Né en 1922, Dick Smith est décédé ce mercredi 30 juillet à l’âge de 92 ans. Il était l’un des plus grands noms de sa profession et fut honoré à ce titre par deux oscars, le premier pour Amadeus de Milos Forman en 1984 et le deuxième en 2011 pour l’ensemble de sa carrière qui lui fut remis par son meilleur successeur Rick Baker qui a d’ailleurs honoré sa mémoire sur son compte twitter : « Notre maître est parti. Mon ami et mentor Dick Smith n’est plus parmi nous. Le monde ne sera plus jamais le même. »
Sur la page d’accueil officiel de Dick Smith, on peut aussi lire ces mots : « Il n’y aura jamais un autre Dick Smith. Il est, sans le moindre doute, le plus grand maquilleur qui a ou aura jamais vécu. «
Sa carrière au cinéma
Il a marqué de son empreinte des films d’horreur mais aussi le cinéma traditionnel. On lui doit ainsi les transformations homériques de Linda Blair et de vieillissement de Max Von Sydow dans L’Exorciste de William Friedkin et L’Exorciste 2 de John Boorman ainsi que quelques effets de maquillages dans Scanners de David Cronenberg et dans Fury de Brian De Palma mais a priori pas pour les explosions des têtes de Michael Ironside dans le premier ou de John Cassavetes dans le deuxième. Dans Starman de John Carpenter, il crée la séquence de ‘renaissance’ accélérée de la créature extraterrestre qui s’approprie le corps de Jeff Bridges.
On retiendra ses effets de vieillissement (sa marque de fabrique) de F.Murray Abraham dans Amadeus ou d’un Dustin Hoffman âgé de 121 ans dans Little Big Man d’Arthur Penn, un acteur avec lequel il venait déjà de travailler sur Macadam Cowboy de John Schlesinger en créant ses traits du drogué usé Ratso.
Plus spectaculaire encore, celui de David Bowie dans Les Prédateurs de Tony Scott ou au contraire plus discret de Jack Lemmon dans Mon père (Dad) de Gary David Goldberg pour lequel il obtint une deuxième citation aux Oscars en 1990.
Il a travaillé sur le maquillage facial minimaliste mais inoubliable de Marlon Brando dans Le Parrain de Francis Ford Coppola, retravaillant ensuite sur le deuxième volet de la saga, créant également des blessures par balles (le massacre de JamesCaan par exemple) et autres effets sanglants grâce à sa recette personnelle reprise depuis par tous les professionnels, comme Greg Nicotero par exemple sur la série The Walking Dead. Dans Taxi Driver de Martin Scorsese, il crée la coupe iroquoise de Robert de Niro, dont il supervisera le maquillage sur Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino. Le garrot mortel de Roy Scheider dans Marathon Man de John Schlesinger ou le visage oscarisé de Jeremy Irons dans Le Mystère Von Bulow de Barbet Schroeder, c’est encore lui, tout comme les quelques postiches de Sylvester Stallone & co dans Les Faucons de la nuit de Bruce Malmuth.
Autres effets de vieillissement, ceux de Walter Matthau dans Ennemis comme avant de Herbert Ross, de Marlon Brando dans La Formule de John G. Avildsen, de L’Honneur des Prizzi de John Huson et dans Everybody’s All American de Taylor Hackford, il marque l’effet de l’alcool sur le visage de Dennis Quaid, joueur de base-ball vieilli avant l’heure. Ce sera d’ailleurs son dernier travail sur un plateau de cinéma. Par la suite, il sera simplement consultant sur les films True Identity de Charles Lane, La Mort lui va si bien de Robert Zemeckis et Forever Young de Steve Miner. Il fut également consultant sur Sweet Home de Kiyoshi Kurosawa à la fin des années 80 ainsi que sur quelques téléfilms, épisodes de séries ou d’anthologies fantastiques.
Côté horreur, il a exercé son talent sur quelques plans de Trauma de Dan Curtis, La Sentinelle des maudits de Michael Winner, Au-delà du réel de Ken Russell, avec des effets mémorables là encore sur William Hurt et Blair Brown, Spasmes de William Fruet, Poltergeist 3 de Gary Sharman, Le Fantôme de Milburn de John Irvin dont une création sera recyclée (avec sa permission) pour La Maison de l’horreur de William Malone en 1999, ses derniers crédits officiels sur un générique.
Il s’illustre pour la première fois au cinéma en 1962 avec Requiem pour un champion de Ralph Nelson où il travailla sur les marques de coups reçus et affligés par Anthony Quinn en boxeur sur le retour et qu’il transformera en asiatique Kublai Khan dans La Fabuleuse aventure de Marco Polo en 1965.
Ses débuts à la télévision
Après des études en médecine pour devenir dentiste, il se découvre une nouvelle vocation en tombant sur un livre en promotion sur le maquillage au théâtre. Sur les conseils de son père, c’est à la télévision qu’il débute et il s’y illustrera pendant une quinzaine d’années pour la NBC sur des dramatiques en direct avec parfois des vieillissements en quelques minutes, citant son travail sur Claire Bloom dans une biographie de la Reine Victoria en 1957 comme son chef d’oeuvre dans cet exercice de vitesse et de précision. Il s’occupe du nez de Cyrano de Bergerac pour José Ferrer, un an avant une adaptation pour le cinéma qui vaudra un Oscar à l’acteur.
Il dessine des sourcils épais pour Audrey Hepburn dans une version de Mayerling signée Kirk Browning et Anatole Litvak en 1957, s’amuse à grossir Eli Wallach en Sancho Panza dans I, Don Quixote en 1959, offre dans The Scarlet Pimpernel en 1960 à Michael Rennie ses multiples visages pour sauver des aristocrates de la guillotine au temps de la Révolution Française, défigure ceux de Sterling Hayden et Julie Harris dans Ethan Frome en 1960 après leur tentative ratée de suicide, transforme Drummond Erskine en président dans The Lincoln Murder Case en 1961, fait de Jack Palance la créature monstrueuse dans The Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde de Charles Jarrott en 1967 et remporte un Emmy pour son travail sur Hal Holbrook dans le one-man show Mark Twain Tonight! que l’acteur reprendra sur scène à plusieurs reprises dans les décennies qui suivront. L’acteur est d’ailleurs présent à la remise de son oscar honorifique en 2011.
Dans The Moon and Sixpence en 1959, il transforme radicalement Laurence Olivier en peintre au visage difformé par la lèpre et dans The Power and the Glory en 1961, il en fait un prêtre mexicain défroqué. Il signe aussi pour la série Dark Shadows un effet de vieillissement pour l’acteur principal de la série Jonathan Frid qu’il considère comme le galop d’essai du vieillissement de Dustin Hoffman dans Little Big Man. Ensuite il transforme Fred Gwynne en sosie de Boris Karloff dans une nouvelle adaptation de Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and Old Lace) en 1968 où apparaissent en sœurs foldingues deux grandes dames de l’âge d’or du cinéma, Lillian Gish et Helen Hayes.
Enfin, il reçoit deux nouvelles nominations aux Emmys pour ses maquillages de Ed Flanders à qui il offre le visage d’un autre président américain dans Harry S. Truman: Plain Speaking de Daniel Petrie en 1976 et lorsqu’il retrouve Hal Holbrook pour un nouveau maquillage de Lincoln (il en aura créé plusieurs dans sa carrière) dans la mini-série Nord et Sud, son dernier travail direct pour la télévision.
Quelques mois après la disparition de H.R.Giger (la créature de Alien), c’est donc un autre grand artiste qui a marqué des générations de créateurs de l’ombre indispensables à l’art du cinéma qui disparaît. Ce n’est pas seulement un technicien doué mais aussi quelqu’un qui fut une source d’inspiration et de vocation pour bien des grands noms qui l’ont suivi et ont révolutionné encore plus distinctement sa discipline. S’il n’était pas le plus réaliste ni le plus subtil des grands créateurs de maquillage – ses effets se voyaient, parfois trop – il en maîtrisait les techniques et son travail n’empiétait pas sur celui des acteurs qui restaient expressifs grâce à ses effets plus légers que ses prédécesseurs.
Durant sa carrière, il fut assisté dans son travail par Rick Baker, Carl Fullerton, Kevin Haney, Neal Martz, George Engel, Harvey Citron, David Smith, Doug Drexler, Craig Reardon ou George Adamy comme il le rappelle sur son site officiel. Reconnu comme un pédagogue dévoué qui aimait transmettre ses connaissances, il a eu parmi ses étudiants prestigieux Rick Baker, le plus grand expert sur les singes et autres gorilles mais aussi Richard Taylor (Le Seigneur des anneaux), Greg Cannom (Cocoon, Cherry 2000, Star trek VI, Dracula, Mrs. Doubtfire, L’étrange histoire de Benjamin Button), Alec Gillis (Alien 3, Starship Troopers, X-files: le film, Hollow man), Ve Neill (qui a reçu deux oscars pour son travail avec Tim Burton sur Beetlejuice et Ed Wood et à qui l’on doit aussi Batman, le défi ou Edward aux mains d’argent), Kazuhiro Tsuji (Rhapsodie en août, La Planète des singes de Tim Burton) ou Mike Elizalde (les deux Hellboy) tous nommés et parfois récompensés aux Oscars.
Lui-même a eu beaucoup moins de chance : » Le plus ironique dans ma carrière est que ce que j’ai fait de mieux dans mon travail date d’une époque où le maquillage n’était pas encore reconnu à la télévision ou au cinéma. L’Emmy du maquillage a été créé après mon départ de la NBC et j’en ai gagné un assez tardivement. L’Oscar du maquillage n’existait pas au moment de L’Exorciste, du Parrain ou des quelques autres films qui auraient pu être remarqués. J’ai eu le bonheur de vivre assez longtemps pour en gagner un finalement… »
Sources : le site officiel de Dick Smith et celui de l’Archive of American Television sur lequel on peut découvrir un entretien fleuve de plus de cinq heures.
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Les vidéos de son hommage aux Oscars lors d’une soirée spéciale le 13 novembre 2011, par Rick Baker et J.J.Abrams
Un making-of de L’Exorciste