L’auteur de Qui a peur de Virginia Woolf ? est décédé à l’âge de 88 ans dans l’état de New-York. Sa pièce, créée en 1962, avait remporté le prix de la meilleure pièce de théâtre aux Tony Awards. Nommée pour le Prix Pulitzer, elle avait été jugée trop controversée pour recevoir le prix. Mike Nichols l’a adaptée pour le cinéma en 1966 avec Elizabeth Taylor et Richard Burton dans les rôles principaux, ceux de Martha et George, un couple au bord du déchirement définitif, elle fille du doyen d’une université, lui enseignant émérite. Ils se disputent constamment, leur addiction à l’alcool ne faisant qu’exacerber leur affrontement impitoyable. Ce soir là un jeune couple, Nick et Honey, incarnés dans cette même version par Sandy Dennis et George Segal, sont les témoins de leur dérive. Via les engueulades physiques et morales de ces quinquagénaires amers et vieillissants, observés sans concession, il signe une charge virulente contre les soit-disant idéaux américains et les apparences à préserver envers et contre tout.
Le site Deadline évoque une interview donnée par Mike Nichols pour HBO. «Lorsque j’ai découvert Virgina Woolf, j’ai été choqué, comme paralysé. Je n’avais jamais vu une pièce comme celle-là». Passer à la réalisation avec cette adaptation était comme une évidence. Lors de sa création, il jouait lui-même sur scène avec Elaine May, avec laquelle il formait un duo de comédie et juste à côté Richard Burton jouait la pièce Camelot. Ils ont alors sympathisé. Deux ans plus tard, en apprenant qu’Elizabeth Taylor avait été engagée pour la version cinéma, il l’a contactée en disant qu’il devait réaliser ce film ce à quoi elle a répondu positivement. «J’ai donc engagé Burton car ils en étaient déjà arrivés là, tous les deux». Les correspondances entre la vie privée houleuse du couple Taylor/Burton sont déjà bien connus de tous à l’époque. «Ces gens, dans la pièce, s’aiment, et eux aussi s’aimaient… mais ils avaient des problèmes…».
Pour son premier long-métrage, Mike Nichols s’impose déjà comme l’un des plus importants satiristes au cinéma de sa génération. Le film obtient un nombre record de citations (14) en remportant cinq, meilleure actrice (Elizabeth Taylor), second rôle féminin (Sandy Dennis) et trois prix techniques : décors, costumes et photo noir et blanc, ces trois catégories à l’époque étant distinctes pour les films en couleur et les autres. Mike Nichols, battu dans la catégorie du meilleur réalisateur par Fred Zinnemann pour Un homme pour l’éternité, se rattrapera deux ans plus tard avec Le Lauréat, un autre tour de force. L’adaptation est signée par un grand nom, Ernest Lehman, le scénariste, entre autres, de La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock, Sabrina de Billy Wilder et West Side Story de Robert Wise et Jerome Robbins, trois autres grandes histoires d’amour contrariées (non ?).
L’influence de l’auteur sur l’évolution du théâtre américain du Xxème siècle est souvent comparée à ses illustres aînés qu’étaient Eugene O’Neill, Arthur Miller ou Tennessee Williams, par l’audace du contenu, les allusions sexuelles ou les critiques de la religion et du rêve américain (American Dream étant d’ailleurs le titre d’une de ses pièces). Après ses débuts en 1958 avec Zoo Story, on lui doit également, entre autres, Le Tas de sable en 1959, Délicate Balance en 1966, Seascape en 1974, Trois femmes grandes en 1991 (ces trois dernières lui permettant de remporter le Prix Pulitzer) ainsi que La Chèvre, ou Qui est Sylvia ? en 2002 pour laquelle il reçoit son deuxième Tony de la meilleure pièce. En 2005, il reçoit un troisième trophée pour l’ensemble de sa carrière. En 2010, la Writers Guild of America lui remet également un prix honorifique.
Les autres adaptations de ses œuvres ont été moins marquantes, notamment celles pour le cinéma de Délicate Balance par Tony Richardson en 1973, avec Katharine Hepburn et Paul Scofield et de The Ballad of the Sad Cafe par l’acteur Simon Callow en 1991, avec Vanessa Redgrave et Keith Carradine. En France, ses pièces les plus souvent jouées sont Délicate Balance et évidemment Virginia Woolf dont l’une des plus célèbres récemment était celle qui réunissait Niels Arestrup et Myriam Boyer dirigés par John Berry. La relation est pour le moins houleuse entre les deux comédiens et Myriam Boyer quitte la pièce précipitamment. Elle recevra néanmoins son premier Molière pour sa prestation. En 2016, la pièce est mise en scène par Alain Françon avec Dominique Valadié et Wladimir Yordanoff, ce dernier recevant son premier Molière en tant que comédien.