Elle avait de beaux yeux, on le sait. L’actrice française Michèle Morgan est décédée ce matin. Elle était âgée de 96 ans. L’une des dernières grandes icônes du cinéma français des années 1930, ’40 et ’50, aux côtés de ses contemporaines Micheline Presle et Danielle Darrieux, Morgan s’était imposée dès l’un de ses premiers films, Le Quai des brumes de Marcel Carné et donc cette réplique mythique susurrée par Jean Gabin. Après quelques autres films importants avant-guerre, comme Remorques de Jean Grémillon, et des succès populaires après-guerre, elle s’était retirée du grand écran depuis plus de quarante ans. Elle sera inhumée le vendredi 23 décembre à 12h30 au cimetière du Montparnasse à Paris.
Michèle Morgan a fait ses premiers pas devant la caméra dès le milieu des années ’30, dans des rôles et des films mineurs comme Mademoiselle Mozart, Mes tantes à moi et Gigolette de Yvan Noé. Ses prestations dans Gribouille et Orage de Marc Allégret lui valent le premier rôle féminin dans Le Quai des brumes de Marcel Carné. Par la suite, elle joue dans Le Récif de corail de Maurice Gleize, Les Musiciens du ciel de Georges Lacombe, La Piste du Nord de Jacques Feyder, Remorques de Jean Grémillon et Untel père et fils de Julien Duvivier, avant de s’exiler au début des années ’40 à Hollywood, où un contrat de la RKO l’attend.
Son expérience outre-Atlantique est pourtant des plus frustrantes, puisque elle se distingue plus par des rôles qu’elle a échoué de décrocher, entre autres celui de Joan Fontaine dans Soupçons de Alfred Hitchcock et celui de Ingrid Bergman dans Casablanca de Michael Curtiz, que par les quelques modestes films dans lesquels elle a pu y tourner jusqu’à la fin de la guerre, dont Jeanne de Paris de Robert Stevenson, Amour et swing de Tim Whelan et Passage à Marseille de Michael Curtiz.
Son retour en France a été couronné par une reconnaissance publique plutôt durable, grâce à La Symphonie pastorale et Aux yeux du souvenir de Jean Delannoy, Première désillusion de Carol Reed outre-Manche, Fabiola de Alessandro Blasetti en Italie, La Belle que voilà de Jean-Paul Le Chanois, ainsi qu’à partir des années ’50 Maria Chapdelaine de Marc Allégret, Le Château de verre de René Clément, L’Etrange Madame X de Jean Grémillon, La Minute de vérité, Obsession et Marie-Antoinette de Jean Delannoy, Les Orgueilleux et Oasis de Yves Allégret, Napoléon et Si Paris nous était conté de Sacha Guitry, Les Grandes manœuvres de René Clair, Marguerite de la nuit de Claude Autant-Lara, Retour de manivelle de Denys De La Patellière, Le Miroir à deux faces de André Cayatte, Maxime de Henri Verneuil, Pourquoi viens-tu si tard ? de Henri Decoin et Grand Hôtel de Gottfried Reinhardt.
Considérée par les jeunes critiques des Cahiers du Cinéma comme la figure de proue de la détestée « qualité française », Michèle Morgan a forcément raté son rendez-vous avec la Nouvelle vague, apparaissant néanmoins pendant les années ’60 dans des films tels que Les Scélérats et Les Yeux cernés de Robert Hossein, Fortunat de Alex Joffé, Les Lions sont lâchés de Henri Verneuil, Un cœur gros comme ça de François Reichenbach, Landru de Claude Chabrol, Méfiez-vous mesdames de André Hunebelle, Le Petit boulanger de Venise de Duccio Tessari, Les Centurions de Mark Robson et Benjamin ou les mémoires d’un puceau de Michel Deville. Après un seul film au cours des années ’70, Le Chat et la souris de Claude Lelouch, l’actrice s’était tournée vers la télévision et le théâtre, à l’exception d’une toute dernière apparition en 1990 dans Ils vont tous bien de Giuseppe Tornatore.
Michèle Morgan avait gagné le tout premier prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes en 1946 pour La Symphonie pastorale. Elle y avait occupé le poste prestigieux de présidente du jury en 1971, en tant que première actrice française, avant Jeanne Moreau, Isabelle Adjani et Isabelle Huppert. Son jury avait décerné la Palme d’or au Messager de Joseph Losey. Le Festival de Venise, quant à lui, lui avait rendu hommage avec un Lion d’or d’honneur en 1996, tout comme l’Académie du cinéma française avec un César d’honneur quatre ans plus tôt. Elle a entre autres été mariée avec le réalisateur Gérard Oury, jusqu’à la mort de ce dernier en juillet 2006.