L’actrice française Jeanne Moreau est décédée ce matin à Paris. Elle était âgée de 89 ans. Sa femme de ménage l’aurait retrouvée sans vie dans son appartement de la rue du Faubourg Saint-Honoré, près de la Place des Ternes. C’est ainsi que se termine la vie d’une icône, voire d’une déesse du cinéma français et mondial, qui avait laissé surtout son empreinte sur la deuxième moitié du siècle dernier. Actrice de génie, bohémienne, image de marque d’une France libérée et stylée, Jeanne Moreau avait tourné avec les plus grands metteurs en scène de son époque en plus de cent films.
Pensionnaire de la Comédie française à ses débuts, Jeanne Moreau apparaît dans son premier film en 1949 : Dernier amour de Jean Stelli. Elle enchaîne rapidement les rôles, dans des films plutôt populaires, comme Meurtres de Richard Pottier aux côtés de Fernandel, Dortoir des grandes et Les Intrigantes de Henri Decoin, Julietta de Marc Allégret, Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, La Reine Margot de Jean Dréville, Gas-oil, Echec au porteur et Trois jours à vivre de Gilles Grangier, Le Salaire du péché de Denys de La Patellière et Le Dos au mur de Edouard Molinaro. En 1957 et ’58, elle tourne deux films majeurs avec Louis Malle, qui la propulseront sur le devant de la scène du cinéma international, Ascenseur pour l’échafaud et Les Amants. Grâce à ce coup double, elle deviendra l’une des actrices les plus recherchées des années 1960.
Après son passage anecdotique dans Les 400 coups de François Truffaut, elle collabore donc en France et à l’étranger avec les maîtres du cinéma de l’époque, à savoir Roger Vadim (Les Liaisons dangereuses 1960), Martin Ritt (Cinq femmes marquées), Peter Brook (Moderato cantabile), Michelangelo Antonioni (La Nuit), François Truffaut (Jules et Jim et La Mariée était en noir), Joseph Losey (Eva), Orson Welles (Le Procès, Falstaff et Une histoire immortelle), Jacques Demy (La Baie des anges), Louis Malle (Le Feu follet et Viva Maria), Marcel Ophüls (Peau de banane), Luis Buñuel (Le Journal d’une femme de chambre), John Frankenheimer (Le Train), Jean-Louis Richard (Mata Hari Agent H 21 et Le Corps de Diane), Anthony Asquith (La Rolls-Royce jaune) et Tony Richardson (Mademoiselle et Le Marin de Gibraltar).
Léger changement de cap pour l’actrice dès lors mythique dans années 1970, pendant lesquelles elle a collaboré avec son amie Marguerite Duras (Nathalie Granger), tout en participant à Chère Louise de Philippe De Broca, Les Valseuses de Bertrand Blier, La Race des Seigneurs de Pierre Granier-Deferre, Jeanne la Française de Carlos Diegues, Le Jardin qui bascule de Guy Gilles, Souvenirs d’en France de André Téchiné, Monsieur Klein de Joseph Losey – César du Meilleur Film en 1977 – et Le Dernier nabab de Elia Kazan. C’est également pendant cette période qu’elle réalise ses deux premiers films : Lumière avec Lucia Bosé et L’Adolescente avec Edith Clever.
Puis vint le temps des seconds rôles plus ou moins prestigieux, dans des films tels que Plein sud de Luc Béraud, Mille milliards de dollars de Henri Verneuil, Querelle de Rainer Werner Fassbinder, La Truite de Joseph Losey, Le Paltoquet de Michel Deville, Le Miraculé de Jean-Pierre Mocky, Nikita de Luc Besson, Alberto express de Arthur Joffé, La Femme fardée de José Pinheiro, – une parenthèse en haut de l’affiche dans La Vieille qui marchait dans la mer de Laurent Heynemann –, Jusqu’au bout du monde de Wim Wenders, Le Pas suspendu de la cigogne de Theo Angelopoulos, L’Amant de Jean-Jacques Annaud, Cœur de métisse de Vincent Ward, L’Absence de Peter Handke, Les Cent et une nuits de Agnès Varda, Par delà les nuages de Michelangelo Antonioni, La Propriétaire de Ismail Merchant, Amour et confusions de Patrick Braoudé, Un amour de sorcière de René Manzor et A tout jamais Une histoire de Cendrillon de Andy Tennant.
Parmi ses plus beaux rôles de vieillesse à partir du début du siècle, citons Cet amour-là de Josée Dayan, Akoibon de Edouard Baer, Le Temps qui reste de François Ozon, Désengagement, Plus tard tu comprendras et Lullaby to my father de Amos Gitaï, Visage de Tsai Ming-Liang, Gebo et l’ombre de Manoel De Oliveira, Une Estonienne à Paris de Ilmar Raag et Le Talent de mes amis de Alex Lutz.
Jeanne Moreau a été nommée à trois reprises aux César, en tant que Meilleure actrice dans un second rôle pour Le Paltoquet et comme Meilleure actrice dans Le Miraculé et La Vieille qui marchait dans la mer. Elle l’avait gagné pour ce dernier en 1992. Elle est lauréate de deux César d’honneur, décernés en 1995 et 2008. Parmi ses autres prix honorifiques, on compte un Lion d’or à Venise en 1992, le BAFTA Fellowship en 1996, un Ours d’or à Berlin en 2000 et une Palme d’or à Cannes en 2003. Elle a été deux fois la présidente du jury au Festival de Cannes, en 1975 et 1995, attribuant respectivement ses Palmes d’or à Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar Hamina et Underground de Emir Kusturica. Elle avait occupé le même poste prestigieux au Festival de Berlin en 1983, décernant alors l’Ours d’or ex aequo à Ascendancy de Edward Bennett et La Ruche de Mario Camus. Elle a été mariée aux réalisateurs Jean-Louis Richard et William Friedkin. Enfin, il lui est aussi arrivé de chanter, notamment à travers « Le Tourbillon de la vie » de Jules et Jim.