Le chef opérateur italien Giuseppe Rotunno est décédé avant-hier à Rome. Il était âgé de 97 ans. L’un des plus grands créateurs d’images du cinéma italien, Rotunno avait collaboré de façon soutenue avec les réalisateurs Luchino Visconti et Federico Fellini, respectivement sept et huit fois. En dehors de son apport essentiel aux chefs-d’œuvre que sont Le Guépard et Amarcord, il avait de même éclairé les univers de cinéastes aussi respectés que Dino Risi, Mario Monicelli, Stanley Kramer, Martin Ritt, Valerio Zurlini, John Huston, Mike Nichols, Lina Wertmüller, Bob Fosse, Robert Altman, Fred Zinnemann, Richard Fleischer, Terry Gilliam, Sydney Pollack et Dario Argento.
Après des débuts comme photographe de plateau avant la guerre, Giuseppe Rotunno avait d’abord appris son métier en tant que cadreur sur une dizaine de films au cours de la première moitié des années 1950. A cette époque, il avait croisé une première fois le chemin de Luchino Visconti pour Senso, ainsi que celui de Vittorio De Sica (Umberto D.), de Mario Soldati (La Marchande d’amour) et de Mauro Bolognini (Une fille formidable). C’est en 1955 qu’il accède au rang de chef opérateur sur Pain amour ainsi soit-il de Dino Risi.
Deux ans plus tard, il signe pour la première fois responsable de l’image d’un film de Visconti avec Nuits blanches. Ils feront encore équipe à cinq reprises, sur Rocco et ses frères, Le Guépard – Palme d’or au Festival de Cannes en 1963 – et L’Étranger, ainsi que sur les sketchs mis en scène par Visconti de Boccace 70 et Les Sorcières.
En parallèle, son sens de la lumière et de l’espace avait été mis au service de films italiens ou américains produits en Italie tels que La Blonde enjoleuse de Luigi Zampa, La Maja nue de Henry Koster, Polycarpe Maître calligraphe de Mario Soldati, La Grande guerre – Lion d’or au Festival de Venise en 1959 – et Les Camarades de Mario Monicelli, Le Dernier rivage de Stanley Kramer, Cinq femmes marquées de Martin Ritt, L’Ange pourpre de Nunnally Johnson, Fantômes à Rome de Antonio Pietrangeli, Le Meilleur ennemi de Guy Hamilton, Journal intime de Valerio Zurlini – Lion d’or au Festival de Venise en 1962 –, Hier aujourd’hui et demain de Vittorio De Sica – Oscar du Meilleur Film étranger en 1965 – et La Bible de John Huston.
En 1968, Federico Fellini avait en quelque sorte pris la relève de Visconti en faisant une première fois appel à Giuseppe Rotunno pour son tiers des Histoires extraordinaires. Là aussi, cette collaboration privilégiée fut longue et fructueuse puisque elle comprend Fellini Satyricon, Fellini Roma, Amarcord – Oscar du Meilleur Film étranger en 1975 –, Le Casanova de Fellini, Répétition d’orchestre, La Cité des femmes et Et vogue le navire.
Jusqu’au milieu des années ’80 et la fin de la carrière active de Fellini, le chef opérateur de génie avait de même œuvré pour Edward Dmytryk (La Bataille pour Anzio), Stanley Kramer (Le Secret de Santa Vittoria), Vittorio De Sica (Les Fleurs du soleil), Mike Nichols (Ce plaisir qu’on dit charnel), Arthur Hiller (L’Homme de La Manche – qui vient donc de perdre en l’espace de quelques jours son producteur Alberto Grimaldi, son chef opérateur, ainsi que son monteur Robert C. Jones), Lina Wertmüller (Film d’amour et d’anarchie), Sergio Corbucci (Deux grandes gueules), Bob Fosse (Que le spectacle commence – Palme d’or au Festival de Cannes en 1980), Robert Altman (Popeye), Alan J. Pakula (Une femme d’affaires) et Fred Zinnemann (Cinq jours ce printemps là).
Les quinze dernières années de son illustre carrière, jusqu’en 1997, Giuseppe Rotunno les avait mises à profit afin d’apporter son incomparable expertise visuelle entre autres à Kalidor La Légende du talisman de Richard Fleischer, Rent-a-Cop Assistance à femme en danger de Jerry London, Haunted Summer de Ivan Passer, Les Aventures du baron de Munchausen de Terry Gilliam, A propos d’Henry et Wolf de Mike Nichols, Sabrina de Sydney Pollack et Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento.
Giuseppe Rotunno a été nommé une seule fois à l’Oscar de la Meilleure photo en 1980 pour Que le spectacle commence. Le même film lui avait valu un BAFTA l’année suivante, alors que l’Académie britannique l’avait déjà nommé une première fois en 1978 pour Le Casanova de Fellini. Pendant un quart de siècle, de 1988 à 2013, il avait enseigné son art au Centro Sperimentale di Cinematografia à Rome. Enfin, la Cinémathèque Française lui avait rendu hommage en sa présence lors d’une rétrospective en vingt films au printemps 2006.