Il y a de quoi tomber en extase devant le programme que les vaillants distributeurs de films de répertoire nous ont concocté en ce mois de novembre ! Ce n’est pas tant le nombre qui y séduit – une bonne quinzaine de films sur trente jours, cela devrait être à la portée de tout cinéphile qui se respecte, n’est-ce pas ?! – mais l’éclectisme des choix éditoriaux. Vous pourriez ainsi faire le tour du monde, depuis la Nouvelle-Zélande aux États-Unis, en passant par un détour européen des plus variés, qui inclurait l’Italie, la France et la République Tchèque, et redécouvrir en même temps une partie conséquente de l’Histoire du cinéma, puisque les années de production des films restaurés s’étendent de 1942 pour les premiers courts-métrages d’animation de Paul Grimault jusqu’en 2003 avec Paï de Niki Caro. Les grands maîtres du cinéma d’antan sont également au rendez-vous, pour notre plus grand bonheur pas toujours à travers leurs films les plus connus : Joseph L. Mankiewicz, Bernardo Bertolucci, Sam Raimi, Dino Risi et Frank Borzage. Enfin, deux rétrospectives plus ou moins formelles constituent les morceaux de choix de cette sélection mensuelle, la première en trois films à l’honneur du réalisateur italien Mauro Bolognini et la deuxième qui revient sur les premières années de l’illustre carrière de Milos Forman.
Les festivités commencent dès mercredi prochain, le 6 novembre, et deux films réalisés par Mauro Bolognini (1922-2001). Si vous souhaitez vous faire une plus ample idée du travail de ce petit trublion transalpin, on vous conseille d’élire temporairement domicile à l’American Center à Paris, où la Cinémathèque Française organise depuis hier et jusqu’au 25 novembre une rétrospective en trente films de son travail. Pour un avant-goût forcément plus partiel, trois distributeurs distincts ont dû se mettre d’accord afin de sortir de façon rapprochée d’abord la farce meurtrière Black Journal avec l’impayable Shelley Winters en plein mode camp des années 1970 et le plus sobre et mélodramatique La Viaccia avec le couple mythique Jean-Paul Belmondo et Claudia Cardinale – par ailleurs également de nouveau à l’affiche dans la copie restaurée de Cartouche de Philippe De Broca, sortie fin octobre – , puis deux semaines plus tard le policier sombre Chronique d’un homicide avec Martin Balsam et la récemment disparue Valentina Cortese. Autant d’occasions privilégiées de se familiariser à nouveau avec l’œuvre d’un réalisateur, dont seul Le Bel Antonio avait récemment eu l’honneur d’une ressortie, en mars 2018. Enfin, permettez nous de digresser un peu, en faisant mention dans ce paragraphe italien de la ressortie le 27 novembre de Âmes perdues de Dino Risi, un réalisateur sensiblement plus exposé en France que Bolognini, grâce à ses désormais neuf films qui y ont bénéficié d’une ressortie depuis 2015.
Un an et demi après la mort de Milos Forman (1932-2018), ses trois premiers longs-métrages et deux de ses courts regroupés sous le titre L’Audition ressortiront à partir du 20 novembre. De quoi vous émerveiller devant le génie iconoclaste d’un réalisateur dans son pays natal, passablement malmené à l’époque, au milieu des années 1960, qui avait fait preuve d’une virtuosité moins espiègle dans l’ample partie américaine de sa filmographie. Ces trois films lui servaient cependant de formidable carte de visite, puisque deux d’entre eux, Les Amours d’une blonde et Au feu les pompiers, avaient été nommés à l’Oscar du Meilleur Film étranger. Avec L’As de pique, ils comptent parmi les films les plus emblématiques de la vitalité pas si clandestine du cinéma de l’Europe de l’Est, avant que la chape de plomb de l’influence soviétique ne rende pareille expression artistique quasiment impossible pour longtemps. De la même époque date L’Incinérateur de cadavres de Juraj Herz, un compatriote de Forman, décédé cinq jours avant lui. Cette satire fort macabre de la guerre, bannie après sa sortie en 1969, sera de nouveau visible sur les écrans français à partir du 20 novembre également.
Du côté du cinéma américain, les ressorties du mois sont au moins aussi prestigieuses. Dès mercredi prochain, L’Affaire Cicéron de Joseph L. Mankiewicz fait office de film d’espionnage sophistiqué par excellence, avec un autre couple mythique, James Mason et Danielle Darrieux, en haut de l’affiche. Le même jour, c’est une production plus italo-britannique que proprement américaine qui fait son retour, Le Dernier empereur de Bernardo Bertolucci, lauréat de neuf Oscars à Hollywood en 1988, dont ceux du Meilleur Film et du Meilleur réalisateur, ainsi que du César du Meilleur Film étranger. Une semaine plus tard, mieux vaut anticiper un changement de registre radical, grâce à Evil Dead 2 de Sam Raimi, l’une des comédies d’horreur les plus jouissives de l’Histoire du cinéma ! Enfin, le dernier mercredi du mois, Moonrise nous permet de constater que même le succès des plus grands réalisateurs de l’industrie du cinéma américain n’est pas éternel. Car après avoir été l’un des réalisateurs les plus prestigieux des années 1920 et ’30, Frank Borzage a vécu une fin de carrière plutôt compliquée, comme le démontre cette production indépendante, qui a tous les caractéristiques d’une sublime série B.
Ce qui nous laisse avec une dernière rubrique finalement pas si fourre-tout que cela. Deux films d’animation et autant d’histoires néo-zélandaises rythment en effet les jours de sortie aux extrémités du mois. Pour le jeune public, cela donne un programme de huit courts-métrages signés Paul Grimault – le réalisateur de l’intemporel Le Roi et l’oiseau d’après Jacques Prévert, ressorti pour la dernière fois en 2013 – sous le titre Le Monde animé de Grimault, ainsi que trois semaines plus tard un long-métrage d’un autre monument de l’animation française, Jean-François Laguionie, dont Le Château des singes de 1999 précédera d’une semaine la sortie de son nouveau film Le Voyage du prince. Tandis que l’on pourra conseiller sans souci Paï de Niki Caro, pour lequel l’adolescente Keisha Castle-Hughes avait été nommée à l’Oscar de la Meilleure actrice en 2004, à un jeune public, l’autre épopée venue de l’autre côté du globe, L’Âme des guerriers de Lee Tamahori, a été interdit aux moins de seize ans. Ce qui n’est guère étonnant, vu la violence avec laquelle le réalisateur au parcours ultérieur à Hollywood assez peu concluant y décrit le quotidien de la communauté Maori dans une banlieue défavorisée.