Pourtant doté de cinq mercredis, ce mois de mars 2023 commence de la pire façon imaginable en termes de films de retour en salles. En effet, vous ne trouverez pas une seule nouvelle ressortie sur vos grands écrans à partir d’aujourd’hui ! Et vous aurez droit à un autre creux dans trois semaines, avec un seul film de patrimoine à l’affiche. Heureusement, les choses s’arrangeront considérablement entre-temps, grâce à près d’une vingtaine d’œuvres souvent inédites qui raviront sans aucun doute les cinéphiles nostalgiques. Pour ces derniers basés à Paris ou en région parisienne, le festival « Toute la mémoire du monde » aura par ailleurs de quoi remplir amplement votre emploi du temps, de mercredi prochain jusqu’au dimanche 12 mars inclus.
Les grands classiques du cinéma de papa sont une denrée rare au programme des films de retour en salles en ce début du printemps. Seul L’Étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon, distribué à partir du 29 mars, fait office à la fois de représentant du cinéma français et de films datant d’avant la Seconde Guerre mondiale. Qu’à cela ne tienne, vous en saurez certainement plus sur des cinéastes aussi confidentiels que la Bulgare Binka Jeliazkova, l’Américain Michael Roemer, le Philippin Mike De Leon et l’Anglaise Joanna Hogg, une fois que vous serez arrivés au bout de ce programme d’une rareté époustouflante. Pour notre part, on reverra avec un immense plaisir deux des formidables long-métrages de Bill Plympton, le génie de l’animation aussi irrévérencieuse qu’inventive !
Binka Jeliazkova Éclat(s) d’une cinéaste révoltée
Ce n’est pas du tout la première fois que le vaillant distributeur Malavida Films nous fait découvrir un pan trop longtemps resté caché du cinéma d’Europe de l’Est. Après récemment Les Petites marguerites de Vera Chytilova, La Poupée de Wojciech Has et La Passagère d’Andrzej Munk, il nous emmène du côté du cinéma bulgare. De ce pays à la cinématographie discrète et longtemps resté sous le joug de la censure est originaire la réalisatrice Binka Jeliazkova (1923-2011) dont vous pourriez bientôt voir pour la première fois en France quatre films marquants. Comme c’est déjà le cas avec la grande rétrospective Louis Malle, Malavida Films fait durer le plaisir en aménageant deux mini-cycles des films de cette réalisatrice injustement méconnue.
Quatre mois avant la fin de l’hommage prévue début juillet, ses deux premiers films, Nous étions jeunes et Le Ballon attaché, vous serviront de prétexte mercredi prochain à célébrer dignement la journée internationale des droits des femmes. Dans le premier, il est question de la dure réalité de la résistance contre l’occupant nazi en Bulgarie au début de la guerre. Et le deuxième, une farce au fort impact symbolique, vient de gagner en actualité par le biais des escarmouches entre la Chine et les États-Unis autour des ballons censés surveiller des cibles américaines et finalement abattus au bout de longs tergiversations diplomatiques.
Quand Tex Avery rencontre Pulp Fiction : 2 films de Bill Plympton
Depuis près d’un quart de siècle, les magnifiques contes dégressifs imaginés par le réalisateur américain Bill Plympton (* 1946) ont élu leur domicile français chez le distributeur ED Distribution. Même s’il avait été encore plus jubilatoire d’avoir l’ensemble de ces sept chefs-d’œuvre de l’animation de retour en salles, nous ne bouderions pas notre plaisir d’en revoir au moins les deux premiers à partir du 15 mars. Car même le titre de cette rétrospective très partielle ne suffit pas pour décrire le génie iconoclaste du réalisateur, dont les pamphlets à la forte charge érotique et violente ne sont pourtant jamais interdits aux (très) jeunes spectateurs français !
Jugez-en plutôt par vous-mêmes : L’Impitoyable lune de miel revient avec une férocité délirante sur tous les mythes et autres poncifs des comédies romantiques, pendant que Les Mutants de l’espace anticipe, là encore avec une maestria hors pair et un mauvais goût parfaitement assumé, certains aspects du scénario de l’infiniment plus respectable Interstellar de Christopher Nolan.
Michael Roemer American Trilogy
Le même jour, dans deux semaines donc, un réalisateur américain encore bien plus obscur est remis sur le devant de la scène grâce à Les Films du Camélia. Au fil d’une carrière pour le moins précaire, Michael Roemer, qui vient de souffler ses 95 bougies, a néanmoins su créer des reflets saisissants de la société américaine. D’origine allemande et réfugié d’abord en Angleterre, puis aux États-Unis après la guerre, il avait d’abord marqué les esprits avec Nothing But a Man, l’un des meilleurs films sur la condition de la population afro-américaine et apparemment le film préféré de Malcolm X.
Le ton du deuxième film du cycle est clairement plus léger, même si l’histoire de la production de Harry Plotnick Seul contre tous ne l’est pas du tout. Roemer avait dû attendre près de vingt ans jusqu’à la sortie du film en 1990 et son passage aux festivals de Sundance et de Bergame. Entre-temps, en 1984, le réalisateur avait tourné le troisième film inclus dans cette rétrospective. Vengeance is mine avec Brooke Adams devra patienter encore plus longtemps que la satire sur le microcosme juif à New York, puisqu’initialement diffusé à la télévision américaine, il n’a été distribué au cinéma que l’année dernière.
Mike De Leon Portrait d’un cinéaste philippin
Poursuite des découvertes exotiques avec l’univers du cinéaste philippin Mike De Leon (* 1947), mis à l’honneur par Carlotta Films à partir du 29 mars. La moisson des films jusque là inédits en France s’avère même encore plus riche en vidéo, puisque huit films du réalisateur y seront édités dès le 21 mars, dont les deux qui bénéficieront d’une ressortie en salles. En théorie, ces six films supplémentaires pourront être projetés lors de séances exceptionnelles. Aux spectateurs donc de solliciter en masse ces films de genre curieux, afin que la quasi-intégrale des films de Mike De Leon soit visible sur grand écran …
Bien longtemps avant Lav Diaz et à peu près en même temps que Lino Brocka, le cinéma philippin pouvait s’enorgueillir d’un autre auteur. Mieux vaut tard que jamais pour découvrir son œuvre, y compris Kisapmata et Batch ’81. Dans le premier, Mike De Leon retrace l’histoire rocambolesque d’un mariage saboté par le père de la mariée. Et dans le deuxième, les personnages plongent dans le monde malsain des fraternités étudiantes aux méthodes de bizutage hautement violentes.
Joanna Hogg Histoires de fantômes
Toujours le 29 mars, le fil rouge des inédits se termine à travers une rétrospective partielle des premiers films de la réalisatrice anglaise Joanna Hogg (* 1960). A l’occasion de la sortie française de son nouveau film Eternal Daughter, le distributeur Condor nous fait découvrir ses quatre premières œuvres en un court-métrage et trois longs-métrages. Auparavant, le Centre Pompidou à Paris célèbre la réalisatrice avec une rétrospective intégrale en cinq jours, du 16 au 20 mars, en sa présence et celle de l’actrice Tilda Swinton. Une masterclass se tiendra notamment le samedi 18 mars à 16h30.
En dehors du diptyque The Souvenir, sorti il y a un an en février 2022, la filmographie de Joanna Hogg est restée inexplorée en France. Ce sera donc l’occasion idéale de se préparer à son nouveau film ou plutôt – drôle de timing – de lui faire écho une semaine après sa sortie. Pour les fans de Tom Hiddleston, ils pourront voir leur idole dans ses premiers films Unrelated et Archipelago, suivis de Exhibition, avant qu’il ne se consacre presque exclusivement de nos jours au personnage de Loki dans l’univers Marvel.
En vrac, il reste cinq autres belles ressorties, réparties sur les quatre mercredis du mois à partir du 8 mars. Ce jour-là, vous aurez rendez-vous avec un monstre. Mais pas n’importe quel monstre, puisque The Host de Bong Joon-ho compte parmi les films les plus effrayants et divertissants, bref aboutis du genre. Nous l’avions vu deux ou peut-être même trois fois en salles au moment de sa sortie initiale en novembre 2006. Un plaisir redoublé à partir de la semaine prochaine, grâce à la restauration en 4K que Les Bookmakers sortiront un peu partout en France, on l’espère.
Le 15 mars, l’enfance malmenée fait le lien entre deux autres films qu’on ne se lasse pas de revoir. Dans Arizona Junior des frères Coen, Nicolas Cage et Holly Hunter au début de leurs carrières s’en donnent à cœur joie pour trouver et surtout garder un bébé acquis de manière peu orthodoxe. Rien d’aussi hilarant n’est à signaler dans Cria cuervos, la pièce maîtresse de l’immense filmographie du réalisateur espagnol Carlos Saura, décédé le 10 février dernier. Son œuvre sera d’ailleurs plus abondamment célébrée le mois prochain avec une rétrospective en dix films supplémentaires, toujours chez Tamasa Distribution à partir du 5 avril. On y reviendra sans faute dans un mois.
Enfin, la chronique familiale autour d’un mariage à Liverpool dans les années 1950, Distant Voices Still Lives, nous rappellera dans trois semaines à quel point Terence Davies est un réalisateur aussi précieux que rare. La même chose vaut pour Jean Grémillon, d’abord à travers L’Étrange Monsieur Victor avec Raimu à la fin du mois donc, puis grâce à Rémorques avec Jean Gabin et Michèle Morgan trois semaines plus tard.