma cinéphilie. J’ai cherché comment justement explorer ça, et à l’époque je me suis retrouvé pas mal confronté à des listes de chefs d’œuvres, des trucs un peu carré, à la fois en libraire et sur internet. J’ai toujours cherché, en réaction à ça, à décomplexer la cinéphilie, à en faire quelque chose de plutôt fun, en essayant de montrer qu’aimer les films c’est avant tout un plaisir. D’ailleurs c’était déjà les ambitions avec Vodkaster d’avoir une approche très ludique et très décomplexée. Là c’est la même chose : permettre aux gens de partir de ce qu’ils aiment, de décentraliser et «déhiérarchiser» le rapport au cinéma. Ce n’est pas « Citizen Kane puis les autres » !
Et du coup, quels sont ces films qui ont déclenché cette fameuse bascule ?
Kill Bill, de Tarantino. C’est à la fin du volume 1 que c’est le coup de foudre, que je me dis « c’est sûr, je veux tout faire en rapport avec le cinéma, en faire mon métier ». Il y a eu plusieurs autres étapes dans ma cinéphilie, avec par exemple des films qui ne m’intéressaient pas ou peu auparavant, et que je me suis mis à redécouvrir : les films de Woody Allen, d’Eric Rohmer ou de Claude Sautet par exemple, que mon père essayait de me montrer plus jeune mais que j’ai commencé à apprécier plus tard. Une chose dont je suis conscient, c’est que ça ne sert à rien de pousser trop tôt ou n’importe comment des films qui sont difficiles d’accès. Ce n’est pas forcément le cinéma critique ou intellectuel avant tout, et en même temps je ne veux pas qu’il y ait de rejet de ce cinéma-là non plus. Par exemple, si Tarantino a été autant important pour moi c’est parce que c’était un cinéaste sans barrières, qui regardait autant des films de Kung fu de la Shaw Brothers que des films d’Éric Rohmer. C’est un peu ma ligne directrice aussi.
D’ailleurs on retrouve dans le livre des parcours plus ou moins difficiles, comment les avez-vous établis ?
Ça peut paraitre assez arbitraire, mais le niveau de difficulté va jouer sur plusieurs choses : la difficulté à trouver des films, éventuellement le coté tout public ou pas, et aussi un aspect qui est qu’on n’est pas forcément tous les soirs prêts à regarder un chef d’œuvre – pour Stalker de Tarkovski, il faut quand même un peu s’échauffer, se mettre dans l’ambiance !
Pour en revenir à la carte elle-même, qui est au cœur du livre, vous avez fait un Kickstarter qui a eu beaucoup de succès. Le projet d’en faire un livre était déjà là où en découle ?
L’idée de faire un livre était là dès le début, puisqu’en j’en parlais déjà dans le descriptif du projet, en disant « si vous êtes éditeur, contactez-moi ! ». Il se trouve que Jean Baptiste Roux, l’éditeur d’Hachette avec qui j’ai travaillé, m’a contacté alors que la campagne état en cours. J’ai eu un certain nombre de contact d’éditeurs qui étaient intéressés par le projet, et finalement je suis parti avec le premier qui m’a contacté, avec qui je m’entendais bien et qui me semblait comprendre le projet. Evidemment il fallait que la carte soit disponible à l’intérieur (elle est pliée à la fin, et traduite en français alors que celle sur Kickstarter était en anglais). Il y a aussi l’index, où l’on retrouve tous les films référencés, avec des petites cases à cocher et des coordonnées pour les retrouver. Il y a eu des choix éditoriaux, et l’idée était de se dire « on va faire des itinéraires à l’intérieur de la carte » : comme la carte est normalement conçue de manière efficace et logique par thèmes, si l’on suit un itinéraire d’une dizaine de films, on va couvrir une thématique. Il y a des chapitres sur les films de boxes, sur les nanars, sur les films sur la foi … Le sommaire montre bien le principe : j’ai essayé de tracer des itinéraires partout sur la carte pour pouvoir couvrir des thématiques assez différentes. En tout on arrive à 50 itinéraires sur plus de 1800 films, donc il y a des très gros films par lequel aucun itinéraire ne passe, Le Parrain ou 2001 par exemple … Il faudra faire un tome 2 ! En tout cas, ça couvre à peu près tous les genres.
Ce qui m’a surpris par rapport au concept de la carte, c’est la quantité de texte que l’on retrouve dans le guide. Combien de temps avez-vous passé à le rédiger ?
En temps effectif je ne saurais pas exactement, mais il y a en gros 6 à 8 mois de rédaction. J’ai rédigé la moitié des chapitres, et pour l’autre moitié j’ai essayé de chercher des experts de chaque thématique. Par exemple, on a Arnaud Bordas (NoCiné, Capture Mag, Le Figaro magazine) sur les films de monstres, Jacky Goldberg (Les Inrocks) sur les comédies américaines, Anna Marmiesse (All that Jazz) sur les comédies musicales, François Cau (Nanarland) a écrit un parcours sur les nanars … En général, les livres du genre sont beaucoup plus illustrés, et on a justement choisi de ne pas utiliser de photogrammes pour jouer ce rôle de guide. C’est un bouquin que j’aurais aimé avoir dans les mains à 13-14 ans, pour me laisser un peu guider, passer d’un film que je connais à un dont je n‘ai jamais entendu parler, et qui au regard de la connexion m’apportait quelque chose en plus.
J’imagine que vous avez des parcours plus ou moins fétiches, et au contraire des parcours que vous avez envisagé mais finalement pas intégré ?
Deux parcours m’ont bien plu. Un pas évident à écrire, qui va de Fenêtre sur cour à Caché. C’est un parcours sur le voyeurisme au cinéma, et sur d’autres formes de psychoses. Il me semble intéressant car c’est une thématique doublée par le principe même du cinéma, avec des connexions intéressantes par exemple entre les films de Hitchcock et de De Palma. On peut avoir vu certains films du parcours, et ne pas forcément avoir fait de lien entre les films. Pareil, l’itinéraire sur la foi, qui va de Stalker à Tree of life, connecte des films de genre et de niveau de notoriété assez différents : on passe à un moment de Contact de Zemeckis à L’évangile selon st Matthieu de Pasolini. Globalement, j’ai pris beaucoup de plaisir à me replonger dans les films pour rédiger l’itinéraire, et a faire l’effort d’expliciter des connexions que j’avais parfois fait intuitivement sur la carte. J’espère qu’il y aura ce côté un peu communicatif, que le lecteur se plongera dedans et se laissera embarquer dans le voyage à chaque fois.
Pour conclure, vous avez des futurs projets après ce livre qui vous a pris beaucoup de temps ?
J’attends un petit peu de voir comment se passe la sortie, j’ai pas mal d’idées un peu conceptuelles dérivées du projet. Cela étant, je continue des projets que je fais dans d’autres domaines, notamment la newsletter Calmos (avec Hugo Alexandre). On fait une série d’analyses vidéo de comédies françaises (Rigolo, disponible sur Youtube) qui nous prend énormément de temps, et en même temps c’est un exercice que j’aime beaucoup. !
D’ailleurs, vous comptez faire un futur Calmos Rigolo Club [cinéclub dont le premier événement était consacré à La personne aux deux personnes et Que les gros salaires lèvent le doigt] ?
On espère pouvoir le faire très bientôt, on a des problèmes de dates avec la salle et pour trouver certaines copies. On aurait voulu le reprendre en novembre, mais j’espère que ça va revenir très vite. Ça nous plait de rencontrer les gens qui nous suivent, et montrer des comédies françaises dans cette ambiance ne se fait pas tant que ça. On aimerait bien trouver un petit public à fidéliser autour de ça !