C’est un monument du cinéma français qui nous quitte avec la disparition ce matin à Paris de la réalisatrice belge Agnès Varda, des suites d’un cancer. Elle était âgée de 90 ans. Pionnière de la Nouvelle Vague et artiste cinématographique accomplie, Varda était autant à l’aise dans la fiction, avec Cléo de 5 à 7 et Sans toit ni loi, que du côté du documentaire, dont elle était l’une des figures les plus importantes au niveau mondial, ne serait-ce que grâce à ses chefs-d’œuvre de ce siècle-ci que sont Les Glaneurs et la glaneuse, Les Plages d’Agnès et Visages villages. Mariée au réalisateur légendaire Jacques Demy, Agnès Varda a su, à l’image de son compagnon, créer une filmographie riche et foisonnante, un regard d’une personnalité saisissante sur l’époque, la sienne et la nôtre, qui manquera amèrement au paysage cinématographique français !
En incontournable figure de proue digne et modeste du féminisme avant l’heure, Agnès Varda avait réalisé son premier film en 1955, La Pointe courte avec Philippe Noiret. C’est son deuxième film de fiction, tourné sept ans plus tard, qui allait la propulser au firmament des meneurs de la Nouvelle Vague, le récit en temps réel Cléo de 5 à 7 avec Corinne Marchand, suivi par le faussement bucolique Le Bonheur et le plus austère Les Créatures avec Catherine Deneuve et Michel Piccoli. Par la suite de plus en plus active dans le domaine du documentaire, la réalisatrice avait toutefois trouvé le temps de tourner encore quelques longs-métrages de fiction remarquables, tels que l’engagé L’Une chante l’autre pas, le drame social Sans toit ni loi avec Sandrine Bonnaire, Kung-fu Master avec Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg, l’hommage à Jacques Demy Jacquot De Nantes et enfin l’hommage au cinéma tout court, Les Cent et une nuits de Simon Cinéma avec Michel Piccoli et Marcello Mastroianni.
Dès ses débuts, Agnès Varda avait fait preuve d’une incroyable curiosité à l’égard du documentaire, qui s’était manifestée d’abord à travers des courts-métrages comme Ô saison ô châteaux sur les châteaux de la Loire en 1958 ou encore en 1966 Elsa la rose sur l’amour de l’écrivain Louis Aragon pour sa femme Elsa Triolet. Après avoir participé l’année suivante au film collectif Loin du Vietnam aux côtés de Jean-Luc Godard, Alain Resnais et Chris Marker, entre autres, et avoir continué à explorer des sujets fort divers par exemple dans Black Panthers, elle avait réalisé son premier long-métrage documentaire en 1976, Daguerréotypes sur les marchands de son quartier dans le 14ème arrondissement de Paris. Après Mur murs au début des années ’80 sur les peintures murales à Los Angeles et son double coup de chapeau à Jacques Demy dans les années ’90 avec Les Demoiselles ont eu 25 ans et L’Univers de Jacques Demy, le travail de Agnès Varda avait connu une véritable renaissance à partir des années 2000. Dans Les Glaneurs et la glaneuse et sa suite Les Glaneurs et la glaneuse Deux ans après, Les Plages d’Agnès, Visages villages et Varda par Agnès, présenté cette année hors compétition au Festival de Berlin, elle avait en effet su perfectionner son style de l’observation espiègle, profondément personnelle, mais jamais narcissique.
En tant qu’icône du cinéma mondial, Agnès Varda a évidemment cumulé les distinctions à travers la planète. Nommée à l’Oscar du Meilleur documentaire pour Visages villages en 2018, elle avait obtenu un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son œuvre l’automne précédent. Les César étaient un peu plus généreux à son égard, puisque à partir de ses six nominations, elle en a gagné deux, pour le Meilleur court-métrage documentaire Ulysse en 1984 et pour le Meilleur Documentaire Les Plages d’Agnès en 2009, ainsi qu’un César d’honneur en 2001. Le Festival de Cannes lui avait attribué une Palme d’or honorifique en 2015, tandis qu’à celui de Berlin, elle avait gagné le Prix spécial du jury en 1965 pour Le Bonheur et à celui de Venise le Lion d’or pour Sans toit ni loi en 1985. Parmi ses autres distinctions d’honneur, on peut citer le Léopard du Festival de Locarno et le European Film Award, tous les deux obtenus en 2014. La Cinémathèque Française lui a rendu hommage pas plus tard qu’en janvier dernier, à travers un cycle intitulé « Quinze jours avec Agnès Varda ». Elle était mariée avec le réalisateur Jacques Demy, décédé en 1990, avec qui elle a eu un fils, l’acteur Mathieu Demy (« Le Bureau des légendes »).