Certains réalisateurs sont reconnus pour une filmographie abondante, riche, variée en multiples coups d’éclats qui les ont ancré dans l’Histoire du 7ème Art grâce à une œuvre s’étalant sur plusieurs décennies. D’autres ont été des météorites, un passage et c’est tout, un long-métrage et un seul leur permettant d’atteindre une forme d’immortalité à plus ou moins grande échelle, même si certains ont en tourné plusieurs, Charles Laughton avec La Nuit du chasseur (même s’il a une grande carrière comme acteur) ou Leonard Kastle avec Les Tueurs de la lune de miel pour n’en citer que deux. Disparu en cette journée meurtrière du 2 juillet 2016 à l’âge de 86 ans, comme Elie Wiesel, Michel Rocard et Michael Cimino, l’anglais Robin Hardy appartenait à cette dernière catégorie. Son film emblématique (il en tournera deux autres) : le païen The Wicker Man ou Le Dieu d’osier en français (un titre rarement utilisé dans les cercles de cinéphiles) que Christopher Lee, lui-même disparu en mai 2015, revendiquait comme l’un de ceux dont il était le plus fier, y voyant un renouveau dans son parcours de vampire gothique pour la Hammer. Il y incarne un inquiétant gourou à le tête d’une communauté sur laquelle enquête un policier chaste et puritain joué par Edward Woodward.
C’est en 1973 que Robin Hardy, alors déjà âgé de 40 ans tourne ce premier long-métrage, en grande partie en Écosse, avec quelques plans aériens filmés en Afrique du Sud. Notre rédacteur de Vera Cruz, David Huriot, évoquait ainsi en septembre dernier, lors de notre compte-rendu sur le FEFFS (le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg), The Wicker Man :
«Lee incarne Lord Summerisle, patriarche de l’île éponyme, endroit où se livrent des cultes païens et même des sacrifices rituels. C’est là que se rend le sergent Neil Howie, informé par lettre de la disparition d’une jeune fille, Rowan. Chaste et puritain, réagissant violemment aux « vices » des habitants du village et soupçonnant la population de cultiver le mystère et les soupçons, il mène son enquête, dans l’espoir que Rowan soit toujours en vie. L’expression « film culte » sied parfaitement à ce joyau qu’est The Wicker Man. Écrit par Anthony Shaffer et concluant pour le scénariste une trilogie de la manipulation après Le Limier de Joseph L. Mankiewicz et Frenzy d’Alfred Hitchcock, le film est amputé de plusieurs scènes puis victime d’une mauvaise sortie qui l’empêche de rencontrer son public en 1973. De plus, Rod Stewart, compagnon de Britt Ekland, rachètera les copies du film, au prétexte que cette dernière y apparaît nue… Aujourd’hui, alors que le métrage est encore méconnu en France, il bénéficie d’une aura culte, tant par son sujet et son étrangeté dans le cinéma d’horreur que pour la magnifique musique folk psychédélique de Paul Giovanni. Unique en son genre et n’ayant aucun descendant direct, The Wicker Man est une œuvre étrange et singulière, commençant presque comme un joli film champêtre, chansons populaires (et grivoises) et atmosphère psychédélique à l’appui. Il bascule peu à peu dans le mystère pour culminer dans un final grandiose et d’une horreur pure, tout en cultivant (de part l’attitude des habitants de Summerisle) un décalage certain et inhabituel dans le cinéma d’épouvante, faisant naître peu à peu le malaise chez son spectateur. Portée par l’interprétation tout aussi ambiguë de Christopher Lee dans le rôle le plus atypique de sa carrière, il s’agit d’une véritable perle méconnue du cinéma britannique des années 1970, gagnant au fil des années un culte de plus en plus grandissant, perpétué par un final absolument mythique, dix minutes de folie et d’effroi que vous n’oublierez probablement jamais.»
De cet ovni, l’on retient aussi la danse érotique et malaisante dans deux pièces différentes qui se jouxtent, entre Edward Woodward et la magnifique Britt Ekland, une séquence musicale étonnante, entre ridicule et sublime. La comédienne d’origine suédoise est doublée par l’actrice et chanteuse de jazz Annie Ross, surtout remarquée dans Short Cuts de Robert Altman où elle est la mère de Lori Singer. Diane Cilento et Ingrid Pitt font elles aussi de très belles apparitions.
C’est au réalisateur que l’on doit l’apparence inédite de Christopher Lee comme il l’expliquait au Huffington Post : «Il portait sa coupe habituelle, ce qui le rendait immédiatement reconnaissable. Mais je ne voulais pas qu’il ressemble à cela, et donc je l’ai dessiné avec cette touffe de cheveux qu’il arbore dans le film, ce qui altérait complètement son apparence, lui donnant un air plus romantique que simplement sinistre. Plus tard, alors que je dirigeais une scène, je vois un type faire des va-et-vient en me fixant du regard. J’ai du lui dire de dégager ou quelque chose dans le genre. Le type s’est approché de moi et m’a dit : ‘Tu ne me reconnais pas ?’. C’était lui qui ressemblait trait pour trait à mon dessin».
Après ce coup de maître, il ne réalise que deux autres films : le thriller Angoisse à Dublin en 1986 avec Timothy Bottoms puis The Wicker Tree en 2011, plutôt mal reçu de ses rares spectateurs. Christopher Lee fait une brève apparition dans cette adaptation du propre roman de Hardy, Cowboys for Christ, une suite plus thématique (le paganisme toujours) que dramatique. Il espérait tourner début 2016 The Wrath of the Gods, un dernier opus dans l’idée de rendre hommage à son acteur, lançant une campagne de financement participatif via Indiegogo. Il parle de ce projet, qui n’a finalement pas mené à son terme, dans une interview pour le site FlickFeast en 2013. «Les films sont identiques uniquement par le genre auquel ils appartiennent. Les deux premiers adoptent avant tout le point de vue de gens qui vénèrent des divinités de façon extrême. Je voulais vraiment tourner un autre film où des dieux seraient le point central de l’intrigue. Et c’est ce que j’espère faire ici». Son intrigue : une compagnie californienne tente de créer un parc d’attractions autour de dieux nordiques. L’opposition se noue entre des hommes d’affaires venus de Californie et les descendants de Vikings qui croient encore au surnaturel. Le site promettait une fin aussi radicale que pour The Wicker Man. Dans l’intervalle entre deux films, il travaille sur des romans, peint des tableaux et réalise des publicités. Il a aussi signé le scénario d’un autre thriller, Forbidden Sun avec Lauren Hutton et Cliff De Young en 1989.
Le destin de ce classique du fantastique est finalement impressionnant, les distributeurs et producteurs ne croyant pas à son potentiel dans un premier temps, refusant de le sortir en salles. Fâché de cette situation car fier de sa prestation, Christopher Lee, comme le raconte Robin Hardy dans un entretien à Britflicks.com a accompagné le film en France où il fut accueilli avec enthousiasme au Festival international du film fantastique et de science-fiction de Paris en 1974, où il remporta la Licorne d’or. Ce Grand Prix lance la carrière du Wicker Man mais le film est présentée en Angleterre dans une version raccourcie pour pouvoir être programmé en double programme avec Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg. Ce n’est qu’en 2011 que fut présentée pour de bon la version voulue par le cinéaste.
L’influence de cette œuvre se ressent encore dans le cinéma international en général et anglais en particulier, ne citons que les récents Kill List de Ben Wheatley pour l’une des plus marquantes surprises narratives de ces dernières années mais aussi en France dans Rosalie Blum de Julien Rappeneau mais de façon détournée. Edgar Wright lui a rendu hommage sur son compte Twitter : «R.I.P Robin Hardy, réalisateur de The Wicker Man, une influence énorme dans le cinéma d’horreur. Sans lui, Hot Fuzz n’aurait jamais existé». On retrouve d’ailleurs dans la distribution de cette comédie de la trilogie Cornetto (avec Shaun of the Dead et Le Dernier Pub avant la fin du monde), l’acteur Edward Woodward dans une prestation mémorable, son dernier grand rôle avant son décès en 2009. Le clip de Burn the Witch du groupe Radiohead en est aussi très largement inspiré. Passons aimablement sous silence la purge avec Nicolas Cage tournée par Neil LaBute en 2007, un remake déplorable et sans le même esprit démoniaque et troublant. Joe Dante a twitté, avec une ironie cinglante, ces quelques mots : « RIP Robin Hardy, réalisateur de THE WICKER MAN (celui qui est réussi). Toujours à ce jour l’un des films d’horreur les plus uniques et dérangeants jamais tournés. »
L’université de Malte, cité par Variety, a salué de façon lyrique sa disparition : «Nous garderons chaleureusement en mémoire ces moments uniques et nous vous remercions, M. Hardy, pour ce magnifique cadeau […]. Les flammes ardentes du Dieu d’osier […] brûleront à jamais dans les forêts de nos nuits. Son feu ne s’éteindra jamais».
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